Chapitre 1

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La sensation qu'une trappe s'était ouverte sous mes pieds me réveilla. Aussi efficace qu'une bassine d'eau glacée que l'on m'aurait renversé sur la tête, je me retrouvais aux aguets, tous les sens en éveil près à détecter la moindre menace. Mais il n'y avait rien. Rien d'autre que la chair de poule qui tenait encore les poils de mes bras dressés ne prouvait que quelque chose s'était retourné dans mon for intérieur.

Je pris le temps, immobile de scanner les environs, mais tout était calme. La nature ne dérogeait pas à ces habitudes nocturnes ; les chouettes hululaient, les arbres discutaient et la lune veillait sur nous. Mes sens crochetèrent l'esprit de mon petit frère à l'étage du dessous, qui dormait paisiblement. Presque instinctivement, je remontai le fil d'énergie qui reliait son énergie à son esprit, je m'arrêtai en prenant conscience de ce que je faisais. Observer ses rêves serait très intrusif et malpoli, d'autant que je n'avais aucune envie de savoir de quoi il rêvait. Ou peut-être que si, mais je ne le fis pas. Néanmoins, le contact de nos énergies apaisa un peu de l'adrénaline qui coulait encore dans mes veines, faisant battre mon cœur à tout rompre.

Incapable de rester immobile en attendant que l'épée de damoclès veuille bien me tomber dessus, je descendis dans le salon boire quelque chose de chaud. J'avais l'espoir que ça éliminerait les traces du froid de la peur qui m'avait traversée au réveil, mais il était toujours là, cherchant à me paralyser. Mes cauchemars faisaient partie intégrante de mon quotidien, mais ils ne me réveillaient jamais en sursaut. Et cette sensation, qui s'accrochait à moi, me donnait l'impression qu'une alarme hurlait dans mon esprit, m'alertant que quelque chose n'allait pas. Je soufflai un bon coup et m'extirpai de mon lit la tête emplie de questions. Je savais pouvoir me fier à mon instinct, des siècles de vies m'avaient apprise à écouter mes sensations et à écouter ce qu'avait à dire "ce qui ne peut être vu." Mais les intuitions n'étaient jamais claires, ce n'étaient que des suppositions qu'il fallait que je formule.

J'avais quelques hypothèses, et je passais une partie de la fin de la nuit à la réfuter, sans réussir à mettre le doigt sur la source de l'écho qui résonnait dans mon esprit hurlant : "danger !". En état d'hypervigilance, je sursautai lorsque mon téléphone sonna à l'aurore. Et je sus que j'étais, malgré moi, sur le point de plonger tête la première dans les problèmes et qu'ils allaient me coller à la peau.

" Eleryna. Que se passe-t-il ?" Demandai-je en décrochant. Béa qui m'appelait au lever du soleil ? Je n'eus même pas besoin d'entendre ce qu'elle avait à dire pour savoir de quoi il retournait. Elle utilisa le ton de sa voix impersonnel pour me répondre, le ton professionnel, celui que l'on utilise pour prévenir qu'un corps a été trouvé.

"Un corps a été retrouvé, à côté de la zone industrielle, dans la rivière". Elle n'ajouta rien, je lui répondis que je me mettais en route, les sommant de laisser autant que possible la zone telle qu'ils l'avaient trouvée. Je laissais un post-il à Aithlin, mon frère, près de la machine à café, là où j'étais sûre qu'il le trouverait.

Je n'avais pas comme indication sur l'identité de la victime uniquement "un corps", ainsi toute sortes de questions triturèrent mes méninges sur la route. Qui était l'être surnaturel entre la victime et le meurtrier ? J'étais la directrice de l'USSAC, une Unité Spécialisée dans les Crimes impliquant au moins un être surnaturel. L'unité avait pour objectif de prévenir les crimes perpétrés par et/ou sur des êtres surnaturels, ou bien d'enquêter et d'arrêter l'auteur des crimes ayant déjà été commis. L'autre chose dont j'étais à peu près certaine, c'est que la victime avait été tuée pendant la nuit, la zone industrielle était pleine le jour jusqu'à tard, n'importe qui aurait remarqué un corps. Donc cela avait dû se passer lorsque la zone était vide, très tard. Qui avait bien pu tuer quelqu'un dans une zone industrielle au milieu de la nuit, était-ce une transaction de drogue qui avait mal tourné ? Ou un conflit professionnel ? Je pouvais me questionner autant que je le souhaitais sur l'identité de ma victime, la réponse n'était cachée nulle part autre que sur la scène de crime, et je ne pourrai pas obtenir de réponse l'avoir atteint, ainsi, je calmai mon esprit en ébullition sur le reste du trajet.

