Chapitre 3: Franc-jeu.

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Chapitre 3: Franc-jeu.

 Le bruit d'une lame s'enfonçant dans le bois fit sursauter Gabrielle, assise dans sa chambre sur un des fauteuils, face à la fenêtre. Se retournant rapidement, elle ne fut qu'à peine surprise de découvrir Armand, debout au milieu de la pièce. Il avait jeté dans sur la commode le rasoir qu'il lui avait confisqué et celui-ci c'était planté dans le bois.

« Tu ne frappes jamais? demanda Gabrielle, retournant la tête vers la fenêtre.

  • J'aime bien pouvoir profiter de t'observer, sans que tu ne t'en doutes, Sourit Armand en venant s'installer à côté d'elle.

La jeune femme le regarda nerveusement, avalant sa salive. Armand portait de nouveau cette veste noire brodée de volutes d'or et une chemise noire, boutonnée jusqu'au cou. Il avait attaché ses long cheveux avec un ruban de la même teinte que le reste de sa tenue. Ses yeux étaient soulignés de khôl, et parsemés de quelques éclats dorés ressemblant aux feuilles d'or que l'on utilise pour les œuvres d'art. Il avait l'air encore plus jeune qu'avant, était-ce seulement possible?

  • C'est à la fois malsain et très gênant, finit-elle par répondre, acide.
  • Je trouve aussi. La prochaine fois, je frapperai…. si j'y pense, avoua t-il dans un sourire incroyablement agaçant.

La fierté la poussa à ne pas sourire, et elle réussit seulement à lever les yeux au ciel. Armand se révélait donc être redevenu provocateur et taquin, comme à leurs premiers échanges. Une petite partie d'elle-même aimait bien cela. Car si auparavant elle avait hésité à lui répondre à cause de la présence de Pierre ou encore par la surprise d'être bousculée à ce point; aujourd'hui, elle ne prenait même pas le temps de se demander si sa réponse était convenable dans la bouche d'une jeune femme. Il voulait jouter? Très bien.

  • Je ne te connaissais pas un goût pour le maquillage.
  • Et moi je ne te connaissais pas le goût du meurtre.

Touchée.

Gabrielle détourna les yeux, serrant entre ses mains le livre qu'elle n'arrivait pas à lire depuis des heures. Après avoir fait sa toilette et enfilé de nouveau une chemise de nuit avec l'aide de Louise, elle était restée là, enveloppée dans une robe de chambre. Près de son lit avait été déposé une pile de livres, elle en avait pris un au hasard, mais elle n'avait rien fait d'autre que rester assise à regarder dans le vide. Elle referma l'ouvrage et le posa à côté d'elle.

  • Tu n'es pas descendu de ta chambre de la journée, déclara Armand, changeant de conversation.
  • Finement observé. répliqua-t-elle, pleine de sarcasmes.

Armand soupira, mais ses yeux pétillaient d'amusement. Egalité.

  • Gabrielle…
  • Armand, singea t-elle.

Il poussa à nouveau un long soupir et s'enfonça dans son siège. Nouveau point pour elle.

  • Nous avons une discussion à avoir. Commença t-il, plus sérieux.
  • Je t'ai dit que je ne voulais pas te parler.
  • C'est pourtant ce que tu fais depuis tout à l'heure.
  • Je n'appelle pas cela une conversation, observa t-elle.

Cet échange-ci n'était qu'une demi victoire à son goût. Gabrielle se leva pour aller se servir un verre de vin. Louise lui avait apporté un plateau repas auquel elle n'avait presque pas touché, hormis pour la boisson. Puis elle revint s'asseoir.

  • Tu n'as vraiment rien à me demander? Rien à me dire? une observation, une critique? énuméra t-il.

Gabrielle ne répondit rien, regardant seulement au dehors les étoiles se lever dans le ciel tout en sirotant son verre.

  • Non? tenta Armand de nouveau.

Encore une fois, Gabrielle s'obstinait dans son silence.

  • Tu pourrais au moins me répondre.
  • Excuse-moi, je ne savais pas que tes questions nécessitaient une réponse à haute voix. Tu semblais plutôt t'écouter parler.

Un peu tremblante de sa propre insolence, elle osa un regard vers Armand, mais celui-ci souriait, les yeux emplis d'une forme de fierté. Elle venait semblait-il, de gagner.

