Chapitre 17 : Bleus au coeur, bleus au corps

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Je suis éblouie par les phares d’une voiture. Je sais que je ne devrais pas être ici, mais je ne me rappelle plus pourquoi. Pour quelle raison je pleure, pourquoi ma mère se tient droite et projette son ombre sur moi.

— Maman... qu’est-ce qu’il y a ?!

Elle ne m’entend pas, alors qu’elle se trouve juste à côté de moi. J’ai beau hurler son nom, elle reste stoïque, le visage figé par l’horreur. Je me retourne derrière moi et vois une ombre sortir un couteau du cœur de mon père. Je suis tétanisée. Je connais cette ombre, mais pour quelle raison je n’arrive pas à me souvenir de son nom ?

Les gouttes de pluie qui essuyaient mon visage tombent au ralenti. Je peux les sentir couler le long de mon cou mais, je ne sais pas si c’est l’averse ou bien mes pleurs qui glissent aussi nettement jusqu’à mon cœur. Je cours vers cette scène d’abomination, pour serrer mon père contre moi afin qu’il se réveille. Mes pas foulent le gravier sans jamais parvenir à l'atteindre.

— Papa ! mon hurlement crève mes poumons.

Pourquoi tout semble-t-il si proche mais si lointain à la fois ? Pourquoi ?

Soudain, mes pas sont plus lourds, mon corps s’enfonce dans le sol. Je veux crier, mais je n’y arrive plus. Effrayée, je pleure. Pleure pour qu’on m’entende, mais la scène reste figée, puis disparaît. Je me retrouve dans un près ensoleillé, ma main se pose comme une visière pour voir au loin. Une petite silhouette se dessine puis devient de plus en plus nette. Je me rapproche et vois mon frère Louis jouer au ballon. Je cours comme une folle pour serrer son corps d’enfant. Je finis par arriver à sa hauteur pour l’enlacer de tout mon être. Une sensation d’apaisement se propage en moi. Je respire à nouveau en ressentant autant d’amour au creux de mes bras.

— Tu m’as tellement manqué, bonhomme.

Il porte alors son regard vers moi. Il ne sourit pas. Il scrute au loin puis tourne ses yeux bleus vers moi.

— Tu avais promis Ali.

Sans que je comprenne, des hommes l’arrachent à moi et l’emmènent à perte de vue. Louis !

***

Je me réveille en sursaut. De fines gouttes de sueur glissent le long de mon dos. Mon oreiller est trempé par les larmes. Encore, un rêve de trop, un cauchemar supplémentaire pour un jour de plus sur ce vaisseau. Je sors en vitesse de mon lit et me précipite pour m’habiller. J’ai besoin de me vider l’esprit, l’effort sera mon remède. Quelques minutes plus tard, je suis sur le ring face à Linda. Nous sommes les uniques femmes occupant cette fonction. Bien que cela devrait nous rapprocher, nous ne sommes pas amis pour autant. Je ne saurais l’expliquer, mais il y a quelque chose en elle qui me rend mal à l’aise.

En tout cas, l’effort de l’entrainement parvient légèrement à dissiper mon cauchemar. Je dois avouer que je n’ai jamais autant rêvé qu’ici. Je crois que mon esprit cherche à s’évader de ces murs qui m’étouffent et serrent ma poitrine. Parfois dans mes songes, je revois le ciel, j’entends le vent souffler et ricocher contre le creux de ma nuque, et je sens le soleil lécher ma peau. Je sais bien que c’est une vision utopiste de ma vie sur Terre, mais malgré le froid, la faim, les tempêtes, la milice, je ne m’étais jamais sentie aussi libre que là-bas. Libre de vivre, d’exister et surtout de ressentir.