Alors que j'arrivais près de la rive, j'aperçus plusieurs gyrophares provenant de véhicules des agents de sécurité, et du personnel liés aux secours. Je coupais le contact et sortis de ma voiture précipitamment, je passais sous la banderole jaune sans que personne ne me retienne. Les gardiens de la paix m'offrirent des hochements de tête respectueux sur mon passage, que je remarquai à peine, les yeux rivés sur le petit corps qui se dessinait devant moi.

En détournant mon regard de la victime, je repérai assez facilement Béa. Ce n'était pas le fait qu'elle ne portait pas d'uniforme qui m'aida à la localiser, mais sa petite taille. Je ne comprenais toujours pas comment une louve pouvait être aussi petite sous sa forme humaine. Mais ça ne l'empêchait pas d'avoir la force d'un ogre en colère ainsi que leur caractère bien trempé, qui lui ont value le poste mérité de responsable sécurité du secteur. Je me dirigeai directement vers elle.

Alors qu'elle semblait donner ses directives à l'un des membres de son équipe, je lui offris une petite tape sur l'épaule en guise de salutation formelle. "C'est une enfant. Pas vrai"? Demandais-je tout en sachant pertinemment que la réponse serait positive. Béa hocha la tête en me faisant signe de me rapprocher de l'enfant.

"Nous avons appelé l'Unité à l'instant où le corps nous a été signalé, commença-t-elle, c'est un transporteur qui l'a repéré flottant dans l'eau de la rivière en allant au travail vers 5 h 30 du matin."

Je fis un tour sur moi-même pour observer la zone, la rivière devait faire 3 mètres de large, elle était cachée dans le creux d'un talus d'herbe, lui-même surplombé par une petite barrière sans doute pour empêcher un véhicule de tomber dedans. Et nous devions être à plusieurs dizaines de mètres du premier entrepôt observable. Je fronçais les sourcils, perplexe et suspicieuse.

"Comment a-t-il fait pour la repérer aussi loin des entrepôts ?"

Béa regarda les dits bâtiments, semblant évaluer la distance qui nous séparait d'eux, comprenant les sous-entendus de ma question.

"Il fumait une cigarette, là, accoudé à la barrière, comme tous les matins visiblement". Ajouta-t-elle en désignant les mégots de cigarette qui jonchaient la zone où nous nous trouvions. Un jeune homme était en train d'en prélever plusieurs échantillons dans un sachet en plastique.

Je hochai la tête satisfaite par sa réponse. "Avez-vous fait appel à une manipulatrice des Énergies pour évaluer la zone"? Demandais-je ne voyant personne ne correspondant à ce que je cherchais.

"Nous t'avons toi". Elle sourit en haussant un sourcil narquois, puis elle me résuma ce qu'elle savait pour l'instant. C'est une petite fille n'ayant visiblement pas dépassé les 10 printemps. Lorsque le transporteur l'avait découverte, son corps était bloqué dans des racines d'arbres à son niveau. Le courant était trop fort pour qu'il puisse la sortir, et a dû faire appel à l'équipe de secours et de sécurité. Néanmoins, ça n'aurait pas changé grand-chose qu'il l'ait sortie plus tôt de l'eau, elle était à mon avis morte déjà depuis plusieurs heures. Nous étions en plein dans la période annuelle des inondations ; le lit de la rivière était bien plus large qu'habituellement et son courant bien plus vif, je ne pouvais pas imaginer combien de kilomètre son corps avait parcouru, mais j'étais certaine que la scène de crime ne se trouvait pas dans les parages.

Le médecin légiste nous en dirait plus après une analyse plus poussée, mais le corps ne semblait pas encore porter les stigmates propres à un corps ayant été retenu plusieurs jours dans l'eau. Son corps frêle d'enfant n'était pas décomposé, mais ces vêtements étaient partis en lambeaux.

"A-t-elle été ..."

"Violée"? Compléta Béa avec une grimace, "Non". Un sentiment de soulagement me traversa. J'en avais vu des horreurs au cours de ma vie, mais ça ne signifiait pas que je m'y étais habituée. Comme quoi l'habitude n'allégeait pas l'impact de certaines atrocités. Parmi les horreurs que je ne pouvais pas concevoir, les abus sexuels à l'encontre d'enfants étaient en haut de la liste.

