Déprime

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— Tu n'es pas sortie de la journée ?

— Pour aller où ?

Depuis notre retour, j'ai envoyé une cinquantaine de CV. Je bénis l'aire informatique qui me permet d'économiser les frais postaux. Hélas, je n'ai toujours pas reçu de réponse positive. Pas même une convocation à un entretien. Je désespère.

— Tu pourrais aller m'acheter un paquet de cigarettes ?

Florent secoue la tête.

— Tu te fous de ma gueule ? C'est au bout de la rue !

— Je sais, mais je suis en pyjama...

— Ouais, ben justement, à quinze heures, il serait peut-être temps de t'habiller. Et de te doucher. Tu pues ! Et franchement je ne voudrais pas être désagréable, mais à traîner comme ça sans rien foutre, j'ai l'impression que tu as encore pris du poids, non ?

Ce n'est pas une impression. Je fume, je bouffe et je consulte les petites annonces. C'est mon seul et unique programme de la journée. Mais ce que je n'arrive pas à expliquer, c'est que je n'arrive plus à passer la porte de notre appartement. C'est physique. Chaque soir, cela donne lieu à de nouvelles disputes.

— Je te dis que j'ai peur de sortir.

— Mais peur de quoi ? T'es conne ou quoi ? Qu'est-ce que tu veux qu'il t'arrive entre ici et le bureau de tabac ?

Rien. Tout.

Je me sens inutile, moche et grosse. L'idée que des gens puissent poser leur regard sur moi me répugne. Je me répugne.

— Tu veux pas venir avec moi ?

Florent me regarde avec désespoir.

— Je viens d'arriver, j'ai envie de me poser !

Je ne sais pas pourquoi, mais quand il est avec moi, ça va. Comme si sa présence à mes côtés me donnait une consistance, une raison d'exister. Sans lui, j'ai la sensation d'être difforme, obèse et repoussante. J'essaie de le lui expliquer, mais il se moque de moi.

— C'est bon ! Bouffe un peu moins de conneries déjà, ça sera un bon début !

Je n'insiste pas. Je n'ai plus de cigarettes et la perspective de passer la nuit sans fumer m'angoisse. Je dors de moins en moins. Florent ne veut pas que je fume dans l'appartement, mais souvent, quand il dort, j'en grille une discrètement à la fenêtre. C'est plus fort que moi. Je m'assieds près de lui et commence à me ronger les ongles. Au bout de quelques minutes, il cesse de regarder le téléviseur pour se concentrer sur moi.

— Tu vas faire ça longtemps ?

— Quoi ?

— Ce bruit.

— Pardon.

Je plonge mes mains sous mes fesses, mais quelques minutes plus tard, sans même m'en apercevoir, je recommence.

— Putain, tu fais chier.

— Pardon !

Nerveusement, il se lève et remet sa veste en jean.

— Tu vas où ?

— T'acheter tes clopes, feignasse !

Je le regarde sortir en pleurant. Je me déteste.

— Et si, on partait à l'étranger ?

Cela fait maintenant cinq mois que j'ai démissionné, et je n'arrive pas à retrouver un poste équivalent à celui que j'ai perdu. Florent me pousse à retourner dans les boîtes d'hôtesse, mais je n'en ai pas la force. Au prix de redoutables efforts sur moi-même, j'ai fait quelques missions d'intérim, ici ou là, mais rien qui débouche sur quelque chose de stable. Je recommence aussi à donner des cours, plusieurs fois par semaine. Je ressens toujours un véritable mal être quand je sors de chez moi, mais le fait de retourner au contact des autres m'a permis de le dépasser.

— Tu veux partir où ?

— Je sais pas, en Espagne, en Irlande... Ce serait pas génial d'avoir une expérience à l'international ?

C'est une idée que je fomente dans ma tête depuis quelques semaines déjà, mais je redoutais de lui en parler. Il a déjà eu tellement de mal à traverser la France, je ne suis pas certaine qu'il adhère à ma proposition. Pourtant, son regard s'allume au-delà de mes espérances.

— L'Irlande, ouais ! Tu sais qu'il y a plein de super restaus à Dublin ?

Non, je ne le savais pas.

— Et à ce qu'il paraît, dans la restauration on est hypers bien payés, là-bas !

Je ne le savais pas non plus. Mon idée à l'air de le séduire au-delà de mes espérances.

— Tu pourrais prendre une année sans solde ? Et comme ça, si ça ne marche pas, on rentre ?

Cet argument semble le convaincre totalement.

— Je vais en parler à mes supérieurs.

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