Une bière

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— On va boire un verre ?

— Mais les enfants ?

— Louis est grand, il peut les garder si on les met devant la télé !

J'hésite. C'est vrai que nous sommes en plein centre-ville et qu'il y a des bars à moins de trois cents mètres. Mais j'ai toujours peur qu'il leur arrive quelque chose.

— On leur met un film, ils ne bougeront pas ! Et au pire, il y a les voisins !

Je finis par céder. Ce n'est pas tous les jours que mon mari consent à me sortir, même pour boire une simple bière. Nous marchons main dans la main jusqu'à la promenade, silencieux.

— C'est en quel honneur, cette balade ?

— Parce que je t'aime, me répond-il souriant, en m'embrassant dans le cou.

Je suis surprise, mais je ne dis rien. Ça fait une éternité qu'il n'a pas été gentil avec moi. Je savoure cet instant de bonheur avec délectation.

— Et là, il me dit « mais je vous jure, chef, je l'ai fait » non, mais quel fumier, il croyait vraiment qu'il allait me la faire à l'envers à moi ? A moi ?

Je l'écoute en souriant. Ça fait presqu'une heure que nous sommes assis et qu'il me raconte les péripéties de sa cuisine. Tout son personnel y est passé. A ses yeux, ils sont tous incompétents, grabataires ou idiots. Sauf lui, cela va sans dire. Je crois que je n'ai pas prononcé la moindre parole depuis que nous sommes là. Quand enfin un silence se creuse, j'essaie, à mon tour, de prendre part à la conversation.

— J'ai un livre qui sort le mois prochain.

— Ah.

Florent tourne la tête et regarde passer une jolie fille dans la rue. Après vingt ans de mariage, je ne m'offusque plus pour ça.

— Et cette fois, c'est une bonne maison, je crois qu'il sera en librairie !

— Ah, cool.

J'aimerais qu'il montre un peu plus d'enthousiasme, mais je ne sais pas comment faire. A mon tour, je commence à lui décrire mon processus de création, la recherche d'images et de documentations, mais très vite, il me coupe :

— Tu as pas froid ? On va rentrer, non ?

Cette fois, je ne ravale pas ma colère comme je le fais à, chaque fois.

— Ca ne t'intéresse pas quand je parle ?

— Mais si ma chérie, pourquoi tu dis ça ?

— Parce que ça fait une heure que tu me parles de ton boulot mais quand moi j'essaie de parler, on rentre !

— Non mais je dis ça pour les enfants, après tout, si tu veux les laisser tous seuls deux heures, c'est toi qui voit !

Jouer sur ma culpabilité, comme toujours.

— Pourquoi tu ne t'intéresses pas à ce que je fais ?

La question est brève, concise, explicite. Florent sourit bizarrement.

— Mais si, ça m'intéresse...

— Tu ne connais même pas les titres de mes livres !

— Mais tu sais bien que je n'aime pas tous ces trucs-là, moi, les livres, la lecture...

A croire que moi je suis passionné par la vie de la cuisine collective.

— Ca fait quatre ans que je me suis lancée. Je veux que ça devienne mon métier. Mon vrai métier.

Il a un sourire carnassier.

— On parlera de vrai métier quand tu gagneras un vrai salaire, non ?

Je suis profondément vexée.

— Tu as raison, j'ai froid, on rentre.

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