Paul et la dissonance cognitive

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Paul était partit de la maison il y a quelque temps déjà. Il avait prit la route sans prévenir, volant la voiture de notre père. On a retrouvé le véhicule une semaine plus tard avec une lettre sur le siège conducteur. Un simple de lettre que j’ai appris par cœur à la première écoute, de la voix tremblante de la mère :

« Il n’y a jamais eu de famille, d’argent, de travail, d’amis. Il n’y a jamais eu de justice, d’amour, de jugement, de raison. Il n’y a jamais eu de bonheur, de légèreté, d’intimité, de personnel. Non, il n’y a jamais rien eu de cela dans votre monde. Vous m’avez mal éduqué – je vois la vérité en chaque chose, le mensonge devant chaque bouche… Je suis trop prétentieux aujourd’hui : je ne me résoudrais pas à devenir vous.

Je m’en vais trouver le pécheur – avant que les eaux emportent tout.

Heureuse fin du monde à vous, mes dissonances cognitives. »

Cela fait trois ans maintenant et si peu ont changé. Ils y a toujours les mêmes éternels repas de famille, simplement aujourd’hui, il y a une assiette en moins. On ne parle plus de Paul sans un silence gêné, sans les nerfs tendus. Trois ans que mon frère n’est plus là et mes parents n’ont toujours pas regardé la définition réelle de la dissonance cognitive. Ils se contentent simplement de condamner sans jugement mes pensées critiques comme une folie, une caricature d’adolescent, un danger pour la société – sans comprendre mon sourire quand je les informe de l’ironie tragique de leurs comportements. Comme si, finalement, il n’y avait jamais eu de lettre, comme s’il n’y avait jamais eu de Paul...

Il y a quelques mois, cette façon de ridiculiser la pensée m’a surpris de dégoût. Encore une fois, ma mère s’était mise à critiquer une pratique culturelle autre que la sienne :

« Quand tu regardes un film, faut oublier que tu regardes un film ! Si tu te mets à tout analyser, forcément, tu te retrouves à tout trouver livide ! »

Je lui avais alors fait remarquer, sans vraiment réfléchir à cette bêtise qui venant d’être lancée contre le silence, que le débat du cinéma, c’était surtout de remarquer le ridicule des films populaire, de leurs aptitudes à capter l’attention du public par une mise en scène plutôt que par un scénario, à parler aux instincts trompés plutôt qu’à la raison ou la beauté. Que la dégénérescence du cinéma, au fond, ce n’était qu’un mouvement parmi bien d’autres d’une décadence générale. Ce à quoi ma mère, excitée, n’a pas hésité à me répondre :

« Ah oui, parce que toi tu sais ce qui est beau peut être ! Ahah ! Avec ton père, on regarde souvent des films « populaires » comme tu dis, et c’est pas trop mal, finalement. Toujours mieux que les films iraniens et japonais, d’art et d’essai, sur la vie d’une famille rurale durant une quelconque guerre perdue au milieu du 19ᵉ siècle ! »

A ce moment-là, j’ai remarqué deux choses. Une : si je voulais continuer cette conversation en affirmant ma position, j’aurais dû, de fait, critiquer mes parents de décadents, les frappants dans leurs habitudes, leurs expressions identitaires – justifiant leurs énervements, l’usage de l’autorité, bref : la violence légitime et la morale en première ligne pour mettre fin au « débat ». Deux : cette situation ou la conversation est bloquée par un chantage affectif est constante, dans chaque conversation. Si je devais décrire ces repas, ce serait quelques choses comme ceci :

 1. Conversation banale, apolitique, permettant l’expression identitaire, le « moi je » de chacun.

 2. Utilisation du « politique » comme moyen de crispation des nerfs, de défouloirs, d’expression du ressentiment d’une vie de regret, d’incohérence.

 3. Utilisation de chantages affectifs pour contrôler – par désir de vengeance contre la vie – la pensée subversive et la diriger, non contre une forme de décadence mais vers une nullité ou chacun peut être position pour exprimer sa colère sans se mettre en danger.

Les étapes un, deux et trois allant de l’un à l’autre jusqu’à ce que l’alcool et la surconsommation d’aliments rendent l’être à son état de larve dégénérée – que merditude du débat se joint par symbiose avec la merditude corporelle. Ceci rendant gloire à la prophétie que chaque moderne porte en soi comme axiome d’existence : la vie n’est qu’un spectacle passager et enfantin que le temps finit toujours par abattre. Et c’est sans doute vrai pour chaque personne qui a voulu rendre grace à ses élans vitaux en affrontant sur leur terrain les modernes – finalement, il n’y a rien, chez eux, qui soit innocent ou contingent.

Cette conversation et analyse, c’étais il y a quelques mois. Maintenant, quand ils organisent leurs spectacles pour râler sur n’importe quoi, quand ils veulent s’en prendre à mon esprit critique et qu’ils usent du chantage, de la pité et de ma digestion, je ne répond rien et je souris.

Je me détache car je sais maintenant qu’ils sont coupables d’être aussi faibles, qu’ils rendent leur vie absurde pour que le prix du réveil soit trop grand pour être payé par moi – ceux-là qu’il bloque par leurs perversités – ou par leur lucidité – que la bouffe et le nihilisme finit par corrompre entièrement. L’absurdité est leur moteur, ils se veulent du mal et, au fond, ils se servent du départ de Paul pour affirmer en eux cet état de conscience mortem.

Je me détache car au fond, notre relation ne fut jamais autre. Je me détache, car je sais qu’ils se servent de leur amour comme un appât, comme un poison. J’ai découvert que leurs conversations n’est qu’un moyen d’affirmer leurs faiblesses, que d’exprimer leurs ressentiments. Qu’il n’y avait rien qui tenait là dedans à l’esprit, au personnel, à la beauté, non – rien que la morale n’ait pas détourné vers ce néant de la conversation moderne, du « moi je », du justificatif de son existence, de la simple excitation idiote des nerfs.

Dans ce spectacle, moi, finalement, je ne suis qu’un moyen. Et pour moi, que sont-ils devenus ? Un danger, une mécanique honteuse, un rien, un souvenir…

Alors parfois, entre le plat et le dessert, je pense à Paul. Entre deux rires forcés puant le mauvais vin, j’imagine mon frère et son lac, péchant humblement et tranquillement ses poissons imaginaires. Et même s’il n’a pas trouvé son lac, que cette image est sans le moindre doute un phantasme qu’il m’a transmis par sa lettre, je sais que chaque nuit, quand des milliards d’Humain par peur de rêver s’assomment la tête de sucres et d’écrans pour s’endormir, lui, mon Paul, doit regarder les étoiles...

Et moi qui attend sagement un appel, une autre lettre, un signe. Moi qui espère encore un alibi, piégé au plein cœur de la fin qui approche – moi qui suis assez corrompu pour préférer les écritures à l’acte, les livres à la pêche, et aux étoiles

*


« Et toi mon fils ! Tu as vu les perquisitions chez Mélenchon ? Ah, tous les même ces pourris, je te l’avais bien dit !

- Père, c’est de ta faute si Paul est partit. C’est de ta faute si le monde meurt. C’est toi qui a gâché notre vie, en nous maintenant par la ruse et la pitié dans la puanteur de l’existence moderne. Un jour, tu seras jugé et punis pour ce crime atroce, je te le promet. »

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