Ici, tout est identique ; les murs sont blancs, les gens vêtus de manières semblables et chaque endroit se ressemble. Je ne pensais pas que la vie sur Terre me manquerait à ce point. Finalement, je suis plus humaine que citoyenne. Évoluer en société dans un bocal errant dans l’espace n’a rien d’enviable et de sécurisant. C’est tout le contraire, au lieu de ressembler à un cocon protecteur, j’ai l’impression d’être détenu dans une prison. Durant les premiers mois, certains passagers ont été victimes de chutes de tension. La gravité provoquait beaucoup d’étourdissement et de malaise. Il est vrai que l’on ne ressent pas son corps de la même manière. Il est difficile de mettre des mots sur cette sensation si peu familière. Pour ma part, si je devais la décrire, j’imaginerais un ballon de baudruche qui se gonfle, enfle et finalement se sent plus léger dans les airs que sur terre. Mais je n’ai pas eu des symptômes d’étourdissement, plutôt une sensation de vide dans le creux de l’estomac. Plus les mois défilaient et plus je m’éloignais de mon foyer, de tout ce que je connaissais. J’ai eu des signes de dépression, selon le doc du vaisseau, mais il trouvait cela sans gravité. Je me souviens de ses mots pour mes maux : « Vous êtes chanceuse Alison, c’est une légère mélancolie, contrairement à beaucoup, vous êtes loin de la dépression majeure ». Cet homme a eu le don de me mettre en rogne. Pour moi, il n’y avait rien de léger à abandonner les êtres qui comptent dans ma vie. Juste de la lourdeur, de l’épaisseur dans mon cœur. Ce jour-là, je me suis juré de tout faire pour éviter ce docteur qui n’en a que le nom. Car ne pas comprendre que l’on peut souffrir de ce départ, c’est renier que l’être humain peut éprouver des sentiments.

Pourtant la mission d’un docteur, ici, est essentielle ; faire en sorte que tout le monde arrive en un seul morceau. Mais on ne peut pas guérir l’autre en ne considérant pas le fait qu’il existe. Je me souviens après le passage du trou de vers, les systèmes de ventilation ont été endommagés par les secousses. La grippe grise s’est proliférée à une vitesse phénoménale. L’air devenait des nids à microbe d’une puissance redoutable. Les gens toussaient, reniflaient, vomissaient. Heureusement, que le gouvernement avait sélectionné des individus en parfaite santé, sans cela, beaucoup serait mort ce jour-là. C’était, tout de même, une période sombre dans notre courte vie de galaxien. Chacun évitait de se toucher, de se parler trop près, de s’apprécier. Pourtant c’est ces jours-là où Jace a posé ses lèvres glacées sur moi, où Lizzie et Kloé m’ont recouvert de leurs corps quand je tremblais la nuit de vivre ici. C’est bizarre de ressentir tant d’amour dans une période aussi sombre. Mais ce lien me rendait malheureuse, plus les gens m’aimaient, plus je me sentais coupable d’être dans un jeu d’échecs avec eux. Aujourd’hui, je m’y suis faite, mais je sais que cette lourdeur ne disparaitra jamais. Bref, les scientifiques ont travaillé d’arrache-pied pour enrayer le virus qui se propageait. Car semblable à la grippe sur Terre, celle-ci était d’une grande dangerosité. Chaque bactérie se voyait décuplée par le confinement et l’air de moins en pure déversée par les ventilations du vaisseau. Il faut croire que l’humanité n’était pas prête à s’éteindre ce jour-là. Aucun mort ne fut à déplorer, mais cela avait entaché les liens qui nous unissaient. Les gens ont gardé en mémoire la peur de son voisin. Il est vrai que si cela c’était déjà dérouler une fois cela pouvait se réitérer. On n’est à l’abri nulle part, et surement pas dans un vaisseau comme celui-ci. Inconsciemment, je regarde le calendrier projeté par l’hologramme sur le mur ; deux cent quatre-vingts jours avant l’atterrissage. Après des journées comme celle d’hier avec monsieur Barms j’ai hâte de poser un pied sur le sol et de filer le plus loin possible d’ici. J’ai toujours aimé courir, quand j’en avais encore la force, j’appréciais me lever le matin tôt, quand une légère brume se déposait sur le sol, et cavaler à m’en bruler les poumons. C’était un moyen pour moi de fuir la vie difficile sans papa, d’échapper à la mélancolie et surtout au manque. Aujourd’hui, après plusieurs deuils, plusieurs vies, je me trouve à bord de Kapt avec des gens que j’aime plus que tout, mais auxquels je dois mentir. Je ne peux qu’espérer que l’existence sur notre nouvelle planète apporterait bien plus de bonheur qu’ici, même si je me doute que l’exoplanète risque de nous surprendre. Et pas forcement dans le sens attendu. Dès les premiers jours, des documentaires sur notre nouvelle habitation étaient diffusés dans la salle de l’observatoire. Tout paraissait parfait, lisse et net. Un endroit utopique ; ce que l’homme cherche tant à obtenir durant sa courte vie. Des images satellites partielles nous parvenaient, où l’on pouvait voir une réplique de notre planète avant qu’elle ne tombe en lambeau. Cela nous donnait un sentiment d’apaisement général. Mais j’étais loin d’être rassurée. Comme je l’ai appris, à mes dépens, rien n’est parfait dans la vie et surtout quand l’idée provient d’une dictature bien en marche...

