Chapitre 39 : la prisonnière

10 minutes de lecture

 Curieusement, Sèvenoir me prit doucement la main et m’éloigna du royaume. « Je suis là » entendis-je dans ma tête. Puis il disparut. Tout alla très vite. Je vis la forêt, le bâtiment, la salle où reposait mon corps avec Avorian, en larmes.

 Enfin, mon âme parvint à entrer en moi, elle regagna sa maison.

Ça y est… mon cœur bat.

 Peu à peu, le sang recommençait à circuler dans mes veines, la chaleur avec, tandis que la mort me quittait doucement. Avant d’ouvrir mes paupières, je pris le temps de laisser les sensations affluer dans ma chair. Comme il est bon de ressentir en soi la caresse de la Vie.

 Puis, j’offris mon plus beau regard à Avorian.

 Ce dernier releva la tête, me gratifiant de son plus beau sourire. Son visage exprimait à la fois le soulagement et la reconnaissance. Il ne put s’empêcher avant même que je reprenne mes esprits de me serrer tendrement dans ses bras, pleurant de plus belle, mais cette fois de joie.

– Kiarah ! Oh ma petite Kiarah ! Tu es vivante ! Tu m’as fait si peur ! J’ai cru que c’était fini pour de bon, sanglota Avorian en me serrant encore plus fort contre lui.

– Eh ! Attention, vous allez m’étouffer, dis-je en riant.

 Mes yeux se refermèrent d’eux-mêmes tant je me sentais faible. Mon père de cœur me donna à boire tout doucement. Reprenant mon souffle, je poursuivis :

– J’ai bien cru entrevoir la mort. Et c’était beau. Au moment où j’allais passer dans l’au-delà, votre voix ma appelée. Vous êtes vraiment mon guide. Mais… c’est Sèvenoir qui m’a ramenée. Je l’ai vu…dans les étoiles. Je ne comprends pas.

Le regard d’Avorian s’assombrit, son visage se durcit à l’évocation de ce nom.

– Il t’a sauvée en projetant son esprit pour te rejoindre dans l’au-delà… c’était donc bien son énergie que j’ai senti… commenta l’Enchanteur pour lui-même. Mais comment a-t-il su que tu étais entre la vie et la mort ? C’est incompréhensible.

 Nous ne pûmes réfléchir à cette question plus longuement. Six gardes attrapèrent fermement nos poignets pour nous emmener dans un sombre cachot qui jouxtait la pièce principale. J’avais beaucoup de mal à marcher ou à comprendre ce qu’il m’arrivait, je flottais dans une sorte de rêve. Une lourde porte se referma derrière nous. Avorian m’installa du mieux qu’il pu en déposant sa propre cape par terre. Je m’allongeai sur ce lit improvisé, encore trop épuisée pour pouvoir tenir debout. Quelque chose bougea derrière nous ; nous n’étions pas seuls. La personne s’avança vers nous et parla :

– Qui êtes-vous ?

C’était une voix douce de jeune femme.

– Je suis Avorian et voici Kiarah. Elle vient d’échapper à une blessure mortelle, il faut qu’elle se repose.

 Avorian me prit doucement la main en prononçant ces mots.

– Avorian ? répéta la voix. Je connais ce nom…

 Celui-ci fit apparaître dans sa main une boule de lumière. Je pus distinguer l’individu qui se trouvait en face de nous. C’était une jeune femme au visage très étrange, d’une beauté troublante, que l’on qualifierait d’extraterrestre en termes Terriens. Encore aux portes de la mort, j’avais l’impression de voir une sorte d’ange dénué d’ailes devant moi. Si bien que je me demandai si j’étais réellement revenue parmi les vivants.

 Je me redressai légèrement pour la regarder. Son corps élancé, svelte, rappelait celui d’une humaine. Mais de ses yeux, sourcils et de sa bouche, sortaient horizontalement de fines antennes dorées recourbées en leur extrémité. Elles allongeaient gracieusement les traits de son visage resplendissant. Quatre autres antennes prolongeaient son crâne, toutes arrondies en spirale au bout. Ses cheveux verts mi-longs ondulaient sur ses épaules. L’étrange couleur de ses yeux, mêlant le gris et le jaune, apportait une touche de mystère et de pureté à son regard. Sa peau couleur vert-pâle brillait sous la faible lueur de la sphère d’Avorian. Ses lèvres naturellement rosées sublimaient merveilleusement son visage si harmonieux. Elle était vêtue d’un foulard gris qui cachait uniquement sa poitrine et d’une longue jupe anthracite fendue sur un côté. De jolis bracelets dorés s’enroulaient avec élégance autour de ses poignets. Ce qui me frappa le plus, c’était son étrange nombril ayant l’aspect d’une petite spirale dorée, tout comme les Komacs.

 Malgré sa situation – enfermée en prison – il se dégageait d’elle une grande sérénité. Après le magnifique peuple des Komacs, avec la belle Kaya, je découvrais une créature absolument ravissante. Sa beauté époustouflante me réveilla un peu et fit battre mon cœur plus rapidement. Je ne pouvais détacher mon regard de cette splendide inconnue aux antennes dorées. Mais j’étais encore trop faible pour pouvoir aligner mes idées, et encore moins discuter.

