Jalousie

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Il se couche près de moi et j'entrouvre doucement les yeux. Il a terminé tard ce soir. Il a fini par se disputer avec son chef parisien et après divers essais dans des restaurants où il ne s'est pas senti reconnu à sa juste valeur, il a pris un nouveau poste, dans un autre établissement. Il a beau travailler plus près de la maison, il rentre pourtant de plus en plus tard. J'ai essayé de l'attendre, mais je me suis assoupie et mes cahiers me sont tombés des mains. Il m'embrasse tendrement sur le front.

— Tu dormais ?

Je grogne que oui et tente de reprendre le cours de ma nuit. Mais apparemment, il ne l'entend pas de cette oreille. Il commence à m'embrasser dans le cou. Il ne s'est pas encore douché, il sent mauvais. C'est un mélange de graisse et de sueur qui me soulève le cœur. J'essaie de me tourner sur le côté pour ne pas avoir à subir ses effluves nauséabonds. Il n'a pas l'air de comprendre. Une main glacée se glisse sous les draps et s'empare de mon sein droit. Je comprends où il veut en venir. Et je n'en ai aucune envie. Il insiste pourtant. Depuis plus d'un mois, nous n'avons pas fait l'amour. Ses érections sont hasardeuses. Comme nous n'en parlons pas, j'ai l'impression que c'est de ma faute. Je ne lui plais plus. Alors quand il tente une approche, je ne peux m'empêcher de penser à l'échec, et au dégoût que j'éprouverais pour mon corps tout de suite après. Je n'arrive plus à en avoir envie. Les préliminaires sont le plus souvent centrés sur ses désirs, et l'acte en lui-même est fugace et ne m'apporte aucun plaisir. Nos rapports sont rares, mécaniques et répétitifs. Je me dis souvent que je vais prendre mon courage à deux mains et lui dire que je ne ressens rien. Mais après deux ans de mensonge, comment faire ? Je me contente alors de brefs hoquets joyeux, puis je m'endors, frustrée. Quelquefois, quand je suis certaine qu'il est bien endormi, je me masturbe en silence. Je ne sais pas comment il régirait si je lui avouais la vérité. Peut-être que c'est à cause de moi, que je ne suis pas faite pour ça. Depuis que nous habitons ensemble, j'ai pris six kilos. Je comprends que je ne lui plaise plus. Moi aussi, parfois, je me répugne. Alors savoir qu'il a encore envie de moi me donne l'impression d'exister. Quand sa main attrape mon deuxième sein, je comprends qu'il ne lâchera pas aussi facilement. Je regarde la pendule : il est presque une heure du matin. Avec un peu de chance, dans une demi-heure, je pourrais enfin dormir. Sans résistance, je me laisse faire.

— Je me demande si je prends la bleue ou...

Florent me lâche la main et fait quelques pas vers la droite. Je le regarde, interdite. Une grande blonde vient de nous dépasser, et je le vois partir à sa suite, sans se soucier de moi.

— Bébé, tu vas où ?

Il me regarde, décontenancé. Pendant quelques secondes, je crois qu'il avait totalement oublié mon existence.

— Non, mais tu allais la suivre, là ?

— Bien sûr que non.

Il a beau nier, je vois ses yeux qui papillonnent. Ils cherchent la direction qu'elle vient de prendre. Je suis estomaquée, je n'arrive même pas à réagir.

— C'est juste que... Je ne sais pas ce qui m'a pris. Un réflexe.

Le centre commercial est bondé. Je pourrais lui faire une scène ici, au milieu des autres clients. Je crois que je pourrais le gifler, le griffer ou lui sauter à la gorge. Mais je me sens tellement mal moi-même que je n'en trouve pas la force. . Je crois qu'en deux ans de relation, il ne m'a jamais regardé comme il l'a regardé, elle. C'est la première fois qu'il me fait un tel affront. Mon cœur est une plaie béante.

— Ben vas-y, suis-là ! j'articule enfin entre mes dents.

Il me regarde avec étonnement. Je crois même que le temps d'un instant, il hésite. Mais très vite, il reprend ses esprits.

— C'est bon, je l'ai regardé, oui, et alors ?

Je suffoque.

— Regardé ? Mais tu étais carrément sur le point de la suivre !

— N'importe quoi. Bon tu la prends ta putain de robe qu'on en finisse ?

La vendeuse nous regarde bizarrement. J'ai honte. Je décide finalement de ne rien prendre et je sors de la boutique comme une furie. Je lutte pour ne pas craquer, mais une fois dans la voiture, je lâche les digues et hurle comme une hystérique. Il prend la chose à la légère et me dit que je réagis comme une cinglée. Le pire, c'est que je ne lui donne pas entièrement tort. Il a peut-être raison après tout, il ne s'est rien passé.

Une fois arrivés à l'appartement, ma colère ne s'est pas tarie. Je continue à ressasser ce regard et à tenter de verbaliser toute la douleur qu'il vient de me faire subir. Florent réagit à peine. Pendant que je le supplie de me dire qu'il m'aime encore, il allume la télé. Je me jette entre lui et l'écran pour avoir une discussion, mais il m'écarte d'un brutal revers de main. A nouveau, il me traite de folle. Je ne lâche rien et m'empare de la télécommande pour la lancer au loin sur le canapé. Cette fois, il réagit enfin.

— On va pas passer la soirée là-dessus, pour une fois que j'ai un week-end !

C'est vrai, pour une fois, nous devions passer deux jours ensemble, sans cours, révisions ou boulot. Un week-end entier, dans la restauration, c'est presque inespéré. En prévision de ces deux jours en tête à tête, j'ai abattu un trail de titan cette semaine. Je suis sans doute un peu fatiguée. Je le lui dis. Mais cette fois, c'est lui qui ne desserre pas les dents.

— Si c'est pour passer deux jours à se prendre la tête...

Je ne réponds pas. Je me sens coupable. Soudain, il se lève et attrape un sac à dos.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Je pars en week-end.

— mais où ça ?

— Je vais passer deux jours chez mes parents. Ça va me faire du bien.

Je le regarde, éberluée. Il ne va pas quand même pas faire 1700 bornes en deux jours, seulement pour fuir notre discussion !

— Attends, c'est ridicule, tu vas pas faire l'aller-retour dans le week-end!

— Je m'en fous. J'ai besoin de prendre l'air.

Sous-entendu, je l'étouffe. Je me mords la lèvre pour ne pas hurler. En quelques minutes, il a réuni quelques t-shirts, son chargeur et des sous-vêtements. Il n'a pas l'air de vouloir changer d'avis.

— Mais tu ne vas pas me laisser toute seule ?

— Ben faudrait savoir, tu te plains tout le temps que tu ne peux pas bosser, là au moins tu seras peinard !

Je voudrais rester forte et stoïque. Lui monter que sa petite crise de nerfs ne m'atteint pas, que son départ n'a aucune importance. Au lieu de ça, je fonds en larmes. Je sanglote comme un bébé et je m'entends lui demander de rester. Il hausse les épaules.

— Ca nous fera du bien, dit-il en m'embrassant nonchalamment sur le front.

Une seconde plus tard, il n'est plus là.

Je tourne en rond dans l'appartement. Je n'arrive pas à croire qu'il vient de se volatiliser en seulement quelques minutes. J'ai même regardé par la fenêtre pour vérifier si sa voiture rouge n'était pas encore garée là, en face de la fenêtre. Comme s'il avait tout imaginé pour me rendre dingue mais qu'il allait revenir. Je me demande même si ce n'est pas ce qui va se passer. Une heure plus tard, je me rends enfin à l'évidence. Il est parti. 

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