Chapitre 19 : Arianna

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  Cette nuit-là, je ne parvenais pas à dormir. Je me sentais complètement perdue dans ce nouveau monde, bousculée par toutes ces révélations. L’image de Sèvenoir me revenait sans cesse. Comment m’adapter à cette nouvelle vie ? Toute mon existence sur Terre venait de s’effacer, sans ma permission. Je n’allais plus jamais revoir mes parents.

 Je m’effondrai, en larmes, le visage enfoui dans mes mains.

 Un éclat attira mon attention : à travers mes paupières, je percevais comme des éclairs. Je redressai la tête d’un coup, le regard alerte.

 Il faisait encore nuit, pourtant, quelque chose éclairait la chambre et se déplaçait dans l’espace.

 J’ouvris grands les yeux, et découvris près de la fenêtre une petite lumière dorée. Je restai dans mon lit, interdite, incapable de bouger. Cette lueur volait vers moi, semant sur son passage une traînée de paillettes dorées. Je distinguais maintenant sa forme : celle d’une fée. Ses longues ailes au superbe dégradé jaune-orange ressemblaient à celles des papillons, tant par leur forme que par leur couleur.

 Assise dans mon lit, je tendis ma main vers elle. La fée aux longs cheveux bruns se posa dans le creux de ma paume. Je ne ressentis aucune angoisse à son contact. Elle devait mesurer environ vingt-cinq centimètres, ce qui me paraissait assez grand, pour une fée. Elle portait une belle robe blanche, semblable à celle que j’avais trouvée dans mon armoire.

 La fée me dit d’une voix chaleureuse :

– Je suis tellement heureuse de te revoir, ma petite Nêryah. Je t’attends depuis si longtemps ! Comme tu as grandi ! Je m’appelle Arianna. Je suis la reine des fées.

L’émotion m’empêchait de prononcer un mot. Émue jusqu’aux larmes, j’admirais la fée, contemplais ses traits gracieux.

– Voyons, ne sois pas intimidée. Nous nous sommes vues quelquefois, lorsque tu étais enfant. Grâce à un sort qu’Avorian et moi avons conçu, tu pouvais venir sur Orfianne, en passant par le chêne de ta maison.

Arianna marqua une pause, et plaça sa petite main contre mon index. J’en fus profondément touchée. Son beau regard vert me fascinait.

– Nêryah, je ressens cette grande confusion en toi. Avorian désire te préserver des êtres des ombres, de leurs maléfices. Le passé est encore tellement douloureux pour lui. Je te prie d’être patiente. Avorian t’aime profondément et fera tout son possible pour t’aider. N’oublie jamais cela, je t’en conjure.

Toujours incapable de parler, je hochai la tête en guise de réponse.

– Le « fantôme » que tu as rencontré dans ton village, sur Terre, à qui tu as donné tes pièces… c’était une fée d’Orfianne.

– La gitane ! m’exclamai-je, retrouvant l’usage de la parole. Une fée de cette planète ?

– Je voulais te préparer à ta nouvelle vie. Je savais que ta venue ici était proche. J’ai envoyé l’une de mes émissaires jusqu’à toi. Un sort lui donnait cette apparence humaine.

Non mais elle m’a fait tout un cirque, cette fée, en faisant disparaître puis réapparaître mon argent ! protestai-je intérieurement.

Arianna éclata d’un petit rire clair, comme si elle lisait dans mes pensées.

– Les fées ont beaucoup d’humour…, me dit-elle d’un ton malicieux.

Arianna mit ses mains devant elle, en face de mon visage. Il en sortit de minuscules lueurs multicolores. Je me sentis immédiatement apaisée. La fée se volatilisa en tournoyant sur elle-même.

Après avoir vu un lion ailé qui parle et utilise la magie, quoi de plus normal que de converser avec une fée au beau milieu de la nuit ?

Grâce à la magie de l’enchanteresse, je m’endormis rapidement.

Avorian me tira de mon sommeil « Nêryah ! Réveille-toi ! Nous avons beaucoup de choses à préparer pour notre départ ».