– À qui avons-nous l’honneur ? demanda poliment Avorian.

– Je m’appelle Orialis, répondit-elle. Je fais partie du peuple des Noyrociens.

 Je me souvins qu’Avorian m’avait parlé d’eux en bons termes lors de notre voyage.

– C’est un peuple pacifiste. Ils utilisent une technologie non-polluante, aussi complexe que raffinée, me rappela Avorian à la façon d’un dictionnaire.

– Cela fait longtemps que tu es prisonnière ici ? questionnai-je, encore sonnée.

– Maintenant plus de deux semaines. Je n’en peux plus… je suis contente de vous voir et d’enfin pouvoir parler à quelqu’un, qui que vous soyez. Malheureusement, il n’y a aucune issue.

– Pourquoi t’ont-ils prise en otage ? Qu’est-ce qu’ils te veulent ? continuai-je.

– C’est une longue histoire. Nous devions nous rendre avec les Aqualiciens au Royaume du Cristal pour y apporter nos Pierres de Vie respectives. Mais les Pierres de pouvoir sont convoitées. Et ces Métharcasaps étaient persuadés que je portais celle de notre peuple sur moi. La demande du roi commence à s'ébruiter à travers Orfianne… l’ennemi sait que nous transportons nos Pierres au Royaume.

– Les Aqualiciens ? répétai-je. Ah oui, les espèces de sirènes…

– Comme son nom l’indique, c’est un peuple qui vit la plupart du temps sous l’eau. Les Aqualiciens ont deux jambes lorsqu’ils sont sur terre, expliqua Orialis, mais lorsqu’ils entrent dans l’eau, leurs membres se transforment en une longue queue de poisson. C’est très joli à voir ! Vous devez venir de loin pour ignorer cela.

– C’est bien ça, de sortes de sirènes, confirmai-je pour moi-même.

– Des sirènes ? répéta Orialis perplexe. Je ne connais pas ce nom.

– C’est la même chose, peu importe, se déroba Avorian afin de contourner les questions qui le gênaient, puisque leur réponse sous-entendait mes origines et ma vie sur Terre. Donc, tu te rendais au Royaume du Cristal.

– Oui, le roi de notre peuple m’a envoyée avec une escorte rencontrer les Aqualiciens. Nous devions ensuite voyager ensemble jusqu’au Royaume.

– Les Pierres des différents peuples sur Orfianne peuvent fusionner en une seule, m’expliqua Avorian, en aparté. Et cela crée un immense pouvoir.

– Un pouvoir capable de tous nous défendre, ajouta Orialis. Pour la première fois, le roi Orion invite toutes les dynasties afin que nous prenions ensemble une décision face à cette menace croissante. Les Guéliades, les Komacs et les Moroshiwas aussi devaient venir y apporter leur Pierre respective. Une rumeur dit qu’une grande guerrière venue d’un monde lointain pourrait sauver notre peuple.

 À ces mots, Avorian me regarda du coin de l’œil, d’un air complice. Le destin entremêlait une fois encore les rencontres.

– Je marchais donc avec mon escorte, lorsqu’une une armée de Métharcasaps nous a attaqués, poursuivit-elle. C’était horrible, affreux. Ils étaient trop nombreux, les gardes se sont battus vaillamment, jusqu’à la mort. Ils ont tous péri pour me sauver… sauf celui à qui j’ai confié la Pierre avant d’être moi-même enlevée. Ces horribles monstres m’ont ensuite enfermée ici, croyant que j’avais la Pierre. Ils se sont vite rendu compte de leur erreur. Un soir, j’ai pu capter leurs conversations télépathiques, et j’ai compris que leur chef voulait me garder vivante pour demander à mon peuple notre Pierre de Vie en échange de ma libération. Nous la gardons depuis des millénaires. Elle appartenait à nos ancêtres et nous revient de droit. C’est grâce à son pouvoir que nous sommes encore vivants. J’espère que le garde qui m’escortait a pu s’enfuir indemne et la rapporter au roi ! Je ne sais plus quoi faire, il ne faut surtout pas que mon peuple le leur donne pour me sauver, ce serait la fin de tout ! Ces monstres en feraient un très mauvais usage et pourraient détruire une partie du monde. J’ai tenté plusieurs fois de m’enfuir d’ici, mais en vain.

 Je songeais à Kaya. Elle m’avait montré la pierre bleutée des Komacs, me confiant qu’il en existait plusieurs sur Orfianne. Nous avions ensuite récupéré notre joyau rouge, dernier vestige des Enchanteurs. Je constatai qu’effectivement, ces trésors pouvaient engendrer guerres et convoitises, tout comme sur Terre.

– Quelqu’un commande les Métharcasaps, déduisit Avorian. Tout a été manigancé pour obtenir votre Pierre de Vie. D’une manière ou d’une autre, cette personne a appris que vous vous rendiez chez les Aqualiciens : l’occasion idéale pour exécuter son plan, puisque vous n’étiez qu’une petite escorte.

