Chapitre 15 : La cérémonie

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 Ces révélations me bousculaient. Tout ce qui se produisait sur Terre se manifestait donc d’une manière tragique sur Orfianne. Cela confirmait la théorie selon laquelle tout est lié dans l’Univers, et comme le moindre geste modifie tout un ensemble de molécules, il était concevable que nos actions, nos pensées, pouvaient elles aussi transformer le cours des choses dans l’Univers. C’était donc là l’étonnant pouvoir des êtres humains : l’art de créer quelque chose par le Verbe. La fameuse loi de l’attraction.

Leurs pensées, paroles, songeai-je, attirent donc une énergie qui correspond à leur état émotionnel. Elles peuvent réellement se matérialiser. Soit en quelque chose de positif, comme un rêve qui se réalise, soit en se traduisant par des épreuves, ou par des monstres sur Orfianne.

 Ce pouvoir, ils n’en avaient pas conscience, l’utilisant mal par ignorance.


 Nous continuâmes notre promenade et nos conversations métaphysiques. Puis, en attendant la nuit pour commémorer Héliaka, Arianna nous invita à dîner. Le repas fut excellent : nous mangions les fameuses fleurs cultivées. Une première pour moi. Alors que quelques pétales suffisaient à rassasier nos hôtes, Avorian et moi devions avaler une bonne trentaine de fleurs et bourgeons pour voir notre faim apaisée !

 Après le repas, Arianna me montra un endroit pour faire ma toilette : une source d’eau chaude toute proche du village. Je bénis ce moment de grâce où je pouvais enfin me laver… avec de l’eau chaude en plus ! Là aussi une première depuis notre voyage. Je m’enivrais de l’odeur fleurie du tout petit savon qu’Arianna venait de me donner. Je la remerciai chaleureusement avant de me brosser les dents. La source chaude décongestionnait mes muscles endoloris. Une fois lavée et habillée, je laissai Avorian profiter à son tour du bain.

 L’heure de la fête approchait. Tous deux enfin prêts, nous nous sentions si euphoriques que nous riions de bon cœur, sans même savoir pourquoi, tout heureux de nous sentir enfin propre.

 L’éclat d’Héliaka apparut soudain entre les branches des arbres. Il se produisit quelque chose d’incroyable. Les rayons de lumière ambrés qu’elle projetait se réfléchirent sur les murs arrondis des maisons. Les signes sculptés dans le bois se mirent alors à scintiller, jusqu’à en devenir argentés, brillants de mille éclats. Au crépuscule, les habitations s’ornaient de leur plus belle parure, étincelantes, comme pour répondre aux appels lumineux de la lune d’Orfianne. On pouvait en effet presque les confondre avec le ciel étoilé. J’avais l’impression de flotter dans cette atmosphère féerique.

 Nous retournâmes au cercle des pierres phosphorescentes, lieu sacré pour nos hôtes. Un bon nombre de fées s’y trouvaient déjà. Elles virevoltaient autour des arbres, toutes excitées. Je ne vis pas de lutin, à ma grande déception. Je me demandais à quoi ils pouvaient ressembler. Abélia m’apprit que les lutins étaient chargés de protéger les pourtours du village afin que le rituel se passe sans mésaventures.

 L’air de la nuit charriait le parfum sucré des nombreuses fleurs environnantes. Je me délectai de leur effluve doucereuse.

 Abélia me pria de me placer au centre du cercle. J’obtempérai avec une pointe d’appréhension. Avorian, lui, préféra rester en dehors et s’installa contre un d’arbre. Les fées se donnèrent la main pour former une ronde autour de moi et commencèrent à danser, tournoyer en chantant :

N’oublie pas notre lune,

Sans elle, la vie n’est rien

Marche sur cette dune,

Prend la lumière dans tes mains

N’oublie pas notre terre,

Sans elle, rien n’est possible

Oublie toute cette guerre,

La lumière te semble-t-elle inaccessible ?

Alors pense aux esprits de la nature

Tes pas seront guidés par ton destin.

Marche pour continuer ton aventure

Et ne quitte jamais le droit chemin.

Ces paroles te réchaufferont le cœur

Nous les fées, nous t’aiderons à vaincre la peur.

 J’étais comme en transe, bercée par cette langue si harmonieuse. Je me mis à fredonner la mélodie des fées. À ma grande surprise, je connaissais leur dialecte, comme si ma mémoire revenait petit à petit.

– Tu as une si jolie voix, Kiarah ! Chante-nous une chanson, me demanda une petite fée à la peau orange, habillée d’une jolie robe bleue.

– Oh oui ! Chante-nous quelque chose ! reprirent-en chœur les autres fées.

 Arianna et Avorian s’approchèrent du cercle.

– Cela réchaufferait nos cœurs, insista la reine des fées.

– Bien, d’accord.

 J’entonnai alors un chant très ancien en langue gaëlique que je connaissais et qui parlait de légendes celtes. Je trouvais cela plutôt approprié étant donné les circonstances. D’ailleurs, ce chant évoquait peut-être les fées. Tout le monde m’écoutait attentivement, l’air émerveillé. Le regard pétillant des fées me ravissait.

– Quel timbre sublime tu as ! me complimenta Arianna une fois ma chanson terminée.

– Oh oui, quelle magnifique voix ! renchérit la fée orange.

– C’est incroyable cette pureté, ce son cristallin, avoua Avorian.

– On dirait la voix d’un ange…, commenta Abélia, l’air songeur.

– Oui, c’est ça ! Un ange ! répétèrent d’autres fées.

