Un long week-end

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— On ne peut pas faire autrement, j'ai déjà payé !

Je hoche la tête. Bien sûr. Je sais que cela ne sert à rien de rester à Paris et de priver toute la famille de ce petit week-end inattendu. Nous ne partons presque jamais, comment les empêcher d'en avoir envie ? J'ai fait ma dernière prise de sang hier, et j'attends les résultats dans la journée. Je suis terriblement angoissée. Chaque minute qui passe est une véritable souffrance. Même les babillages de Louis, ravi de partir en vacances pour une des premières fois de sa vie, m'agacent.

— Bon, on y va ? On va finir par rater l'avion !

Répondeur. Je n'arrive pas à avoir le laboratoire. J'essaie de les joindre depuis que je suis levée, mais jamais personne ne décroche. Je range mon téléphone dans mon sac et tente de toutes mes forces de sourire.

— Allons-y !

Le hall d'embarquement est bondé, plusieurs vols ont du retard. Tandis que Florent, assis, joue sur son téléphone, j'essaie une nouvelle fois d'appeler le laboratoire, tout en tentant de maîtriser mon petit blond qui menace à chaque seconde de s'échapper. Il est surexcité.

— Laboratoire Delaunay, bonjour ?

Enfin ! J'explique brièvement ma situation et communique mon numéro de dossier à la jeune femme qui vient de me répondre. Elle est sceptique.

— Ah non, mais normalement, je ne peux pas vous donner des résultats par téléphone...

— Je sais, mais j'en ai parlé à la personne qui m'a fait la deuxième prise de sang, elle m'a dit qu'exceptionnellement...

— Ah ben je ne sais pas pourquoi elle vous a dit ça, parce qu'on n'a pas le droit...

— Mais j'ai seulement besoin de savoir si mon taux d'hormones a doublé ! C'est très important, madame, je vous en supplie !

Au bout du fil, je sens qu'elle hésite. J'insiste à nouveau, puis j'entends le bruit des touches d'un ordinateur en arrière-plan.

— Je vais vous passer quelqu'un d'autre.

Je vais enfin savoir.

— Mon taux a doublé !

— Alors, c'est bon ?

J'ai les larmes aux yeux. Louis vient de s'enfuir à nouveau et je le rattrape de justesse avant qu'il ne s'engouffre pour la quatrième fois dans le Duty Free où il a déjà failli renverser deux étals de parfum. Lorsque je reviens vers lui, Florent lève enfin les yeux de son téléphone pour me regarder.

Il a l'air ému.

— On va avoir un bébé ?

J'hoche la tête, ravie.

— Oui !

Le soleil est radieux et Dublin est sublime. Nous avons passé notre première journée à nous promener dans les rues de la capitale irlandaise, sans autre but que de passer du temps ensemble. Aujourd'hui, nous parcourons les principaux monuments. Je ne peux m'empêcher de penser à ce petit être qui grandit dans mon ventre. Est-ce que ce sera une fille ou bien un garçon ? J'imagine déjà un poupon dodu, blond aux yeux bleus, semblable en tout point à mon premier bébé. Il faut profiter de la ville, car nous repartons demain matin. Le soir, pourtant, je me sens fatiguée.

— Qu'est-ce que tu racontes, tu es à peine à quelques semaines ?

C'est vrai, je n'ai aucune raison de l'être. C'est sans doute le contre-coup de toutes ses émotions.

— C'est rien, ça va passer !

Nous mangeons le pique-nique que nous avons pris soin d'acheter avant de rentrer à l'hôtel, puis nous nous installons tous les trois sur le lit, devant la télévision, pour regarder Grease qui passe à la télévision irlandaise. Louis ne comprend rien, mais la musique et la danse l'amusent. Je me lève subitement. Je sens quelque chose couler entre mes cuisses.

— Où tu vas ?

— Faire pipi.

Quelques secondes plus tard, je regarde hébétée, sur le papier toilette rose de l'hôtel ce que j'avais déjà deviné. Je suis en train de perdre du sang.

A peine sommes nous sortis du parking de l'aéroport que nous nous dirigeons déjà vers l'hôpital devant la porte duquel Florent me dépose avant de rentrer. J'ai appelé sur le chemin, j'ai de la chance, c'est mon gynécologue habituel qui me recevra. La salle d'attente des urgences est vide et peu éclairée. Je n'arrive à penser à rien. Je n'ai pas perdu de sang depuis la veille mais une petite voix me dit que j'ai perdu mon bébé. J'ai sans doute été imprudente. J'ai beaucoup marché, je ne me suis pas reposée depuis mon test de grossesse. Florent n'est pas souvent là, et je jongle entre Louis, les cours à préparer et à donner et surtout les longues heures de transports en commun. Mais qui peut se reposer avec un enfant de deux ans et demi ? J'ai beau essayer de me raisonner, je me sens coupable.

Florent m'assure que si cela n'a pas marché, ce n'est pas grave, que la vie est bien faite. Si le petit ne s'est pas accroché, c'est qu'il y a une raison. J'aurais d'autres chances. J'ai eu beau acquiescé, je ne comprends pas ces affirmations. Comment peut-il être aussi détaché face à la situation ? Je fixe le siège en plastique orange qui me fait face, comme si des réponses pouvaient venir de lui. Lorsque le gynécologue vient me chercher, je réalise que je pleure silencieusement. Je ne l'avais même pas remarqué.

— Il va très bien.

— C'est son cœur ?

— C'est son cœur.

— Mais...le sang ?

— Ce sont des choses qui arrivent parfois... Ménagez-vous. Tout va très bien se passer.

L'ascenseur émotionnel, cette fois, est trop puissant. Je fonds en sanglots bruyamment.

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