– C’est pour cette raison qu’il faut absolument que nous trouvions cette guerrière. Elle seule pourra nous aider. Et vous, quels malheurs vous ont-ils conduits jusqu’ici ?

– Eh bien, tout comme toi, nous nous rendions au Royaume du Cristal, annonça Avorian.

– Pour y amener votre Pierre et chercher cette fameuse guerrière ? devina Orialis.

– En quelque sorte, admit Avorian d’un ton qui se voulait neutre. Nous traversions la forêt quand cette armée nous a attaqués.

 Avorian déposa la boule de lumière au sol pour me tenir par les épaules. Je me reposais contre lui tout en écoutant la conversation. Je me sentais enfin en sécurité, et j’appréciais la compagnie de notre nouvelle « camarade d’infortune ». Cette dernière me lançait de temps en temps des regards inquiets, telle une mère pour son enfant. J’étais à la fois heureuse et émue que l’on prête autant attention à moi.

 Un garde entrouvrit la porte et fit signe de nous taire, puis claqua la porte bruyamment en guise de menace. Personne n’y prêta attention.

– Bon, il faut trouver une solution pour s’échapper d’ici, on n’a pas de temps à perdre, décréta Orialis sans se préoccuper de la sentinelle. Maintenant que nous sommes trois, je suis sûre que nous pouvons y arriver. Nous pourrions peut-être distraire notre geôlier ?

– Je ne crois pas que cela puisse marcher, contesta Avorian en me cajolant. Même si l’on parvenait à sortir du cachot, il faudrait ensuite traverser la grotte, où d’autres Métharcasaps surveillent.

– Mais on peut créer un transgéneur, non ? soufflai-je discrètement aux autres.

– Malheureusement non, avec toute la magie que je viens d'utilisé pour te « ressusciter », j’en suis à présent incapable… surtout que nous sommes trois ! Même en temps normal et au sommet de ma forme, j’aurais du mal à faire voyager trois corps dont le mien dans la non-matière, expliqua Avorian.

– Et le pouvoir de notre Pierre ? Mais… mon dieu ! réalisai-je, les Métharcasaps ont pris nos affaires ! Nous n’avons plus la Pierre ! C’est une catastrophe !

– Rassure-toi. Je l’ai gardée sur moi. Les Métharcasaps n’ont pas eu le temps de nous fouiller. Je pense qu’ils s’apprêtent à le faire.

 Sur ces mots, Avorian tapota contre son cœur : notre joyau était en effet bien dissimulé, sous les pans de sa tunique bleutée.

– Parfait ! Dans ce cas, nous pouvons l’utiliser ! insistai-je.

– Surtout pas ! Une telle puissance laisse des traces : le meilleur moyen pour nous faire remarquer par tous les ennemis, développa Avorian en appuyant sur le mot « tous ».

– Ah… si seulement Arianna était là ! me lamentai-je.

 Puis, je me souvins de son cadeau, la fleur magique que je conservais toujours dans ma ceinture, avec mon poignard.

– Mais bien sûr ! réalisai-je triomphante, à présent revigorée. La fleur d’Arianna ! Elle m’a dit que dans un cas aussi désespéré que celui-ci, je pouvais détacher un pétale.

 Quelqu’un tambourina à la porte, l’air de dire : « ça suffit, taisez-vous ! »

– Oui, mais souviens-toi que tu disposes de sept pétales, rappela Avorian, ignorant à son tour l’avertissement du gardien. N’oublie pas qu’ils te seront très utiles pour plus tard. En gâcher un dès le début du voyage… j’hésite.

–Vous appelez cela gâché ? Moi je ne crois pas. C’est mon cadeau, alors je prendrai cette décision moi-même ! proclamai-je déterminée.

 Orialis et Avorian en restèrent cois. Je sortis délicatement la fleur de ma ceinture. Orialis lâcha un « oh ! » en voyant la beauté des pétales rosés et scintillants. Je remarquai qu’elle avait pu conserver son sac. Sans doute l’avaient-ils déjà fouillé, et rien trouvé d’intéressant.

– Quelle est la propriété de cette fleur ? demanda-t-elle.

– C’est un moyen de quémander l’aide de la reine des fées, elle devrait normalement apparaître devant nous, lui expliquai-je.

 D’une main un peu hésitante, je pris un pétale et l’arrachai. Une lumière multicolore jaillit alors de la fleur. Celle-ci se mit à tourner sur elle-même, ce qui me fit lâcher la tige de surprise. Un éclat blanc illumina la pièce sombre. Arianna apparût devant nous. Ses jolies ailes de papillon généraient une agréable brise sur nos visages. Nous n’eûmes le temps d’exprimer notre joie, la noble fée nous intima de nous taire. Le garde appelait déjà des renforts. Mais Avorian lui lança furtivement : « si tu pouvais aussi récupérer nos sacs… ». Elle lui répondit par un clin d’œil. Puis, une lumière dense émergea de la reine des fées, elle prit la forme d’un cercle qui nous enveloppa tous les trois. L’anneau rétrécit et dématérialisa nos corps, à la manière d’un transgéneur. Nous disparûmes de la pièce, téléportés par cet étrange système, ma foi très efficace.

Annotations

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0