J'observai l'empreinte qu'avait laissée le couteau qui l'avait transpercé en plein cœur. Rien de tout ceci n'avait de sens. Comment quelqu'un pouvait-il ressentir assez de haine contreun enfant pour pouvoir lui planter une lame dans le cœur ? Mon travail consistait à résoudre des enquêtes, des mystères, mais je n'obtenais jamais de réponses à ce type de questions.

Je continuais mon observation sur le visage de notre inconnue. Et quelque chose me frappa, durement, et les pièces du puzzle s'imbriquèrent dans mon esprit. Elles se rassemblèrent en quelque chose que je ne formulai pas directement. L'expression de son visage était figée par la terreur ; ses lèvres étaient ouvertes dans un hoquet muet horrifié, ses yeux étaient écarquillés de peur, et les traits de son visage étaient tirés vers l'arrière de sa tête. On aurait dit qu'elle avait vu l'ange de la mort en personne, je savais que la réponse ne se trouvait pas là, mais elle n'en était pas éloignée.

"Elle l'a vu", affirmai-je et mon amie acquiesça, elle en était arrivée à la même conclusion. Je n'avais même pas besoin de scanner son énergie, je savais que la peur avait pollué tout ce que j'aurais pu y trouver en temps normal.

"Appelle une manipulatrice d'énergie, demande lui de vérifier l'énergie de l'enfant, ainsi que les alentours" déléguai-je à Béa, je n'avais pas la force de m'en charger, je savais déjà qu'elle ne trouverait rien sur place parce que le crime n'avait pas été commis ici, et que l'énergie de la victime ne pourrait rien nous apprendre. Néanmoins, quelqu'un devait vérifier que mes intuitions étaient bonnes, et j'avais décidé que ça ne serait pas moi.

Je crochetai du regard l'un des membres de l'équipe de secours. "Pouvez-vous couvrir le corps délicatement en attendant la manipulatrice d'énergie et notre morgue"? J'étais profondément mal à l'aise à l'idée que cette enfant soit à moitié nue et aussi vulnérable à la vue de tous.

"J'imagine que c'est Jay qui va s'en occuper"? Demanda l'air de rien Béa.

"Hum, hum" acquiesçai-je en souriant. Je savais qu'ils avaient eu une histoire ensemble et que Jay, mon médecin légiste, s'était très mal comporté. Je n'avais jamais su exactement ce qu'il s'était passé, aucun des deux n'avaient voulu me l'avouer, l'un par honte et l'autre par colère et humiliation. Maintenant, ils ne m'avaient peut-être rien dit, mais j'étais directrice de l'USSAC depuis plusieurs siècles, et je faisais partie de la haute société depuis encore plus longtemps pour savoir lire entre les lignes. Ce dont j'étais certaine, c'est que Jay s'en voulait et avait plusieurs fois essayé de se faire pardonner, et que Béa lui en voulait vraiment - vraiment - beaucoup.

Elle soupira avant de changer de sujet. "Passe à la maison boire un verre, ça nous permettra de nous retrouver autre part que sur une scène de crime", commenta mon amie en désignant tout ce qui nous entourait avec dégoût. "En plus, Marie serait vraiment contente de te voir, ça fait plusieurs fois qu'elle te réclame", ajouta-t-elle.

Marie était sa nièce, la sœur de Béa était morte en couches, et le mari de celle-ci de tristesse, c'était donc à Béa qu'était revenu la charge de cette magnifique et adorable petite fille.

Je réfutais son argument malicieusement, "Dit plutôt qu'elle a envie de voir Klélie et Ambrosya".

"Bon d'accord, mais moi, j'ai envie de te voir". Je plissais des yeux explicitement sceptiques. "Et tes filles aussi" avoua-t-elle en riant.

Nous prîmes la direction de ma voiture en silence, je réfléchissais à la suite des choses, lorsque je pensai aux parents de cette enfant.

"Une fois que nous aurons identifié l'enfant, un membre de mon équipe ira annoncer la nouvelle à sa famille, et j'irai les rencontrer personnellement par la suite". Son visage s'assombrit en pensant au corps gisant près de la berge non loin de nous. Je savais qu'elle pensait à sa propre fille encore si innocente. Je lui serrai le bras de ma main, dans un signe de soutien et d'affection.

J'entrai dans ma voiture la mine aussi sombre que la sienne, des images sanglantes et meurtrières dans l'esprit, je l'arrêterais et lui ferai payer ses crimes, m'en fis-je la promesse. Puis, je pris la direction du QG de l'Unité, chez moi.

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