« Notre… quoi ? » ânonnai-je en baillant.

Une fois propre, je le rejoignis dans la pièce de vie.

– Je ne sais pas si c’est un rêve ou bien la réalité, mais cette nuit j’ai vu une fée et…

– Tu as beaucoup de chance qu’Arianna soit venue jusqu’ici, m’interrompit Avorian d’une voix paisible. D’abord Swèèn, et maintenant, la reine des fées en personne. Tous les grands de ce monde souhaitent te rencontrer, on dirait !

– Elle m’a dit qu’on s’était déjà vues, avant, et que vous aviez construit ensemble le portail entre les deux mondes.

– C’est exact. Arianna est ma meilleure amie, et aussi ma plus grande alliée.

– Comment se fait-il que je ne me souvienne de rien ? Il ne me reste que quelques bribes de mes visites sur Orfianne. Je croyais que je m’inventais des histoires !

– Je pense que c’est dû au transgèneur. L’un des effets secondaires. Passer d’un monde à l’autre doit détériorer la mémoire à court terme. Nous le supposons, du moins. Les fées sont les gardiennes des mondes et ont le pouvoir de se volatiliser, de voyager dans l’espace-temps. Elles n’ont pas besoin de portes pour passer d’une planète à l’autre. Pour nous, c’est différent. Les Orfiannais ne peuvent pas séjourner sur Terre. Toi seule a réussi cette prouesse. Sèvenoir, lui, n’y est resté que quelques secondes. Et c’est déjà beaucoup ! Même moi je n’y suis pas parvenu. J’ignore cependant de quelle façon la porte des mondes altère nos souvenirs…

– Oui, c’est comme si j’avais oublié tout un pan de mon passé.

Avorian me servit une boisson chaude, dont le goût ressemblait à du thé, et me fit signe de prendre des fruits et des galettes de céréales. Cette bonne nuit m’avait redonné l’appétit.

– Nêryah, le Sage actuel souhaite te rencontrer. Tu représentes beaucoup pour lui.

– Comment est-il au courant de mon arrivée ici ?

– La créature qui t’a sauvée dans « l’é-glise » vit au Royaume du Cristal. Les Limosiens ont le pouvoir de se volatiliser. Swèèn est rentré de suite au Royaume, et a prévenu le Sage de ton retour sur Orfianne. Sa réponse ne s’est pas faite attendre ! Notre Éclairé nous a envoyé Arianna pour cette raison. Nous répondrons à cette invitation. Le chemin sera long : plusieurs phases de marche.

– Plusieurs quoi ? répétai-je.

J’avais remarqué qu’Avorian utilisait de nombreuses fois deux termes qui se rapprocheraient en français des mots « cycle » et « phase », avec cette notion de cercle, de quelque chose qui se répète de façon naturelle, comme une Loi de l’Univers. Je maîtrisais manifestement très bien l’Orfiannais, mais certains concepts m’échappaient encore. J’avais tendance à traduire en français dans ma tête, au lieu de penser les choses dans cette langue. Or, quelques notions en Orfiannais ne correspondaient à rien de connu sur Terre.

– Nous parlons de « cycles » pour désigner une longue période, correspondant à la révolution d’Orfianne autour de notre étoile. Et de « phases » pour désigner les lunaisons.

– Oh, je vois, cela correspond au mot « année » en français. Et nous parlons de « mois » pour désigner les cycles lunaires.

– D’accord, je vais essayer de retenir ces deux termes et de les réutiliser avec toi ! Revenons à notre voyage : je ne fabriquerai pas de transgèneur, pour les raisons que tu connais : ton corps a subi quatre voyages en seulement quelques jours, cela pourrait s’avérer dangereux pour toi. Je suis étonné que tu ne montres aucun symptôme ; quelle résistance ! Nous devrons nous rendre sur de hauts lieux énergétiques. Nous irons tout d’abord à la grotte des feux sacrés : cet antre chargé d’une magie ancestrale te mettra en symbiose avec Orfianne. Cela t’aidera à t’adapter à ses fréquences, et te purifiera, pour éviter que tu bascules vers la magie des émotions.