  • Avant, tu ne m'aurais jamais parlé de la sorte.
  • Avant, je pensais savoir qui j'avais en face de moi, répliqua-t-elle, voulant éviter tout rapprochement.
  • Et qui pensais-tu avoir face à toi Gabrielle? demanda Armand, appuyant son menton sur son poing.
  • Un ami. Puis un hypocrite. Et au final, maintenant je ne parle qu'à un inconnu.
  • Je comprends pourquoi. fit doucement Armand.
  • A chaque discussion que nous avions, je te voyais éluder, esquiver mes questions sans être jamais totalement honnête. Et aujourd'hui, même ta façon de me parler n'est plus la même. Je ne sais pas qui tu es, Armand. Ni ce que tu es.
  • Hé bien commençons par cela. Que crois-tu que je suis?

Gabrielle hésita, tout en baissant les yeux, elle but une gorgée de vin pour se donner une contenance. Sans trop savoir pourquoi, avouer à voix haute ces mots-là était presque honteux, voire ridicule.

  • Un vampire. dit-elle dans un murmure.
  • Cela fait un moment que tu t'en doutais, je me trompe?

Il ne niait pas. Gabrielle avait espéré jusqu'au dernier moment que tout ceci ne soit qu'un malentendu. Qu'Ellias ai menti, où qu'elle l'ai rêvé, imaginé... Mais ce n'était pas le cas, Armand n'avait pas dit non. Il en était bien un, tout était réel. Elle reprit alors la parole pour laisser sortir ses pensées:

  • Je me suis souvent posé des questions. Mais la plupart du temps, le bon sens me poussait à en conclure que tu étais … original. Ou bien que je me faisais des idées, que les choses n'étaient que le fruit de mon imagination trop fertile.
  • Cela a commencé quand tu m'as forcé à manger quelque chose à Varengeville n'est-ce pas?

Elle poussa un long soupir avant de poser son verre sur son livre.

  • Tu as une très bonne mémoire. A ce moment, je m'étais fait la remarque que je ne t'avais jamais vu manger. Boire, oui. Mais jamais manger à table avec nous. Parfois, j'entrevoyais une canine dans ta bouche, mais encore une fois, que pouvais-je en conclure? Que tu avais une dentition étrange et c'est tout. Je te voyais en journée, mais je ne me suis jamais fait la remarque que c'était toujours dans des lieux fermés, loin de la lumière du soleil. Ta pâleur était peut-être naturelle, ou bien tu étais malade, inquiet… Toutes ces choses ne pouvaient pas m'amener à comprendre quoique ce soit, vu que je ne pouvais imaginer que des créatures comme toi pouvaient exister. Puis à la découverte d'Ellias, tout ce que tu étais me sautait au visage et je me demandais comment j'avais fait pour ne pas voir l'évidence devant mes yeux. Et en même temps, je refusais d'y croire.

Gabrielle tordait ses doigts dans tous les sens, puis jouait avec les pans de la bande qui protégeait sa brûlure.

  • C'est pour cela que tu m'as retiré mon gant durant la dernière soirée chez moi?
  • J'étais persuadée que ta main serait froide, comme eux. C'était un moment fatidique pour moi, parce que je voulais me confronter à ma peur et te mettre devant le fait accompli. Mais elle était tiède, et cela a semé dans mon esprit un doute raisonnable. Comment as-tu fait? demanda Gabrielle, le regardant.
  • J'ai passé une partie de la soirée près de la cheminée à me réchauffer pour que les gens qui voudraient me serrer la main, ou me toucher l'épaule ne soient pas trop saisis par la température de ma peau, ou juste de mes vêtements. Je n'avais pas bu depuis plusieurs jours et j'étais glacé.

Gabrielle baissa la tête en riant jaune, puis elle commenta:

  • Tout simplement…
  • Aussi simple qu'efficace, expliqua t-il, la voix toujours basse.

Il marqua une pause, semblant laisser à Gabrielle le temps d'intégrer les choses.

  • Je suis désolé de t'avoir menti. D'avoir dû jouer un rôle près de toi. Mais notre existence était un secret très bien caché, jusqu'à il y a peu. Et nous avons pour règle de protéger les nôtres et notre sécurité à tout prix. C'est même une sorte de loi, la première et la plus importante. Un humain ayant connaissance de l'existence des vampires doit mourir ou en devenir un.

