Chapitre 4 : Etape 1

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— Oh Miroir ! Oh mon beau miroir ! Dis-moi, qui est la plus belle ? Le miroir reste figé. Surprise.

J'aime les anciens contes, les histoires qui offrent du rêve à qui en voudra. Mais dans le monde actuel, ce n'est pas le rêve qui se vend, c'est la nourriture. Au revoir les contes de fées ! Bonjour médiocrité. Enfin aujourd'hui n'est pas un énième jour banal sur le calendrier, c'est un jour "épique qui change une vie". Rocards, machin-chose, ne cessent de se répéter en boucle dans mon esprit. Je hais sa voix niaise, je le déteste. Ou du moins tout ce qu'il représente. Je refuse d'être privée de mon libre arbitre. Après tout, c'est ce qu'il nous reste à nous ; être humain. Le choix. Mais aujourd'hui, je n'ai même plus ça.

Je jette un dernier regard sur le miroir. J'ai du mal à me reconnaitre. Mes cheveux bruns sont tirés en une couette haute. Mon visage est dégagé et mes yeux verts sont mis en valeur par les vestiges d'un mascara retrouvé. La tenue ou plutôt la combinaison offerte par le gouvernement me colle à la peau. J'ai le sentiment d'être nue. Moi qui suis habituée aux vêtements déformés par l'usure, il faut bien avouer que cette tenue me métamorphose. Quand je me regarde, je vois enfin une femme de dix-huit ans et non une gamine avec de vieux haillons. Mais le reflet me montre aussi une fille fragile, et maigre qui mange rarement à sa faim. Il faut avouer que les caissons de nourriture délivrés par l'état deviennent de plus en plus vides. Maman doit travailler davantage pour mériter quelques conserves de plus. Mais c'est surtout les semaines où elle n'a pu travailler qui ont plongé mon corps dans la maigreur. Il n'existe plus aucune parcelle de muscle sur mon corps. Moi qui aimait tant le sport, aujourd'hui, c'est devenu impossible d'en pratiquer.

Mes pensées sont interrompues par l'arrivée discrète de ma mère :

— Ali, il y a une voiture dans l'allée. Je crois bien que c'est ton chauffeur.

Il est si étrange d'entendre le mot chauffeur dans la bouche de maman. Les voitures pour les gens comme nous ont disparu. Si l'on souhaite aller quelque part, on pédale. Le vélo est devenu le meilleur moyen pour se déplacer. Mais quand il fait froid et qu'il neige, rien n'est simple.

Je descends les escaliers en courant. Plus vite parti plus vite revenu à ce qu'on dit.

Après plusieurs heures de voitures me voilà arrivée à Denver pour l'étape 1 : présentation et répartition des rôles. J'ouvre la portière de la voiture et arrive devant une tour, qui s'évertue à côtoyer les nuages. Je ne vais que rarement en ville, alors voir ce genre de bâtiment a le don de m'intimider. Après cette courte contemplation, je me dirige vers l'entrée en suivant le groupe de personnes devant moi. Je ne peux m'empêcher d'être anxieuse. Car, malgré moi j'ai envie de comprendre ce que cache vraiment le programme Save the World. Des tas de questions me traversent. Bien que je n'accepte toujours pas le fait de partir, il faut avouer que ma curiosité s'anime pour ce genre de sujet. D'un coup, je percute quelqu'un sur mon passage. La personne ne semble pas avoir bougé d'un pouce quant à moi, je suis heureuse de ne pas m'être retrouvée les fesses au sol.

— Excusez-moi... Je n'ai pas fait attention.

— À l'avenir, regarde devant toi, me rétorque l'inconnu d'un ton cinglant et autoritaire.

Je lève alors les yeux dans sa direction. D'un coup, ma respiration devient difficile. Je ne pensais pas voir un homme aussi beau sur cette terre détériorée. Son triceps gauche est animé d'un tatouage qui fait le tour de son avant-bras. Ses yeux sont aussi bleu que la nuit, mais brillent d'une dangereuse manière. Tout en lui est beau, bien qu'il dégage, de part sa posture, une certaine froideur.

— Tu veux peut-être une photo ? se moque-t-il méchamment.

Merde, je suis restée comme une idiote à le fixer sans m'arrêter. Il doit croire que je suis une de ces filles qui n'a jamais vu d'homme de sa vie. En même temps un homme comme lui c'est sur que j'ai jamais vu. Mais beau mec ou pas, je déteste qu'on me parle comme si j'étais la dernière des imbéciles.

