C’est dans le silence de l’aube que j’aime m’allonger sous mon arbre blanc. L’air est un peu piquant de rosée, le ciel encore indécis entre nuit et clarté, le pépiement des oiseaux matinaux et le calme serein : c’est un petit coin de paradis, mon paradis à moi, même si je le partage bien volontiers avec mes amis à plumes et à pattes.

Mon arbre blanc est le point central du jardin. Je l’ai patiemment aménagé au fil des années, à l’arrière d’une confortable maisonnette de bois, de pierre et de chaux. C’est cet arbre plus que tout autre chose qui m’a séduite et amenée à m’installer ici. Tandis que le monde tout autour s’écrie de révolution et ensanglante pavés et bétons, je m’allonge sous mon arbre blanc, attentive et à la fois perdue dans l’harmonie d’une aube sans cesse nouvelle. Je m’imprègne du calme et du silence jusqu’à ce que les premiers rayons du soleil percent le feuillage et mouchètent mon visage. Alors je me relève, le cœur et l’âme en paix, faire le tour du jardin et de ses occupants. Si tout y pousse assez sauvagement, il m’arrive régulièrement d’ajouter un tuteur par ci, d’enlever des feuilles par là, de cueillir quelques fruits et légumes, parfois aussi des fleurs odorantes et colorées pour égayer la maisonnette. Mon tour du jardin achevé, je m’installe devant mon antique machine à écrire, en caresse tendrement les touches, ajoute une feuille et laisse mes pensées et mon imagination se transformer en mots, en des personnages tantôt mutins et joyeux, tantôt en de tristes âmes torturées à la recherche d’une rédemption, celle que j’ai trouvé ici, sous mon arbre blanc, loin des hommes et de leurs révolutions, au cœur du silence et des aubes lumineuses.