Se crispant dans son siège, Gabrielle décroisa les jambes.

  • Que comptes-tu faire de moi?
  • Ton cas est différent. Tu as tué Pierre, notre ennemi, le leader du mouvement de la lutte contre les vampires. Je vais donc tenter de faire accepter aux autres de te laisser simplement tranquille. Nous sommes dans une situation inédite et je pense que certains principes peuvent être assouplis. Cependant, je pense que personne ne voudra que tu ressortes d'ici.
  • Qu'est-ce que tu entends par là? se mit-elle à paniquer.
  • On ne te tuera pas, et on ne te forcera pas à nous rejoindre. Mais on ne peut décemment pas te laisser repartir comme une fleur avec tout ce que tu sais et que tu as vu.

L'intérieur de son corps sembla se liquéfier, la laissant sous le choc.

  • Mais je ne sais rien. Et je n'ai rien vu !
  • Tu sais qui je suis, où j'habite, tu as vu Astrid… Tu connais certaines de mes... capacités. Tu es une bombe à retardement. Même si tu me jurais de garder le secret à vie sur nous et que tu partais, n'importe qui d'un peu sensé qui connais ton visage, car il n'est pas facile à oublier, te livrerai aux bonnes personnes pour te faire parler. Que ce soient des gens de la Ligue, des autorités et va savoir qui d'autre encore…

Les larmes se mirent à couler silencieusement sur ses joues alors qu'elle fixait avec force le mur en face d'elle.

  • C'est un cauchemar… C'est un cauchemar, je vais me réveiller… sanglota- t-elle de plus en plus fort. Mes parents, Pierre, toi, les vampires, tout cela… Je veux me réveiller, pitié…

Ses mains frappaient son front pour tenter de se sortir de tout cela, mais rien ne se passait.

  • Tu as vécu des atrocités, Gabrielle. Plus que beaucoup d'entre nous. Je ne peux que m'excuser de t'infliger tout ceci en plus. Mais je ne peux me résoudre à te voir mourir. Souffla Armand, se redressant pour venir vers elle.

Mais Gabrielle se leva, trébuchant sur ses jambes toutes molles, voulant juste fuir. Il n'y avait plus assez de larmes, plus assez de colère pour faire sortir toute l'injustice qu'elle ressentait au fond de son âme.

  • Non, je t'en prie, laisse-moi.. . Ne me touche pas.»

Armand ne quitta pas la pièce, mais ne dit plus rien. Il était allé se servir un verre de vin, qu'il bu par petites gorgées. Soudain, on frappa à la porte. Gabrielle tourna le dos et tenta d'essuyer ses larmes, voulant éviter de se montrer ridicule devant une personne supplémentaire. Ce fut Armand qui alla ouvrir.

« Maître, un message pour vous. fit la voix douce de Louise.

  • Merci, vous pourrez dire à Astrid que je la rejoindrais plus tard pour la réunion.

Armand enfonça dans sa poche un morceau de papier plié en quatre.

  • Très bien.

Avant que la gouvernante ne quitte la pièce, Gabrielle s'était retournée et revenait vers eux.

  • Attendez, Louise. Les deux habitants des lieux se tournèrent vers elle pour l'écouter. Vous n'êtes pas un vampire vous, comment cela se fait-il que vous soyez toujours vivante? demanda-t-elle, envoyant valser les convenances.

La femme jeta un coup d'oeil vers Armand, qui lui donna son accord sans un mot.

  • Il y a trente ans, j'ai tué quelqu'un qui avait découvert fortuitement l'identité de monsieur de l'Estoile. Il m'a offert le choix de le rejoindre ou d'entrer à son service, je n'étais personne et n'avait plus rien à perdre. Je ne savais ni lire ni écrire, alors je ne pouvais pas l'aider à grand-chose. Je suis donc devenue sa gouvernante.
  • Louise à tué son propre frère pour me sauver. expliqua Armand.
  • Une brute qui en voulait à quelqu'un de bien. ajouta Louise, le regard fier.
  • Vous ne regrettez pas votre choix? Une vie enfermée ici? demanda Gabrielle, les sourcils froncés.
  • Depuis vingt ans je peux aller et venir comme il me semble hors de cette maison. Le maître sait qu'il peut me faire confiance, il l'a lu dans mon esprit. J'ai une vie confortable, un salaire plus que décent et je suis protégée comme nulle autre. dit-elle avec un sourire chaleureux. Maintenant, je pense que les choses vont changer, je serai une cible de choix.

