Maternité animale

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— Je suis crevé, je vais dormir sur le canapé.

Comme d'habitude. Je suis rentrée de la maternité il y a deux jours. Le linge à plier m'attendait en boule sur le lit et la maison n'avait pas vu d'aspirateur depuis mon départ. Avec les deux garçons, Florent, débordé, n'a pas eu le temps de faire ménage. J'ai donc dû le trouver, moi, ce temps, avec deux garçons et un bébé. Je dois être magicienne.

Gabriel est magnifique, il ressemble à Louis. Blond aux yeux bleu foncé, il est aussi joufflu que l'on peut l'être. Et cette fois, j'ai réussi mon allaitement. C'est une sensation formidable d'être cette mère nourricière, comme si lui et moi, nous étions encore un peu liés biologiquement. Ma maternité est animale. La mère que je suis reconnait son chaton à l'odeur, à la douceur de sa peau, à la tonalité de son cri. La peau d'un bébé est à la fois douce et ferme, chaude et fraîche, enivrante et inodore. L'amour que je porte à mes enfants est fusionnel, envahissant, écrasant. Maternel.

Gabriel, je lui offre mon lait et je savoure le contact de son crâne près de mes épaules. Il n'a que peu de cheveux, mais je caresse avec extase le fin duvet clair qui lui recouvre le crâne. Et je laisse chaque cheveu passer entre mes doigts, doucement, avant de répéter cela encore et encore. Une fois qu'il me quitte, rassasié, j'aime à l'embrasser tendrement sur son front de nourrisson, encore fragilisé par sa fontanelle, précieux vestige de notre fusion passée.

J'aime l'embrasser partout. Sur le ventre, sur les cuisses, sur les mains. Chaque baiser sur un de ses plis douillet est une source de sons cristallins, communicatifs, étincelants. A chacune de ses réactions, je sens mon cœur se soulever, littéralement. Comme si quelqu'un le prenait de ma poitrine pour le porter plus haut, dans ma gorge, dans mes yeux. Chaque moment de bonheur passé ensemble est un souffle de vie primaire, viscéral.

Le soir, quand il dort, je me glisse dans sa chambre à pas de loup et je l'embrasse parfois sur le pli de la paupière, là où sa peau si neuve est déjà fripée. D'autres fois, je pose mes lèvres sur son nez, qui disparait presque tout entier sous ma bouche.

Quand il tête, je sens les petits cheveux qui poussent dans ma nuque se soulever au son de chacune de ses respirations, et j'entends mon cœur se mettre progressivement au diapason du sien. Ces moments-là sont éternels.

Et ils ne sont qu'à nous deux. Florent a décidé de prendre ses quartiers sur le canapé toutes les nuits, pour ne pas être dérangé. A notre retour de la maternité, je n'ai presque pas dormi de la nuit. Lui, oui. C'est comme si j'avais fait un bébé toute seule.

Le mois prochain, nous irons présenter notre fils à mes parents et à notre belle famille. Gabriel a à peine deux mois, mais je n'ai même pas eu le courage de protester. Nous traverserons la France dans notre nouvelle voiture, pour contenter le père de Florent, qui a décidé qu'il devait en être ainsi. Je redoute déjà ces longues heures de route, où il pestera contre les autres automobilistes, le climat, le trafic et bien sûr les enfants. Jamais assez sages, jamais assez silencieux. Jamais assez parfaits. Comme leur mère, en somme. Je me demande encore et toujours pourquoi il reste avec moi.

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