Moi, Fk, mek

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La vue par la fenêtre est agréable. J’ai la chance extraordinaire de vivre avec elle. J’ai tout loisir de me promener dans ce bel appartement, en plein centre de la ville. J’y mène une vie agréable. Elle est une très jolie femme, qui m’est très chère, et je crois que je compte aussi beaucoup pour elle. C’est grâce à son statut particulier de chercheuse qu’elle a pu construire ainsi sa vie avec moi. C’est grâce aussi à ses accès aux archives que j’ai pu reconstituer cette histoire, cette histoire de moi, mek.

Elle, elle s’appelle M.

Moi, c’est Fk.

M fait des recherches sur la génétique. Elle est directrice d’un grand laboratoire qui améliore le décodage du génome des ovules et des spermatozoïdes. Le problème est très vaste et fait de grands progrès tous les ans, permettant d'affiner de plus en plus les résultats fournis par les laboratoires du monde entier. La précision des informations permet d’améliorer les programmes de reproduction. La femme qui veut faire naître un enfant peut ainsi avoir le meilleur mariage possible avec les spermatozoïdes disponibles dans les banques de sperme anonymes. Grâce à ces progrès technologiques immenses, l’humanité a pu faire émerger des générations de plus en plus talentueuses, qui ont permis de faire évoluer les sciences et la vie humaine en général.

M a perdu sa maman très tôt, pour cause d’accident. Elles étaient piétonnes, quand une voiture autonome les a percutées. Le logiciel de la voiture a du faire un choix quand il n’a pu éviter l'accident : sauver la passagère du véhicule, directrice d’un laboratoire pharmaceutique, ou les piétons. Le poids social de la personne dans le véhicule était beaucoup plus important que celui de M et sa maman. Le logiciel a fait un choix. La maman de M est décédée. Sur le coup. En la protégeant. Sa fille à elle. M .

La chance dans ce malheur a été l’adoption de M par la directrice de laboratoire. Choquée par cet accident, cette décision prise par le logiciel, qui lui a sauvée la vie, elle a adopté M pour lui offrir une nouvelle chance dans son éducation. M a ainsi eu l'opportunité de fréquenter dès le plus jeune âge un monde scientifique très enrichissant, qui a complété à merveille ses grandes capacités dans la recherche scientifique. Cela lui a ouvert les portes de sa carrière fabuleuse, l’amenant au firmament de la recherche sur le génome humain.

Suite à l’accident de voiture, M n’a pas pu avoir d’enfant par elle-même. Elle a décidé de réaliser sa parentalité avec celle qui elle est sa compagne de solidarité. Celle-ci a accepté de porter pour elle cet enfant. M a fait un choix très particulier : elle voulait un ... mek. Normalement, cela n’est pas autorisé. Seul la collecte de sperme justifie de procréer des meks, dans un cadre très précis et fermé. M a toujours été très .. tenace. M a donc décidé de devenir parent coûte que coûte d’un mek, en dehors de la contrainte légale. Après beaucoup de tergiversations administratives, et de discussions avec sa compagne, et de part sa position sociale très particulière de directrice de recherche en génome humain, elle a pu obtenir cette dérogation extraordinaire : être parent d’un enfant mek.

Cet enfant, né d’un spermatozoïde mâle, inséminé avec l’ovule de la compagne de M, ce mek, c’est moi. Fk .

Ma jeunesse n’a pas été sans souci. M voulait pour moi la meilleure éducation. J’allais dans les écoles de meks, bien sûr. Les universités normales étaient bien sûr non ouvertes aux meks, le niveau étant bien trop élevée. Pourtant M a tenu à compléter toute mon éducation de mek par des apports scientifiques et culturels du plus haut niveau. En dehors des cours de mek pour apprendre les service pour elles, j’ai donc eu aussi la chance d’acquérir un bagage technique et culturel très riche.

Je n’ai aucun doute que le choix du spermatozoïde, élu pour se marier avec l’ovule de la compagne de M, a été fait sous sa supervision très attentive ! C’est certainement grâce à ce choix très élaboré que je suis ce que je suis… Je l’en remercie, en tant que parent aussi… Car M a toujours assumé à merveille sa parentalité. Elle m’a couvé d’affection, et m’a toujours aidé à me construire, malgré le handicap propre à ce gène de mek en moi. Cette difficulté aurait été facilement évitée en faisant le choix “normal”, le choix d’un spermatozoïde pour avoir une fille. Une fille qui aurait naturellement bien plus évoluée que moi, simple mek. Mais qu’à cela ne tienne, M a su faire tout ce qu’il fallait pour que je devienne ce que je suis, un mek. Un beau mek. Parait-il. Oui, plus d’une femme a souvent fait remarquer qu’elle aurait aimé “prendre” un mek comme moi. Bien sûr, ce genre de remarque ne se faisait pas en société. Il est officiellement interdit de “prendre” un mek. Et encore moins d’en élever. Mais l’exception de M générait des jalousies. Car, dans la réalité, beaucoup de femmes utilisaient des meks, chez elles. Pour les "prendre". Cela se faisait seule à seul, pour les plus .. romantiques. Ou bien à plusieurs, afin d’avoir un beau mek, puissant, très cher sur le marché noir. Les plus fortunées pouvaient prendre aussi plusieurs meks pour elles. Mais cela “n’existait pas” officiellement. On comprend mieux la jalousie des autres femmes, quand elles me voyaient chez M , nu, dans la force ma jeunesse, leur servir mets et musique, pour leur plaisir, et prenant part à leurs débats scientifiques, en plaçant dans leur conversation un contre-exemple ou une idée, tout en jouant une sonate sur mon clavier optique.

