Chapitre 49 : La lumière oubliée.

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– Qu’est-ce qui s’est passé ? C’était quoi cette…, commençai-je, à court de mots.

– C’est terrible ! Elle est venue ! C’est affreux ! déplora Orialis.

– Oui… je m’en doutais, souffla Swèèn, visiblement perturbé.

– Ne restons pas ici. Pressons le pas ! nous intima Avorian en regardant partout autour de lui, l’air méfiant.

 Orialis fronça des sourcils et se courba, comme si elle se préparait à recevoir un coup. Swèèn quant à lui pris la démarche feutrée d’un félin, feulant et grognant. .

– Mais quoi ? Expliquez-moi ! C’est lui le roi des Modracks ? m’emportai-je, agacée de ne rien connaître de ce monde.

 Furieux, Avorian m’ordonna de me taire, posant son index sur sa bouche.

 Ne pouvant faire demi-tour, nous devions contourner l’endroit de l’apparition, décrivant un large demi-cercle avant de pouvoir entrer dans la forêt. Aux aguets, nous progressions furtivement, allégeant nos pas.

– Désolé Kiarah, me souffla Avorian à l’oreille. Non, ce n’est pas le seigneur des Modracks. Cette créature aux yeux pourpres n’a pas de nom. On l’appelle souvent « l’Ombre » étant donné qu’elle ne possède pas de corps physique.

– C’est l’être le plus imprévisible, le plus infâme, le plus impitoyable de cette planète, chuchota Orialis, la mine soucieuse.

– Décidément, à peine quitte-t-on un endroit dangereux qu’on rencontre un ennemi encore plus menaçant, me plaignis-je. Mais puisqu’elle est si terrifiante que cela, cette Ombre, pourquoi ne nous a-t-elle pas attaqués ?

– Elle attend probablement le moment propice. C’était juste de l’intimidation. Elle aime jouer avec ces proies, expliqua Swèèn.

– Et ça a marché. Je suppose qu’elle attend que nous pénétrions dans la forêt, dans le noir profond.

– Exactement, confirma Avorian. Cette créature déteste la lumière et ne peut pas sortir des endroits ténébreux. C’est son élément. Je pense qu’elle a été alertée par le pouvoir de la Pierre de Vie. Nous devons certainement nous trouver en ce moment même sur son territoire.

– Cette créature est-elle vraiment vivante ?

– Non, ni morte non plus d’ailleurs. Elle est immatérielle. Personne n’a encore réussi à la définir, me répondit Swèèn.

– Et pourtant tout le monde la craint, nous confia Avorian. Certains disent que c’est le néant lui-même, moi, je reste sceptique. Je ne sais pas si elle provient des pensées des Terriens car elle vit ici depuis toujours. En tout cas, l’Ombre tourmente ce monde. Et même Arianna ne pourrait nous sauver cette fois.

– Décidément, d’abord Sèvenoir, et maintenant ça… quelle galère ! Vous pensez qu’elle a senti la magie de la Pierre et qu’elle désire la récupérer ?

– C’est fort probable, acquiesça Swèèn.

– Tout comme la personne qui a kidnappé Orialis pour lui voler la leur… Mais puisque les Pierres de Vie n’ouvrent pas leur pouvoir à n’importe qui, pourquoi ces êtres sombres s’évertuent à croire qu’ils pourront déclencher leur magie ? questionnai-je.

– Parce qu’ils sont persuadés qu’ils en sont capables. Que leur pouvoir dépasse la volonté des Pierres de Vie, expliqua notre guide à quatre pattes.

 Les Orfiannais parlaient des Pierres de Vie comme des êtres à part entière, dotés d’une forme de conscience. Je ne comprenais pas tout, mais c’était fascinant.

– Ont-ils raison de le penser ? poursuivis-je.

 Le Limosien et Avorian s’échangèrent un regard.

– Malheureusement oui, confirma Avorian. Avec ces êtres là, comme le roi des Modracks et l’Ombre par exemple, tout est possible, puisqu’ils ne sont pas vraiment vivants à proprement parler. Ils pourraient corrompre les Pierres de Vie s’ils les avaient en leur possession.

– Et Sèvenoir ? m’enquis-je.

– Sèvenoir n’a jamais cherché à obtenir une Pierre jusqu’à maintenant. Et je ne crois pas qu’il soit immatériel, me répondit Avorian.

– Peu importe. Je ne veux pas entrer dans cette forêt ! exigea Orialis, oubliant d’être discrète. Si j’y demeure trop longtemps, je ne survivrais pas. Aucun rayon du soleil ne perce les arbres cette fois ! Et j’ai épuisé mes réserves de médicaments !

– Peut-être préfères-tu faire demi-tour et te perdre ? railla Avorian, visiblement exaspéré. De là où nous nous trouvons, c’est le seul chemin possible pour se rendre au Royaume du Cristal. Sinon, il existe la voie des airs, mais comme tu as pu le constater, nous n’avons qu’un seul Limosien parmi nous, ce qui est déjà en soi extraordinaire !

 Orialis était au bord des larmes.

– On va y arriver, lui murmurai-je doucement en entourant ses épaules de mes bras.

Orialis semblait vexée, mais lança soudain fièrement :

– On a bien réussi à régénérer le royaume des Enchanteurs, alors pourquoi pas vaincre cette Ombre ? C’est d’ailleurs peut-être elle qui commande les Métharcasaps et m’a fait enlever !

