Erreur médicale

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— Vous permettez que ces deux étudiants assistent à la consultation ?

Non, je n'en ai aucune envie. Il y a déjà le chef de service, son assistante et une infirmière. Il me semble qu'on est déjà bien assez nombreux. Mais mon corps m'appartient si peu depuis presque un an que je me contente d'accepter. De toute façon, il n'attendait pas vraiment mon approbation. Les deux étudiants étaient là avant que j'arrive. Je lui explique mon problème, comme je l'ai confié à son assistant quand je suis arrivée: l'urine sort de mon vagin. J'en suis persuadée. Alors que je pensais qu'il allait se moquer de moi, comme la fois où il m'a prescrit son stupide régime, il a semblé paniqué et a immédiatement fait appeler son supérieur.

Et maintenant, je suis là, les jambes en l'air, en train de me faire observer par quatre personnes, sans aucun respect pour mon corps, ma personne ou même ma détresse. L'examen dure une éternité. J'entends parler de liquide bleu. De fistules. De sutures. J'entends parler, parce qu'en réalité, à moi, personne ne me parle. Je meurs d'envie de hurler. Mais la présence des étudiants m'en empêche. Les deux autres savent tout ce que je viens de traverser. Pas eux. Je me sens ridicule, hystérique, et humiliée.

Au terme de longues minutes, le verdict tombe enfin. Ce sont des fistules. En résumé, les sutures de ma vessie ont lâché. Et des minuscules canaux se sont formés entre ma vessie et mon vagin. Je n'ai même pas trente-cinq ans, et je suis incontinente. J'ai envie de mourir.

—Vous allez devoir subir une autre opération.

Ah, non, en fait, c'est là.

— Je vais vous orienter vers un de mes confrères, dans un autre hôpital.

Tant mieux, là, je commence à ne plus vraiment avoir confiance. Les nouvelles se jettent sur moi sans que je ne sache quoi en faire. Je vais devoir attendre plusieurs mois, le temps de récupérer de la césarienne. J'aurais à nouveau une poche, la convalescence sera longue. Ce sont des choses qui arrivent. Tout ira très bien. Je suis entre de bonnes mains. Rien de grave. Je tente de comprendre. Le chef de service me fait un schéma. Je dis que je ne comprends pas. Il me dit : « C'est normal, vous ne pouvez pas comprendre, pour l'instant nous posons des hypothèses». Il me prend de haut. Je suis dévastée. Je demande s'il y a eu une erreur. Il tourne autour du pot, dit qu'il ne sait pas. Au final, je vais devoir faire toute une batterie d'examens. Et je devrais de toute façon, à terme, être opérée à nouveau. C'est tout ce que je dois savoir.

Ca fait cinq mois. Cinq mois que j'enchaîne les infections urinaires, que je vis avec des couches et que je vis comme une vieille dame. Aujourd'hui, je vais être opérée. On va reconstruire ma vessie. Après des tonnes d'examens plus douloureux les uns que les autres, je vais enfin pouvoir retrouver une vie normale. Je devrais être soulagée. Je suis terrifiée. Jamais je n'ai eu aussi peur de mourir.

Allongée sur le brancard dans une salle glacée où j'attends mon tour, je pleure à chaudes larmes. Autour de moi, le personnel soignant s'affaire. Des brancards partent au bloc, d'autres repartent en chambre. C'est un chassé-croisé bruyant. Les gents discutent joyeusement. C'est comme si j'étais invisible. Quand enfin je pars au bloc, l'anesthésiste tente de me faire sourire. Je ne sais pas ce qu'il me raconte. J'ai peur, je le lui dis. Il parle encore. Je lui explique brièvement que j'ai déjà eu des opérations. Il me dit qu'il le sait. Finalement, je sombre.

J'ai mal, je suis dans les vaps. Florent m'attend dans la chambre. Je viens d'être opérée, tout ira bien.

J'ai beaucoup pleuré. J'ai appelé les infirmières, en panique, presque toutes les nuits. J'ai enchaîné les crises d'angoisse. La morphine et le Xanax n'ont pas suffi à me détendre. J'ai fait une infection à l'hôpital. Mes cinq jours d'hospitalisation se sont changés en onze. En rentrant, j'avais toujours aussi mal. On a dû changer ma sonde. Et après deux nouvelles infections, mon état s'est enfin stabilisé. Je cicatrise doucement, mon état est meilleur. Physiquement, je me remets. Moralement, je morfle. Chaque nuit, je revis mon accouchement dans les moindres détails. Je me réveille en sursaut, et tout me revient en mémoire. De la décision de la césarienne au réveil anxiogène. J'essaie de me rendormir, mais souvent, je n'y parviens pas. Florent dort du sommeil du juste. Je ne peux pas lui en vouloir. Chaque nuit, c'est lui qui donne à manger à notre jolie princesse et change ses couches. Moi, je ne peux pas encore marcher. Je suis triste de ne pas pouvoir m'occuper de ma fille. Elle a déjà six mois, et j'ai l'impression d'avoir tout raté. Hier, je me suis mise à pleurer, au beau milieu du repas. J'ai l'impression que la vie s'est acharnée sur moi. Florent m'a engueulé :

— Ok, c'est pas facile. Mais il n'y a pas mort d'homme, si ?

— Mais j'ai mal, j'y pense, je....

— Il y a mort d'homme ou pas ?

— Non

— Alors ressaisis-toi, t'as des gosses.

Il veut que j'aille voir un psy. C'est l'hôpital qui se moque de la charité. Lui qui disait toujours que c'était pour les barges... Apparemment, pour lui, aujourd'hui, je suis bien assez folle. Il a peut-être raison.

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