— Pour prendre une photo, il faut déjà avoir quelque chose à regarder. Je respire doucement afin d'éviter de m'emporter.

Son visage se referme encore plus, et ses yeux me regardent comme si j'étais un vulgaire moustique posé sur sa peau. Il m'observe de bas en haut et finit par tourner les talons non sans me lancer un dernier regard dédaigneux.

— Quel connard ! je murmure.

— Je confirme ! Mais il faut avouer qu'il est vraiment canon !

Je tourne la tête à ma droite, pour m'apercevoir qu'une fille d'à peu près mon âge se tient à côté de moi. Son sourire est éblouissant. Elle me tend la main et se présente :

— Je m'appelle Kloé! Avec un K et sans H. Son ton est énergique et amical.

— Merci pour l'épellation au cas où j'ai à écrire ton nom. Son rire résonne à travers le hall du bâtiment. Je continue : moi c'est Ali, A-L-I.

Elle continue de rire et je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour. Cette fille ressemble à rayon de soleil aveuglant. Blonde et belle à en mourir. Elle ne semble pas s'apercevoir des regards insistants des hommes de la salle.

— C'est quoi ce putain de paradis ? C'est moi où les mecs sont tous plus beaux qu'une couverture de magazine ?

Une fille rousse avec des taches de rousseur se place à côté de moi comme si on se connaissait depuis des années.

— Vous y croyez, vous ! Dire que j'ai tout fait pour ne pas être trouvé par le molosse qui leur sert de garde. Mais bon, j'ai pas réussi à me cacher longtemps. La cave tu parles d'une idée. Et puis façon ma mère - si elle avait pu - aurait donné les coordonnées GPS de ma position. Un vrai monstre ma mère. Elle était bien contente que je parte. Une bouche à nourrir de moins qu'elle disait. Mais bon je comprends pas ; si t'as la dalle faut pas faire autant d'enfants. Enfin bref, je suis énervée de cette situation parce que j'ai dû rompre avec mon mec. Foutue mission ! Mais je suis quand même rassurée quand je vois qu'ils ont bien choisi les hommes sur ce vaisseau. Pas vous ? Au fait, je m'appelle Elizabeth !

Mon dieu ! Mais c'est quoi cette fille ?! J'ai rarement connu une personne avec un débit aussi rapide. À croire qu'elle n'a pas besoin de respirer quand elle parle. Je reste estomaqué face à elle. Ne sachant pas trop par où commencer et que répondre à ça. Je finis par sortir de mon hébétement.

— Euh... Oui enfin je n'ai pas fait trop attention, lui répondis-je, sans vraiment savoir si je réponds à la bonne question. Puis, je ne peux pas m'empêcher de lui demander :

— Dis-moi, tu parles toujours autant ?

Je sais que ce n'est pas une question polie. Ma mère serait affligée de mon comportement. Mais je n'ai jamais pu me retenir. Mes professeurs disaient de moi que j'étais impulsive, que j'ai tendance à parler avant de penser. Dans le fond, je suppose qu'ils ont raison. Mais le plus terrible s'avèrent être les longs, très longs moments de gêne pour moi et pour l'autre qui s'en suivent. Et je crois — à bien y réfléchir — que je suis un cas désespéré quand il est question de rapport humain. Mais avec grande surprise, Elizabeth m'adresse un grand sourire. Ce qui rend son regard marron encore plus taquin.

— Grand dieu, non ! s'exclame-t-elle. J'ai tendance à débiter plutôt que parler en état de stress. Et là, je suis stressée. Pas vous ? C'est quand même une étape importante. Et puis comme je ne connaissais personne, j'avais peur...

Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel. Cette fille est une tornade. Kloé, la fille rencontrée un peu plus tôt ne peut s'empêcher de pouffer en tentant de se dissimuler sans grand succès. Quelques secondes plus tard, nous voilà toutes les trois prises d'un fou rire. Cela a pour mérite de détendre l'atmosphère. Mais nous sommes rapidement arrêtés par un homme en costard s'avançant sur la tribune. Je connais cet homme. Celui-ci se place derrière le micro. Il fait face à la foule. Nous devons être au moins deux cents personnes. Tout le monde se tait, impatient d'entendre son discours.

— Bonjour ! Je me présente : Edward Rocards. Je serais votre consultant pédagogique pour cette première étape ! Cela veut dire que je suis là pour veiller au bon fonctionnement de la journée. Tout d'abord je vais laisser la parole à ma collègue Madame Trich qui souhaite vous expliquer les raisons de votre présence ici à la base Oméga.