Le problème s’est réellement posé un peu plus tard, après mon adolescence. M était jeune quand elle a décidé de devenir parente, avec moi. M est toujours une belle femme à ce jour. Une très belle femme. Sa nudité habituelle, normale entre amies, ou seule dans son bel appartement, n’a pas tardé à créer de l’émoi. Chez elle. Chez moi aussi. Un émoi qui n’a pas pu resté longtemps caché. J’ai mis peu de temps à détecter cette odeur si particulière qui traçait son passage, après ses regards sur moi. Ces petites gestuelles, son regard, quand ses phéromones faisaient un effet sur moi. La nudité habituelle ne pouvait rien cacher. Je savais beaucoup de choses grâce à mon éducation dans les écoles de meks : comment être disponible pour qu'une femme puisse me prendre. Mais cela allait au-delà de ce qui était appris, appliqué par mes amis meks. L’émoi. Oui. L’émoi. Ce sentiment qui était normalement entre femmes. Un sentiment qui circulait entre M et moi. Léger. Palpable. Têtu. Qui s’est transformé rapidement en un lien plus .. Etroit, Intime. .. Voluptueux…

C’est du jour où un mot lui a échappé que j’ai basculé dans ce monde qui m’a raccroché à “avant”. Le mot.. Amour.

D’amour, le monde en était bien sûr rempli à ce jour. Un amour qui contribuait au bonheur de chacun. Mais là, le mot amour portait tout d‘un coup une dimension extra-ordinaire. Un amour. Entre Elle et moi. Un amour .. impossible.

De ce moment, je suis parti à la recherche “d’avant”. Cela l’a d’abord beaucoup fâchée. M ne voulait pas que je fouille dans les démons du passé. Dans ce monde d’avant qui avait été une grossière anormalité. Mais plus elle voulait m’en cacher, plus je voulais trouver. Comprendre. Je savais qu’elle savait quelque chose, de part son haut niveau de culture et sa position qui lui avait donné accès à des banques d’informations confidentielles. Je le savais, car des bribes ressortaient dans ces fâcheries : elle me disait que je me comportais comme un “mek d’avant”, il ne fallait pas chercher d’informations sur “avant”. J’admets avoir abusé de son désir impérieux de me prendre, de cet amour pour moi, de ces instants où les gardes étaient baissées, dans la pénombre d’une lueur de bougie.

J’ai ainsi pu retrouver ces vieux documents. A l'orthographe et à la grammaire surprenante, difficilement lisibles à mes débuts. Les textes mélangeaient le neutre et le genre mâle. Aucun “k” pour caractériser le genre mâle. Avec un peu d’habitude et en utilisant le contexte de l’écrit, il me fut par exemple facile de comprendre si le mot “homme” ou le sujet “il” était utilisé pour désigner un humain comme aujourd’hui, ou un mek.

Les chiffres d’abord. Autant de femmes que de meks. J’ai vite compris que cela était dû à la reproduction “animale” généralisée, non contrôlée, laissant l’aléatoire jouer son rôle comme il y a des millions d’années. Les grands progrès de mariage entre un spermatozoïde soigneusement choisi et la mère porteuse étaient alors inconnu.

Les comportements aussi : une notion de “bâtard” ahurissante et incompréhensible. Jusqu’au XXI° siècle, les gènes étaient reliés au lien social et administratif pour la parentalité et la “possession” des enfants. Seule la notion de couple était autorisée pour devenir parent, interdisant les contrats de solidarité entre trois ou plusieurs personnes, indépendamment de la parentalité…

Une anecdote amusante : un site “internet” (?) qui s’appelait adopteunmek, prémisse cocasse et ridicule dans son contenu, mais qui semble avoir eu son importance dans ce qui a suivi…

Une étrangeté aussi. L'étymologie du mot “mek”. Il s’écrivait “mec” vers le XXI° siècle. Et semble avoir été un mot peu glorieux au XIX° pour désigner un mâle de mauvaise compagnie.

J’eu beaucoup de difficulté à trouver ce qui a provoqué la rupture avec cet ancien monde. Quand, enfin, la parentalité a été complètement dissociée de la filiation génétique ? Quand la solidarité a pu s’étendre au-delà de deux personnes, et indépendamment de la parentalité ?

Une période sombre semble-t-il. Une guerre, dirais-je. Non, pas une guerre comme celle que j’ai vu décrite dans de vieux récits, où des millions de meks s'entretuaient de façon sordide. Non. Une simple guerre sociale, qui a finalement fait naître ce monde merveilleux d’aujourd’hui…

J'ai compris toutefois qu'il y a eu une grande période où l’animalité a prédominé, laissant ses traces de violence durant des siècles, via les comportements dominants des meks dans ce monde où la force dominait. Ce fut aussi une période faste, à qui il faut reconnaître la genèse de beaucoup de choses qui nous entoure aujourd’hui. Un monde de technologie qui a failli faire basculer le monde dans une crise sans suite. Un épuisement des ressources inconscient, caché dans le bruit d’une guerre de maquis, sourde et sordide. Entre femmes et meks. Pourquoi cette violence de mek a t elle tant persistée dans cette grandeur naissante. Quel a été le déclencheur de la décadence qui s’en est ensuivi ? peu de traces. Une famine peut-être. Ou une catastrophe terrible ?

Les archives disparaissent presque complètement vers la fin du XXI°. De très grands trous dans l'histoire de l'humanité. D'immenses vides.

Les archives renaissent doucement au XXXI° siècle. Le monde renait. De ses cendres. Dans la grandeur d’aujourd’hui. Sa splendeur.

Je lève les yeux. Le soleil radieux brille sur les arbres.

Non.

Je ne dois pas.

Ne pas la rejoindre.

Ne pas.. la prendre…

Résister…

Jusqu’à ..

Mourir…

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