– C’est fort probable. Cela lui ressemblerait bien : l’Ombre ne peut pas agir toute seule, à part sur son territoire, dans l’obscurité. Elle a peut-être conclu un pacte avec eux. Dans ce cas, cela signifie qu’elle garde un œil sur nous depuis un moment…

– Ce n’est pas étonnant. Nous sommes les seuls capables de contrecarrer ses plans. La preuve : nous avons réussi à faire renaître les terres des Enchanteurs. Nous représentons donc son seul obstacle, renchérit Swèèn.

– Franchement, après m’être fait perforer le ventre, que peut-il nous arriver de pire ? plaisantai-je. Si c’est bien à cause de cette créature que j’ai autant souffert et failli mourir, alors elle a sacrément intérêt à se tenir à carreau !

 Orialis lâcha un rire nerveux. Mais Swèèn et Avorian se regardèrent un instant sans rien dire, l’air soucieux. Je savais bien que nos ennuis traversés ne représentaient rien par rapport à ce qui nous attendait, mais que pouvais-je faire de mieux que garder le moral et encourager les autres ?

 Nous décidâmes de poursuivre notre route dans la forêt, cette fois en nous tenant la main pour ne pas nous séparer car il faisait de plus en plus sombre. Au début, nous arrivions à peu près à discerner le chemin. Mais avec la nuit tombée, nous ne voyions plus rien du tout, pas même là où nous posions nos pieds, ni les arbres qui nous entouraient, ce qui me valut quelques bosses.

– Avorian, murmurai-je, comment parvenez-vous à trouver votre chemin ?

– Swèèn voit dans le noir. Comme je tiens son aile, il nous guide tous les trois.

Nous ne pouvions pas nous permettre de nous éclairer, au risque d’attirer l’ennemi.

– On peut tout aussi bien tourner en rond et faire demi-tour sans nous en rendre compte, remarqua Orialis.

– Peut-être, mais dans ce cas Swèèn nous le dirait. Pas vrai, Swèèn ? lui lançai-je.

– Exactement. Je peux aisément me repérer de nuit. Et je ne vais certainement pas faillir à ma réputation ! D’ailleurs, tournez légèrement sur votre gauche, et attention à l’arbre sur la droite…

 Nos yeux commençaient à s’habituer à l’obscurité. Je pouvais maintenant distinguer le contour des conifères, ce qui me permit de ne plus foncer dedans involontairement. Heureusement, Swèèn nous prévenait lorsque nous rencontrions quelques racines ou buissons. De sorte que l’on entendait souvent sa douce voix double, troublant l’angoissant silence, dire : « Avorian, vous êtes sur le point de percuter un arbuste » ou bien : « Orialis, ne posez surtout pas votre adorable petit pied sur cette racine, je ne pourrais supporter de voir votre corps si majestueux choir » ou encore : « ma chère et gracieuse Kiarah, attention à l’énorme caillou qui entrave ta route ». Ce qui valut quelques éclats de rire. Swèèn avait décidément le sens de l’humour, et ce, en toute circonstance !

 Malgré la fatigue due à cette marche peu coutumière, la peur me réveillait totalement. Je n’osais penser à ce qui pouvait nous arriver si la créature revenait. La planète-lune Héliaka ne s’était sans doute pas levée cette nuit ; je n’apercevais plus la forme des arbres. Nous avancions désormais à l’aveuglette en nous serrant les mains. Ce geste nous rassurait. Swèèn continuait à nous prévenir lorsque des obstacles encombraient notre chemin. Mais parfois, il oubliait d’anticiper car son don de nyctalopie lui semblait tellement évident qu’il en omettait notre « cécité » temporaire. Nous percutions alors des troncs ou trébuchions sur quelque chose. Le plus effrayant était que nous ne pouvions savoir sur quoi exactement.

– Avorian, attention, tu es sur le point de te cogner contre….

 BOOM ! Avorian poussa un « aïe ».

– Un arbre ! acheva-t-il d’un ton énervé. Merci de m’avoir prévenu Swèèn, mais c’était légèrement trop tard.

 Orialis pouffa de rire.

– Oui, mais c’est l’intention qui…

 Swèèn ne put terminer sa phrase. Un hurlement déchira le silence oppressant de la forêt. Tout le monde s’arrêta net et se figea sur place. Je ne m’étais même pas rendue compte que je venais de lâcher les mains d’Orialis et d’Avorian.

– Ne bougez surtout pas ! ordonna ce dernier.

– Qu’est-ce que c’était ? tressaillit Orialis d’une voix apeurée.

– Une charmante créature sans doute, répondit Swèèn sur le ton de la plaisanterie.

– Ne faites plus un pas ! répéta Avorian. Nous ne devons surtout pas nous séparer, c’est ce que l'Ombre cherche à faire.

– Vous n’avez même pas remarqués que vous venez de lâcher vos mains ! gronda Swèèn.

– Orialis, Kiarah, vous êtes toujours à côté de moi ? demanda Avorian d’une voix forte et assurée.

 Je m’apprêtai à répondre « oui », lorsque quelque chose me tira en arrière. Je poussai un cri strident afin que mes amis comprennent qu’il était en train de m’arriver quelque chose. J’avais l’impression que mes pieds ne touchaient plus le sol. C’était trop tard. Avorian criait au loin : « Nooooon ! ».

 Une chose était sûre : L’Ombre avait réussi à nous séparer.

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