– Merci ! dis-je, rougissante. (Je tournai légèrement la tête pour m’adresser à toutes les fées.) J’ai adoré votre incantation. Cette mélodie reste dans ma tête, elle est si belle !

– Chante-nous autre chose ! insistèrent les fées.

 Ne pouvant résister à leurs yeux brillants, implorants, je leur chantai un poème de ma propre composition :

Le long du chemin ardu

Marchent les voyageurs perdus

Portant avec eux la flamme de vie

Vers un monde où règnent le silence et la nuit

Seuls sur la route de l’existence,

Les Pèlerins rassemblent leurs souvenirs

Acceptent leur passé et rencontre leur essence

Pour aimer et comprendre leur devenir.

Bercés par les mots de l’enfance

Ils avancent sur le grand sentier du destin

Le cœur empli d’espérance

Pleurent de joie, de chagrin, leur ego éteint

Leurs larmes épurent leur corps

Apaisent la douleur, la haine

Leur esprit ne craint plus la mort

Mais l’aime et la comprend sans peine

Nous sommes tous des voyageurs sur l’éternel chemin de l’amour

L’Univers entier avance vers la même lumière

Nos âmes traversent l’immense océan de vérité, en quête pour toujours

Suivons la belle étoile sans nous mettre de frontière…

…elle nous mène à l’éternité.


 Nous chantâmes ainsi longuement sous le ciel étoilé. Adossé contre un arbre, Avorian me regardait danser, un sourire se dessinant sur ses lèvres. Je ne pouvais plus me défaire du cercle des fées, complètement hypnotisée.

 Je commençais à me sentir épuisée ; pourtant mes membres refusaient d’obéir et ne s’arrêtaient plus.

 Avisant mon visage en sueur et mes yeux mi-clos, Avorian attrapa ma main et m’extirpa de la ronde des fées. Je tombai alors dans ses bras, incapable de me tenir debout.

– Merci…, fis-je d’une petite voix faible.

– Sacrée Kiarah, tu te serais effondrée avant qu’elles n’aient terminé : elles en ont pour toute la nuit, déclara-t-il en riant. Tu sais, il est presque impossible de sortir d’un cercle de fées par soi-même. Une fois qu’on y entre, on ne peut plus partir, parce que notre âme, elle, désire rester à jamais… l’enchantement est trop fort. Arianna m’a montré un endroit pour dormir. Je crois que tu en as grand besoin, ma petite danseuse.

– Oui, mais je crois que je vais d’abord prendre un deuxième bain. Je transpire de partout !

 Il m’emmena hors de ce lieu sacré. Je retournai à la source chaude, puis, de nouveau propre, rejoignis Avorian et m’affalai sur le lit de mousse.

– Avorian, j’ai une question un peu singulière mais, on a seulement vu des fées femelles, comment font-elles pour euh… disons, perpétuer leur espèce ?

 Avorian me regarda les yeux rieurs, un sourire aux lèvres et me répondit :

– Les lutins.

 Et là, nous nous esclaffâmes en cœur, incapables de nous arrêter de rire.

 La nuit, je rêvais des fées en train de tournoyer dans une ronde ahurissante et sans fin autour de moi. Je leur criais : « Stop ! Non ! » Mais elles continuaient, inlassablement, comme si elles ne m’entendaient pas. Je tombais ensuite dans un trou noir. Mon corps, inerte, ne pesait plus rien dans le vide. Dans cette chute interminable, quelqu’un volait à ma rencontre. Au fur et à mesure qu’il avançait, je pus reconnaître l’ombre menaçante de Sèvenoir. Il arrivait à toute vitesse vers moi, me toisant de son regard glacial à travers les fentes de son masque. Ses capes noires semblaient danser autour de lui, tel le drapeau noir d’un bateau au beau milieu d’une tempête. Sa voix angoissante m’appelait : « Kiarah… Kiarah… viens… je t’attends… ». À présent tout proche de moi, il prit ma main et m’entraîna dans l’abîme. Je criais, je voulais me débattre et fuir, mais je ne pouvais pas. Il me retenait. J’implorais : « Non ! Non… s’il vous plait, je ne veux pas… pas encore… pas maintenant… ». Impitoyable, il répondait : « Tu ne peux rien contre le destin… ». Alors je le suivais malgré moi, emprisonnée par sa main gantée. Au bout de ce long tunnel de ténèbres, je ne perçus aucune lumière, juste le néant.

 Je me réveillai en sursaut, poussant un cri. Il faisait encore nuit. Je me mis à pleurer, tremblant de tous mes membres. Mes gémissements alertèrent Avorian.

– C’est fini, souffla-t-il en caressant doucement mes cheveux.

– C’était horrible ! Affreux ! Il…

– Chut… Je suis là, tout va bien. Rendors-toi maintenant.

 Avorian me prit tendrement dans ses bras.

– Non, je ne peux pas ! J’ai trop peur…, sanglotai-je.

– Il ne peut rien t’arriver ici, d’accord ? Rendors-toi sans craintes. La nuit est paisible, le village est protégé. Ferme tes yeux, Kiarah.

 Il me rallongea précautionneusement sur le lit.

– Mais il va revenir si je les ferme ! assurai-je.

– Non. Il ne viendra plus brouiller tes pensées. Je te le promets.

– Comment l’oublier… il m’effraie ! Je ne pourrai jamais le combattre.

– Ne dis pas ça, me rassura Avorian. Pense à autre chose. Je suis là pour te protéger. Je ne le laisserai pas te prendre. Plus jamais.

 Il déposa un doux baiser sur mon front.

 Mes paupières se fermèrent d’elles-mêmes de sommeil.

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