– La magie des émotions…, répétai-je, pensive. Avec tout ce qui m’arrive, j’ai tellement peur de sombrer dans cette faille…

– Nêryah, ton cœur est pur. La grotte va te ramener à l’essentiel, rassure-toi. Nous visiterons également en chemin le domaine des fées. J’espère que tu aimes marcher.

– Le domaine des fées ? répétai-je, ébahie. On croit rêver ! Mais vous n’utilisez pas de transports, comme sur Terre ?

– Non. Nous voulons préserver notre planète. Nous ne souhaitons pas construire de route, ni ouvrir des voies dans le ciel, cela perturberait l’écosystème. Bien évidemment, nous sommes capables de produire des transports écologiques. Mais nous ne les employons que rarement. Seuls deux peuples sur Orfianne parcourent les cieux à bord de leurs vaisseaux silencieux, non-polluants, et de façon limitée. Nous ne voulons pas accélérer le temps. C’est notre philosophie de vie. Ce qui se passe sur Terre est un très bon exemple des dérives de la technologie. Nous ne souhaitons pas reproduire les erreurs des Terriens, ni tomber dans les extrêmes. Marcher renforce le corps, permet les rencontres. Dans ton cas, c’est primordial : tu dois t’accoutumer aux énergies de ta planète, apprendre à découvrir la faune et la flore.

– D’accord, mais plusieurs « phases » de marche, ça fait long ! On ne pourra pas se « transgèner » dans quelques temps, au moins pour nous rapprocher du Royaume ?

– À part les créatures magiques comme les fées, les Limosiens, qui peuvent se volatiliser à leur guise et sans dommages, nous n’avons pas le pouvoir de nous téléporter facilement. Le transgèneur ne s’emploie qu’en cas d’extrême urgence. C’est la règle !

La journée fut agitée. Avorian s’affairait aux préparatifs de ce long voyage. Partir pendant plusieurs mois nécessitait une excellente organisation. Le mage avait enchanté les sacs, de sorte qu’ils pouvaient contenir un nombre incalculable d’objets tout en restant petits et légers : le rêve de toute femme sur Terre ! Il entassa ainsi couvertures, vêtements, provisions, affaires de toilettes. Avorian me donna plusieurs tenues de voyage : des pantalons souples et confortables, adaptés aux longues heures de marche à venir. C’était pour le moins déconcertant de voir autant de choses rentrer dans un si petit bagage !

Avec le recul, je réalisai que ces vêtements de femme devaient appartenir à des personnes décédées lors de la fameuse bataille. Avorian restait évasif à ce sujet. Mais puisqu’il vivait seul, je supposais que sa famille avait également péri, ce jour-là. Cela expliquait son regard triste lorsqu’il me voyait dans l’une de ces robes… qu’une autre avait certainement porté avant moi.

J’étais réellement affligée de quitter la Terre, ma famille. J’essayais de faire taire mes émotions face à cette réalité inéluctable. Je ne pouvais plus y retourner. Mes parents m’avaient oubliée. Mon cœur se brisait, rien qu’à cette pensée. J’entrai dans une phase de déni pour me protéger de ma propre souffrance. Ce mécanisme de défense m’aidait à supporter la situation, à me préserver de la folie. Je ne me sentais pas encore prête à affronter la vérité. Mais curieusement, je devais bien me l’avouer : j’avais vraiment hâte de découvrir cette nouvelle planète et de rencontrer ses habitants. Surtout les fées ! Un rêve de petite fille.

Mes affaires enfin prêtes, je m’exerçai dans le jardin à former un bouclier magique. Je m’entrainai sans relâche, pour oublier un instant ma condition de « pantin perdu au milieu de nulle-part ». Avorian m’observait du coin de l’œil en cueillant des fruits. Je voyais bien qu’il s’inquiétait pour moi.

Cette longue journée de préparatifs et d’entrainement m’avait épuisée. J’allai de suite me coucher après le dîner.

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