Une femme de petite taille avance sur le devant de la scène. Elle prend quelques secondes pour traverser la foule de son regard. Derrière ses lunettes, je peux voir qu'elle apprécie la tension qui règne dans la pièce. Après quelques secondes, elle prend la parole :

— Bonjour à toutes et à tous ! Je me présente ; je suis Margaret Trich, vice-directrice du programme Save the World ! Tout d'abord, je tiens à m'excuser pour le peu de temps qu'il vous a été offert pour vous adapter à la situation. Mais par des délais restreints, mon équipe et moi n'avons pas pu nous organiser différemment. Maintenant que tout est dit et pardonné, j'aimerais m'attarder sur la présentation de cette mission. Comme vous le savez, la terre tombe en ruine. Les changements climatiques ont ralenti grandement nos installations agricoles et la nourriture devient rare malgré nos efforts pour protéger le peu de nos ressources. À ce rythme, il n'y aura plus de nourriture d'ici quarante ans. Si nous ne faisons rien pour changer cela, tout homme vivant aura disparu. Notre espèce entière disparaîtra. Par chance il y a cinquante ans nous avons vu apparaître un trou de vers à 384 mille kilomètres proche de notre satellite lunaire. Après de multiples explorations via la robotique nous avons pu avoir la certitude qu'il permettait d'atteindre le système solaire V. Ce système dispose, ce que jamais nous n'avions cru capable, d'une planète avec une atmosphère viable. Les composants récoltés nous font dire à plus de 96% que l'air est respirable et la planète viable. Vous devez vous demander pour quelles raisons faire un tirage au sort ! Pourquoi ne pas envoyer nos meilleures scientifiques et ingénieurs. La réponse est simple. Nous ne pouvons nous le permettre. Maintenant, vous allez être dirigés dans la salle d'examen pour passer un test de personnalité. Ce test nous permettra de vous attribuer le poste le plus proche de vos compétences et connaissances sur le vaisseau.

Je lève alors la main. Les personnes les plus proches de moi me regardent avec insistance. Parler devant deux cents personnes n'a jamais été ma spécialité, mais la curiosité et le besoin viscéral de savoir ne me font pas abandonner. La dame aux lunettes pose alors son regard sur moi.

— Mademoiselle, vous avez quelque chose à nous faire partager ?

— Euh oui... J'aimerais savoir si ce que racontent les informations à la radio sont vrais. Le voyage va-t-il durer 5 ans ? Et nous ne pourrons jamais revenir sur Terre ?

La femme me fixe longuement. Si j'avais su, je me serais mise plus loin de l'estrade. Sentir ses yeux fouiller en moi n'a rien d'agréable. Après plusieurs minutes, elle daigne répondre :

— Cela est véridique. Le voyage dure bien cinq années. Mais le détail de votre itinéraire vous sera transmis à la prochaine étape. Et pour votre deuxième question, non ! vous ne reviendrez jamais.

Muée par sa dernière phrase, des chuchotements viennent animer la foule. Kloé et ELizabeth à côté de moi se mettent à parler tout bas. Leurs traits sont moins souriants qu'au début de la journée. Quant à moi, je m'attendais à cette réponse. Mais mon coeur ne peut s'empêcher de s'accélérer, car l'entendre dire, par ceux qui dirigent ce programme, rend ce voyage encore plus réel.

La femme aux lunettes reprend son discours sans paraître, le moins du monde dérangé :

— Nous n'avons pas suffisamment de nourriture pour prévoir un voyage retour. Je sais que cette situation peut pour certains paraitre absurde.

Elle ne parle pas pour rien dire. Je ne comprends toujours pas ma présence ici.

— Mais, comme vous le savez, l'augmentation du niveau de l'océan à rasé une certaines parties des États-Unis — rajoute Margaret Trich — La population est passée de trois milliards à cinq millions en à peine vingt ans. Et ce chiffre diminue drastiquement chaque année. Les changements climatiques ont entrainé de nombreuses catastrophes naturelles. Tout dépérit, mais rien ne guérit. La température avoisine les moins vingt degrés en moyenne. Certains jours pires et peu de jours meilleurs. Nous n'avons plus le choix. Votre présence ici indique que vous êtes aptes physiquement et psychologiquement à réaliser cette mission.

Si j'avais su, j'aurais tenté d'éviter les visites médicales qu'on nous impose deux fois dans l'année.

— Bien maintenant que tout est clair. Je vais vous laisser sous l'autorité de monsieur Rocards. Il va vous mener à la salle dédiée à la passation du test de personnalité.

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