La gentille patiente

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Il me dépose devant l'hôpital, je l'appellerai quand je serais passée. J'ai du mal à marcher, mais je ne proteste pas : je connais le chemin. A nouveau, ma température ne cesse de monter. Malgré les dolipranes, je suis toujours à trente-neuf. Je n'ai donc pas d'autre choix que de retourner aux urgences, comme on me l'a indiqué au téléphone.

Je suis reçue par l'assistante du chef de service. C'est une jeune femme sensiblement de mon âge, avec un accent slave. Elle a des manières froides et une voix sèche, mais elle se montre douce dans ses mouvements et ses explications. Je fais un test sanguin et un test urinaire, puis j'attends, anxieuse, de savoir quel est le nouveau problème. Mes nerfs sont à bout, je tremble. Je ne supporte plus cette poche qui me suit partout, ni cette cicatrice au bas du ventre qui me plie en deux. Je devine qu'elle aussi, elle sait ce qui m'est arrivé. A la façon dont elle évite mon regard, je sais qu'elle a des choses à cacher, comme tous les autres. Au bout d'un long silence, je lui demande enfin :

— Qu'est-ce qui m'arrive ?

Elle semble gênée.

— Rien, ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer. Vous êtes une gentille patiente, les choses doivent bien se passer pour les gentilles patientes.

Je ne comprends pas ce qu'elle raconte. J'imagine qu'il s'agit de la barrière de la langue. Lorsque les résultats arrivent enfin, ils nous révèlent la même chose que d'habitude : infection urinaire. Elle me dit que c'est sans doute lié à la sonde, que c'est courant, que je n'ai pas besoin de m'inquiéter. Tout finira par rentrer dans l'ordre, il faut du temps. Elle me donne un nouvel antibiotique, plus fort, en prendre en deux fois, à une semaine d'intervalle. Il va sûrement me rendre un peu patraque, mais je dois prendre les deux doses, c'est nécessaire. J'acquiesce mollement. J'ai été transfusé deux fois et j'ai eu des cathéters aux deux bras pendant presque quinze jours. On n'arrive même plus à me piquer tellement mes veines sont abîmées. Mes bras sont violets. Alors prendre un sachet de poudre à une semaine d'intervalle, non, vraiment, ça ne me paraît pas insurmontable.

— On se revoit la semaine prochaine ? Mercredi ?

— Non, pas mercredi, je ne pourrais pas. Je dois garder les enfants.

Elle lève un sourcil étonné.

— Vous n'avez pas d'enfant ? dis-je à brule-pourpoint.

Son regard bleu se voile.

— Si, j'ai un fils de sept ans, mais il vit en Slovénie.

Sa tristesse est palpable.

— Vous ne le voyez pas ?

— Une à deux fois par an. Je dois être ici, pour le travail. Je n'ai pas le choix.

Je ne sais pas quoi lui répondre. Elle a un rictus las, puis elle me lance au visage :

— Vous voyez, on a tous nos problèmes.

Je baisse la tête, vaincue. Moi au moins, j'ai mes enfants avec moi.

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