Le loup, l'enfant et la forêt des éternités

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Il était une fois, au plus profond d'une forêt, deux étranges créatures.

La première était un loup immense et noir. Ses yeux brillaient dans l'obscurité comme deux lunes rouges.

La seconde avait l'apparence d'un petit garçon.

Dans la solitude de la forêt, ces deux êtres s'étaient trouvés et, depuis, voyageaient ensemble.

Le temps dans la forêt ne s'écoulait jamais. Les éternités succédaient aux éternités, si bien que le loup et le garçon avaient oublié qu'avant la forêt et les ombres, ils avaient vécu une vie bien différente. Rien n'existait avant la forêt.

Les deux compagnons déambulaient entre les arbres, inséparables. Cependant, le loup gardait au fond de lui une faim terrible, héritée d'une existence dont il ne se souvenait plus. Il avait faim, si faim, depuis tellement longtemps! Pourtant, comment se résoudre à l'assouvir? Hormis les arbres, le garçon et lui-même, il n'y avait rien d'autre. Et il se rappelait trop bien de sa solitude première, lorsqu'il ne connaissait pas encore l'enfant. Le poids terrifiant du vide, du silence, de l'absence et le désespoir, atroce et glacial. Mais cette faim, toujours cette faim. Elle le creusait, le rongeait, comme l'avait creusé et rongé la solitude, des éternités auparavant. Aussi, le loup se demandait ce qui serait le plus terrible entre manger l'enfant et se retrouver seul ou continuer à l'accompagner mais être dévoré par la faim pour toutes les éternités à venir. Le loup hésitait, et surtout il ne comprenait pas l'origine de cette faim : ici, nul besoin de boire ou de manger pour vivre, la mort semblait étrangère à ce lieu. Alors, comment trancher entre cette faim étrange et inutile et son amitié pour le garçon ?

Le loup lutta longtemps, longtemps, continuant son voyage sans fin ni destination auprès du garçon. Et la faim était toujours là, refusait de disparaître.

N'y tenant plus, le loup céda finalement à sa faim et se jeta sur l'enfant.

Il le plaqua au sol, enfonçant les griffes de ses pattes avant dans les épaules tendres, prêt à déchiqueter la gorge sans défense. Le garçon le fixait de ses yeux verts. Il ne se débattait pas, se contentant de le fixer. Et le loup, à quelques centimètres de son but, se figea, indécis. Soudain une force phénoménale le propulsa en l'air. Il percuta un arbre et glissa à terre, à quelques pas de l'enfant qui se redressait. Sauf que l'apparence de son compagnon n'était plus tout à fait celle d'un petit garçon : ses membres s'étaient allongés, sa peau blanche avait viré au gris sombre, deux canines pointues s'échappaient de ses lèvres retroussées, ses cheveux roux s'étaient dressés sur sa tête, comme une crinière flamboyante. Désormais, il dépassait le loup, pourtant déjà grand, de deux bonnes têtes. L'apparition s'approcha de lui d'un pas silencieux. Seuls ses yeux verts n'avaient pas changé.

Le loup, trop faible pour fuir, et surtout trop ahuri pour même y songer, regarda la créature étrangère venir à lui.

- Je suis un ogre, loup, lâcha-t-elle en s'arrêtant à quelques centimètres de lui.

Sa voix aussi n'avait pas changé : toujours aussi claire et cristalline. Elle contrastait beaucoup avec cette apparence monstrueuse.

La créature s'accroupit pour se mettre à la hauteur du loup.

- Le roi de cette forêt éternelle, termina-t-elle en souriant.

Mais c'était un sourire triste, si triste.

Le loup frissonna. Ce sourire ébranlait son cœur. Jamais le garçon n'avait souri comme ça.

- Je dévore tous ceux qui pénètrent et se perdent dans mon royaume qui est aussi ma prison. Mais toi, toi tu n'as pas essayé de m'attaquer à notre rencontre, malgré mon apparence inoffensive. Tu es resté avec moi, tu as combattu la faim pour que nous demeurions ensemble. Et, en fin de compte, toi aussi tu as fini par vouloir me tuer...

Une ombre voila le regard vert de l'ogre. Il attrapa le loup par la gorge et le souleva du sol en même temps qu'il se relevait.

- Toi aussi, il faut que je te dévore.

Le loup ne réagit pas. Tandis que la poigne de l'ogre lui comprimait la trachée, tandis que l'air lui manquait peu à peu et que la mort s'invitait enfin dans la forêt pour l'emporter, le loup sourit aussi. Car il n'avait pas dévoré le garçon finalement.

L'ogre arrêta aussitôt de serrer devant ce sourire. Non, il n'avait pas le droit de lui sourire comme ça... Pas alors qu'il le tuait, pas après qu'il l'avait trahi. L'ogre se souvient alors que le loup s'était figé au dernier moment. Au dernier moment, il l'avait épargné. Le roi de la forêt, seul, détesté et triste depuis trop longtemps relâcha doucement le loup et reprit son apparence de petit garçon. Il se coucha tout contre le loup évanoui et s'endormit.

On dit que ni le loup ni l'enfant-ogre ne s'éveillèrent, et qu'ensemble ils sommeillent encore au plus profond d'une forêt que le temps a abandonnée.

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