Chapitre 17 : La légende d’Orfianne

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  Nous atterrîmes dans le jardin d’Avorian. Il faisait presque nuit. Lorsque je repris mes esprits, je restai allongée quelques instants à côté du lion ailé, incapable de me relever.

 Assise à mon chevet, les ailes repliées sur ses flancs, la chimère maintenait l’une de ses pattes avant juste au-dessus de mon bras gauche. Une lumière verte sortait de ses curieux coussinets, et se dirigeait automatiquement vers ma plaie. Le sang cessa de couler, ma peau cicatrisa instantanément.

– Merci…

– Ne me remercie pas. Un jour, tu me sauveras.

– Mais qui êtes…

 Il avait de nouveau disparu.

 Avorian accourait vers moi, une coupe en terre à la main, et il renversa au moins la moitié de son contenu en se précipitant de la sorte. Son kimono bleu lui allait certes à ravir, mais n’était certainement pas une tenue adaptée à la course à pied.

– Nêryah ! Pardonne-moi… j’aurais dû me douter que Sèvenoir allait revenir ! Bois-ça, me dit-il en me tendant la coupe – presque vide, comme je m’y attendais.

 On aurait dit un jus d’orties.

– Ne vous inquiétez pas, je vais bien. Grâce à vous et au lion ailé. Le connaissez-vous ?

 Quel être mystérieux ! J’enviais ses dons extraordinaires.

– Oui… c’est un vieil ami. On appelle cette créature un Limosien. Je n’arrive pas à croire que Swèèn soit ici, dans cette région ! Les Limosiens sont rares et vénérés de tous.

– Swèèn ? C’est son nom ?

 Avorian acquiesça en hochant la tête.

– Je ne comprends pas, comment se fait-il que l’on trouve des églises[1] sur Orfianne ? Et pourquoi Sèvenoir m’a-t-il emmenée là-bas ?

– Des quoi ?

– Des « é-gli-se », répétai-je, toujours en français, puisque le terme n’existait manifestement pas en Orfiannais.

– Ah, c’est le nom Terrien de cet édifice ! compris Avorian. Il n’existe qu’un seul temple de ce type sur Orfianne. Une légende raconte qu’une Orfiannaise voulait rendre hommage aux monuments terrestres ayant perdurés dans le temps. Elle adorait la planète Terre, et observer les traditions humaines. Avec son bien-aimé, ils ont construit cette é-gli-se[2] pour y célébrer leur union. Ils souhaitaient ainsi reprendre un culte connu de certaines communautés Terriennes. J’espère que Sèvenoir ne s’est pas mis en tête de t’épouser ! ironisa Avorian, à demi sérieux.

Mon raisonnement était donc proche de la vérité, songeai-je, les Orfiannais reproduisent des monuments de la Terre.

– Il ne m’a rien dit à ce sujet, répondis-je, la mine boudeuse, contrariée par cette mauvaise plaisanterie. Avorian, j’ai vu dans l’église une statue qui me ressemble étrangement. Je crois que vous me devez des explications.

– Cette statue représente la femme de la légende. À côté d’elle siègent ses trois amis, dont un Limosien. Je suis allé deux fois dans ce monument. Peut-être était-elle l’une de tes ancêtres ? C’est vrai qu’il y a un petit air de famille…

– « Un petit air de famille ? », l’interrompis-je. Franchement, à part ses cheveux bleus, c’est mon portrait craché ! Et puis, c’est vraiment bizarre : Sèvenoir insistait pour que je me déshabille et semblait surpris en regardant mon corps.

Avorian planta son beau regard gris dans le mien en guise de réponse, l’air grave.

– Nêryah, hormis les fées, qui sont les gardiennes des mondes, un Orfiannais ne peut pas séjourner sur Terre, son métabolisme ne le lui permet pas, et aucun humain ne peut survivre sur Orfianne. Sèvenoir voulait probablement vérifier certains détails qui nous distinguent des humains : nos ongles et notre nombril par exemple, ou la couleur de nos cheveux.

– Mais moi j’ai pourtant réussi à vivre sur Terre, alors que je n’étais qu’un bébé ! J’ai grandi là-bas ! Comment est-ce possible ?

– Justement, parce que tu étais un nouveau-né. Tu as pu t’adapter aux fréquences de la Terre. Notre corps devient comme « bridé » en grandissant.

Je relevai la tête pour contempler la planète beige. Des nappes de brume se déplaçaient lentement autour d’elle.

– Avorian, si Sèvenoir n’était pas venu me chercher sur Terre, l’auriez-vous fait ?

– Bien-sûr.

Il sonda mon regard en ajoutant :

– Nous avons essayé plusieurs fois, mais les fréquences de la Terres ont changé depuis ton arrivée… Nous n’y sommes pas parvenus. J’ignore comment Sèvenoir a pu réaliser une telle prouesse. Il nous a rendu en grand service… Tu dois être épuisée, rentrons.

Une fois arrivée à la maison, je pris un bain. Avorian me concocta un dîner improvisé pour me remettre sur pieds. Une fois à table, un silence pesant régnait. Je me sentais révoltée : trop préoccupée par ce qui venait de se produire avec Sèvenoir, je ne réalisais que maintenant qu’Avorian avait créé un sort pour effacer la mémoire de mes proches.

Je réfléchissais à la manière de formuler les choses. Je n’arrivais pas à trouver mes mots. Comment faire preuve de tact, dans de telles circonstances ? Je lui en voulais tellement ! J’annonçai brutalement :

– Ça y est ? Vous m’avez gommée de la surface de la Terre ?

– Oui. Je suis vraiment désolé, Nêryah, crois-moi.

Je défiai Avorian du regard, la rage au ventre. Incapable de le soutenir, le mage préféra détourner ses yeux des miens, visiblement confus. Il recula un peu sa chaise de la table, l’air abattu, le visage et le dos courbés sous le poids de son embarras.

– Joli piège : en effaçant la mémoire de mes proches, je n’ai pas d’autre choix que de rester sur Orfianne…

– Je ne l’ai pas fait pour t’obliger à rester… mais pour que ta famille ne souffre pas de ton absence.

Mais moi je me souviens de tout…, pensai-je, la rage au ventre.

Après un long moment de silence, il ajouta :

– À ton retour, on annulera le sort. Tout le monde se souviendra de toi. Je te ramènerai le plus loin possible dans le passé, on trouvera une excuse plausible pour expliquer ta disparition. Et j’ai guéri ta mère de sa stérilité. Elle est désormais féconde.

– Oh, merveilleux ! ironisai-je, l’applaudissant lentement, le regard noir.

– Je ne recherche pas ta gratitude, Nêryah. Je sais que tu es en colère contre moi, et c’est légitime. J’essaie de faire au mieux, pour tout le monde…

Je ne savais pas quoi en penser. Toute ma vie sur Terre, balayée en un clin d’œil, sans demander mon avis. Comme si je n’avais jamais existé. Mes pauvres parents. Quelle tragédie !

J’avais l’impression de devenir le pantin de la chorégraphie que j’avais créée pour la danse.

Chorégraphie que je ne ferai jamais… quel gâchis !

Avorian se redressa, se leva et fit le tour de la table pour me retrouver. Il prit doucement ma main. Je la retirai d’un geste brusque.

Je bondis de ma chaise et pris congé dans ma chambre.

Malgré mes questionnements, mes doutes, je sombrai sans m’en apercevoir, harassée par toutes ces mésaventures.

[1] Nêryah prononce le mot « église » en français, car il n’existe pas en Orfiannais.

[2] En français dans le texte, Avorian s’efforce de prononcer « église » correctement.

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