Louise avait dit cette dernière phrase du bout des lèvres, à la fois inquiète mais aussi déçue.

  • D'accord… souffla Gabrielle, un peu sonnée.
  • Merci, Louise. dit Armand, la laissant retourner à ses activités.

Il referma la porte et attendit de nouveau un peu que Gabrielle encaisse tout cela.

  • Je sais que tu me vois comme un monstre, et c'est sûrement ce que je suis réellement. J'ai tué plus de personnes que tu ne peux l'imaginer. De façon aveugle. Mais… sa voix s'étrangla un peu. Ce n'était pas par plaisir, ni par jeu. Seulement pour ma survie. Je sais que je ne t'offre pas la vie que tu rêvais d'avoir ou celle que tu mérites. Mais, je sais également que tu as besoin de paix et de repos. Et cela, je peux te l'apporter. De la sécurité également.»

 Sur le coup, Gabrielle n'avait plus rien à répondre. Alors ils restèrent de longues secondes comme cela face à face, silencieux. Laissant aller ses pensées sans chercher à les retenir ou les diriger. Et d'un coup, la seule chose qui lui vint à faire semblait un peu déplacée, ou étrange. Mais, elle ne put s'empêcher.

Hésitante, elle avança sa main vers celle d'Armand, non gantée, sans un seul regard. Il comprit tout de suite ce qu'elle comptait faire et se laissa toucher. D'abord elle replia ses doigts, surprise et un peu perturbée. Puis elle recommença et prit de façon plus appuyée la main d'Armand contre la sienne. Du bout des doigts jusqu’au poignet, sa peau était froide, si froide…. Et en même temps, parfaitement lisse et douce. Tout s'emmêlait dans sa tête, alors elle poussa un soupir tremblant ressemblant à une première défense qui tombait. Armand n'avait rien dit, il ne respirait même plus lui sembla t-il.

Doucement, elle le lâcha et expira de nouveau, fuyant toujours son regard.

« Prends ton temps, Gabrielle. Si tu me cherches, je serais ici, je ne sortirai pas dans les jours à venir. Repose-toi et mange. Tu es livide et cernée. Je déteste ça.» murmura t-il durement.

Puis avant de partir, il déposa un baiser dans ses cheveux, hésitant une seconde avant de le faire. Et s'en alla sans un bruit en un claquement de doigt, comme s'il s'était évanoui dans l'air.

Gabrielle resta figée sur place longtemps, perdue. Elle aurait voulu ressentir de la colère, car celle-ci lui était devenue très familière et cela aurait été bien plus rassurant. Mais non, rien ne venait et elle ne savait pas trop ce qu'il se passait. Armand s'était ouvert soudainement, pendant longtemps elle avait pensé que cela n'arriverait pas, parce qu'il était quelqu'un de pudique ou de modeste. Mais il l'avait juste baladé, ne répondant jamais réellement aux questions, ne rentrant jamais en profondeur dans les conversations. Les fois où elle avait réellement pu commencer à toucher du doigt ce qu'il était, ce qu'il avait eu en tête pouvaient se compter sur les doigts d'une main. Mais chacune de ces fois l'avait profondément marquée, parce qu'elle avait encore plus aimé ce qu'il était … Jamais elle n'avait su si la proximité qu'elle ressentait entre Armand et elle était réelle, ne sachant si tout cela était le fruit de son imagination débordante et de son cœur amoureux. Mais aujourd'hui, sa façon d'agir était si fluide et naturelle, et en même temps si complémentaire de la sienne.

Elle aurait voulu ressentir cette colère, pour se retrouver ici et voir Armand jouer avec elle. Mais être dans cet état la faisait se sentir en vie, cela repoussait au loin ce qu'elle avait fait à Pierre. La nausée la prit quand une petite partie d'elle-même se mit à lui dire qu'après tout, il l'avait bien cherché et qu'elle avait bien agi.

A suivre...

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