La sueur et le sang

4 minutes de lecture

J’enlève mon soutien-gorge blanc et regarde, étonnée, la petite trace de sang qui recouvre le bonnet. C’est la deuxième fois que cela m’arrive cette semaine et ça commence vraiment à m’inquiéter. Je regarde la tâche une nouvelle fois, mais je n’ai pas le temps de m’ y attarder. Un grand bruit me parvient du salon : Louis doit être en train de faire des bêtises. J’enfile un t-shirt à toute vitesse et rejoins mon petit garnement de dix-huit mois qui vient de faire tomber une pile de livres sur le sol. Nous les ramassons ensemble, puis je vais dans la cuisine préparer le repas. Assis sur sa chaise haute, mon petit blond m’observe, et, comme à chaque fois qu’il pose les yeux sur moi, une boule de tendresse explose dans mon cœur. Physiquement. J’espère qu’il fera la sieste aujourd’hui. J’ai un cours à préparer pour demain, et je n’ai pas envie de me rater. La boîte pour laquelle je travaille m’a donné un cours de français avec une adulte qui passe un concours dans l’administration. C’est un sacré challenge pour moi, mieux payé que d’habitude, et aussi bien plus intéressant. Si je réussis, j’espère pouvoir avoir d’autres adultes par la suite. Je dois rencontrer la personne ce soir, mais je n’ai toujours pas eu le temps de préparer quoi que ce soit. Louis n’a pas dormi hier, ni avant-hier. Si c’est encore le cas aujourd’hui, je ne vois vraiment pas quand je vais trouver le temps de potasser.

Je vérifie encore une fois mon sac, puis l’horloge du salon. Louis s’est endormi très tard, et je n’ai eu le temps que de griffonner quelques notes sur une feuille, j’espère que je parviendrai à faire illusion. Il dort encore, de ce sommeil d’enfant rassurant, mais je ne peux plus continuer mes recherches. En fait, je devrais déjà être dans le RER depuis dix minutes. Ça fait six fois que je tente de joindre Florent, mais il ne me répond pas. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé, il sait pourtant que je ne veux pas être en retard aujourd’hui, je lui ai dit plusieurs fois à quel point ce premier contact était important pour moi. Je navigue entre la fenêtre du salon et celle de la cuisine, indécise. Est-ce que je dois prévenir de mon retard ? Mais comment le justifier ? Aurais-je dix minutes de retard, vingt, trente ? J’essaie une nouvelle fois de joindre Florent, mais il est toujours sur répondeur. Mon angoisse monte. Pour mon mari, mon cours, et ce retard inconnu que je n’arrive pas à évaluer. Tout s’embrouille dans ma tête. Les yeux rivés sur la petite aiguille, je regarde les minutes passer.

— Bonjour, c’est Bénédicte, l’intervenante qui devait venir chez vous aujourd’hui. Je suis navrée, j’ai eu un empêchement…

J’entends la voix contrariée de la dame au bout du fil, et j’essaie malgré tout de faire bonne figure. Une demi-heure est passée, et Florent n’est toujours pas arrivé. J’ai appelé à son travail, où on m’a assuré qu’il était parti à la même heure que d’habitude. Les pires scénarios s’échafaudent déjà dans mon esprit. Voyant que je ne serai pas du tout à l’heure, j’ai préféré annuler ce premier cours. De toute façon, je n’étais pas prête. La personne a été polie, mais j’ai compris qu’elle n’appréciait guère cete annulation de dernière minute. J’espère qu’elle ne choisira pas quelqu’un d’autre.

Une heure plus tard, j’entends la clé tourner dans la serrure.

— Tu étais où ?

— Au boulot, gagner notre croûte à la sueur de mon front, grommelle-t-il.

Vu sa tête, je devine que quelque chose ne va pas, pourtant je ne peux pas m’empêcher de le prendre à partie :

— Tu devrais être là depuis une heure ! J’avais mon cours aujourd’hui, tu aurais pu prévenir !

— Ben, t’as annulé, non ?

— Oui, mais au dernier moment, c’est…

— Attends si tu fais ce boulot merdique, c’est bien pour gérer tes horaires, non ?

Je le regarde, interdite. Je ne le trouve pas si merdique, moi, mon boulot.

— J’ai appelé ton boulot, ils ont dit que tu étais parti comme d’habitude.

Florent hausse la voix.

— Ils disent n’importe quoi, c’est des connards !

— Enfin si t’es parti comme d’habitude, t’étais où ?

Cette fois, il hurle pour de bon :

— Oh, tu vas pas commencer à me faire chier, j’ai mal à la tête !

Immédiatement, j’entends Louis qui riposte. Il l’a réveillé.

— C’est malin !

Je vais aussitôt dans la chambre pour rassurer mon bébé. Lorsque je reviens dans le salon, Florent a disparu. Je le trouve allongé dans notre chambre, les rideaux tirés.

— Tu fais quoi ?

— Je me repose, je suis crevé.

— Mais j’ai un autre cours moi après !

— Ben annule ! Moi, je dors.

Louis s’agite dans mes bras pour aller embrasser son papa, mais apparemment celui-ci n’en a aucune envie. Recroquevillé sous la couette, il me fait signe de sortir de la pièce.

— On peut se reposer ici, oui ou merde ?

Mon bébé dans les bras, je sors, puis je passe un coup de fil pour annuler mon deuxième cours. Florent est fatigué. Je me suis levée trois fois cette nuit, pour border Louis, relire des notes et aller faire pipi. A chaque fois, il ronflait éperdument. Il s’endort à 20H00 et se lève à 6H00. Sans interruption. Mais lui, il doit se reposer. Quand Louis m’adresse un sourire, ma colère fond comme neige au soleil.

Il m’a tout de même fait le plus cadeau du monde.

Annotations

Vous aimez lire Eva Bloon ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0