C'est le plombier !

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Voilà le genre d’homme à s’en être persuadé des dizaines de fois, dès ce matin : « Ce sera une sale journée. » Le genre de gars à accueillir chaque événement comme une attaque lui étant personnellement destinée, et confirmant ce qu’il sait : « C'est encore une sale journée. »

Le genre de plombier qui aimerait être déjà parti quand la cliente lui ouvre la porte.

Neuf heures du matin, je lui tends une main qu’il regarde en soupirant, avant de me la serrer avec un rictus signifiant : « On est obligé d’en passer par là ? »

Il n’a rien de spécial à première vue : ni grand ni petit, ni vieux ni jeune, ni gros ni maigre, cheveux mi-longs, vêtu uniformément de gris. Une diction un peu parisienne, un ton un peu rude d’artisan, à en juger d’après ses quelques mots de présentation. Rien de spécial à deuxième vue non plus, ni sourire, ni considération sur le temps qu’il fait. Une boule de mauvais poil silencieuse, mais qui émet nettement des mauvaises ondes, propageant ces messages : « Foutez-moi la paix. Vous m’emmerdez ».

Je lui montre : le robinet de l’évier de la cuisine à changer, le filtre aussi. Son œil fuyant et sa moue blasée m’avertissent clairement : « Vu ta baraque, tu dois t’attendre en plus à ce que je te cire les pompes. Va chier. » Il se met au travail sans un mot, sans un regard. Je traîne un moment dans la pièce d’à côté avant de l’interpeller d’un : « ça va ? » auquel il répond par un borborygme, sans doute un oui. Je vaque à mes occupations. Un appel : « Madame ». Je descends. Il est à la porte, habillé, il tient son seau d’outils :

– Voilà, assène-t-il la main sur la poignée.

– Ben non, c’est pas fini. Il reste la chasse d’eau.

– On m’a rien dit, répond-il d’un air revêche.

– Ah bon ? J’ai appelé la secrétaire la semaine dernière, elle m’a confirmé vous l’avoir mis au planning.

Il souffle, râle distinctement entre ses dents, pose ses affaires et , sans se dévêtir de son anorak, se dirige vers les toilettes. Je précise que j’ai envoyé une photo de la pièce cassée.

– Ça sert à rien les photos.

Tandis que je lui explique la nature du problème, il me tourne le dos et appuie sur le bouton de la chasse d’eau, écoute jusqu’à ce que le remplissage cesse, répète le geste quatre fois. Il m’ignore ostensiblement. C’est long. Cela devient gênant. Je précise :

– Il se produit un écoulement faible mais constant ; peut–être un système à nettoyer ou à changer ?

– S’il faut changer, moi j’ai rien, hein. J’ai même pas un joint.

Un plombier sans joint… Il place un morceau de papier toilette dans la cuvette. Le papier s’imbibe, peu à peu. Il me regarde d’un air mauvais et j’entends bien le reproche tacite : « Tu vas m’emmerder pour ça ? ». Je garde mon calme. Il arrive que nous, les femmes, soyons en butte au mépris des artisans. Autrefois, j’aurais abdiqué et l’aurais laissé partir, avant de m’énerver parce que le problème était resté entier. Maintenant, je suis moi-même entrepreneur et j’insiste :

– Je sais, c’est pas grand-chose mais au bout du compte cela représente des litres, ça coule depuis plusieurs mois. J’aurais bien regardé moi-même mais le robinet d’arrêt en plastique est cassé. Celui dont j’ai aussi envoyé la photo à votre secrétaire pour que vous me le changiez… J’ai eu peur de provoquer une fuite en forçant.

Sourire supérieur, babines dédaigneuses, ton condescendant :

– Il suffit de faire un quart de tour avec une pince.

– Oui, j’ai essayé mais je n’ai pas réussi et j’ai eu peur de tout casser, je répète.

Épaules haussées, démarche chaloupée, Monsieur roule des mécaniques jusqu’à son seau resté à la porte, s’empare d’une clef anglaise, me frôle avec un nouveau soupir supérieur. Il place les mâchoires autour du dispositif et tente à plusieurs reprises de serrer… sans succès…

Je confesse avoir savouré ma victoire dans cette guéguerre ridicule, et adopté un ton un peu trop triomphant :

– Moi non plus je n’y étais pas arrivé.

Il a désormais l’air franchement excédé. Voyage vers le seau. Il en sort tout le contenu pour tomber au fond sur… un robinet d’arrêt conforme à celui dont nous avions convenu de la fourniture avec la secrétaire.

Comme nous sommes conscients, tous les deux, qu’il en faudrait peu pour mettre le feu aux poudres, une paix armée s’installe dès lors, à coups d’échanges glacials. Il crache :

– Vous pouvez me couper l’eau ?

– Je vous coupe l’alimentation générale ? C’est dehors…

– Vous avez forcément une manette de fermeture à l’intérieur.

– Alors je ne sais pas où… Venez voir, d’habitude les ouvriers coupent dehors.

Après un tour infructueux des installations à la cave, il sort.

De nouveau affairé sur le WC, il lance avec morgue :

– Z’avez une serpillière ?

Je retiens la remarque cinglante qui menace de jaillir et m’exécute. C’est bientôt fini… Une fois le nouveau robinet en place, il libère les toilettes. Il a étalé par terre la serpillière trempée, les morceaux de pièces remplacées et les emballages des pièces neuves. Alors qu’il avait rendu la cuisine impeccable. C’est bientôt fini…

Il exulte :

– Bon ben je vous laisse regarder pour la chasse, maintenant que vous pouvez couper l’eau.

Il me fausse compagnie, déclenchant une colère telle que je suis prête à entreprendre sur l’heure le démontage et le nettoyage du mécanisme de la chasse d’eau qui, je le jure, ne fuira plus longtemps.

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