Un coup dans la mâchoire me ramène brutalement et littéralement, les fesses sur Kapt. Mon corps s’écroule sous la douleur et le choc. Linda n’a pas fait semblant. Elle ne le fait jamais. Je suis trop déconnectée en ce moment, j’en oublie d’être présente dans la réalité. Je rouvre les yeux et passe ma main à droite de mon menton. Je ne parviens pas à étouffer le gémissement qui sort de ma bouche et crache un liquide entre sang et bile. Linda quant à elle affiche un sourire démesuré sur son visage au contour parfaitement dessiné. Ses cheveux roux sont attachés en queue de cheval sur le haut de son crâne. J’ai beau la détester quand elle placarde cette moue hautaine, je ne peux qu’ être admirative de son crochet du droit. Elle finit par me tendre sa main. Même si c’est une garce, elle reste fair-play. Je l’attrape de bonne foi, et pousse un second gémissement. Mon coccyx est en feu. Garce. Je dois dire que cet effort me fait du bien. Non loin d’aimer la souffrance physique. Cela a le mérite de me ramener les deux pieds sur Kapt et de dissiper la douleur mentale.

Je ne parviens pas à empêcher mes yeux de glisser en direction de Jace. Son attitude est indéchiffrable. Est-il en colère ? Indifférent ? Triste ? Il m’observe lui aussi... pas certaine que cela soit pour les mêmes raisons. J’affiche un léger sourire, mais il détourne le regard à la seconde où mes lèvres se retroussent. Peut-être, que le sang dans ma bouche l’a quelque peu réfréné… pas certaines non plus.

– Ali va t’asseoir. Linda va lui chercher de quoi se nettoyer le visage…

Ses sourcils sont froncés quand il aboie ses ordres. Il doit être énervé par mes absences. Comment expliquer que parfois je suis entre ici et autre part, coincée dans un lieu où je ne veux surtout pas être ?

Linda lâche alors ma main, et se dirige, le dos droit en direction des vestiaires. Je n’ai jamais compris pour quelle raison elle a besoin de cette attention. Mais je me souviens que ma mère me disait souvent que l’on ne sait jamais l’état du cœur de l’autre et que rien que pour ça on ne doit jamais s’autoriser de penser que l’on a tout compris.

Les combats au centre de la pièce continuent. Mon esprit me crie de retourner sur le ring, mais mon corps me chante une chanson complètement différente. Rien que poser mes fesses sur le banc, m’a demandé un effort sur humain. Alors je n’imagine pas si je devais essuyer un autre coup. La tête penchée vers le sol, entre mes jambes, je me permets de fermer les yeux afin d’éteindre le feu qui parcoure mon corps. Soudain, je sens une présence près de moi. Je n’ai pas besoin de me relever pour en connaître l’identité. Le parfum bien trop sucré de fraise vient me piquer le nez. Linda.

— Tiens, prends ça.

Je lève le regard et attrape la compresse froide qu’elle me tend. Je l’applique rapidement sur mon hématome. Au début, la sensation demeure gênante, mais bientôt, l’endroit douloureux s’anesthésie.

— Tu es ailleurs, t’es au courant ?

Je ne bronche pas. Je sais qu’elle n’attend pas une réponse de ma part. Elle cherche juste à m’ouvrir les yeux.

— Tu devrais régler tes problèmes. On n’a pas le temps de supporter tes absences, continue-t-elle.

Linda ne dit pas cela méchamment. Elle énonce un fait, qui s’avère exact. Je sais bien qu’en ce moment, il est primordial que l’on soit soudé et surtout réactif. La disparition de Jacob, les problèmes techniques qu’essuie le vaisseau ces dernières semaines et les demandes de plus en plus décourageantes des personnes à bord rendent notre mission difficile. Je ne dois pas me permettre l’erreur de m’enfermer dans ma bulle, au risque, de subir trop de questionnement de la part des personnes qui m’entourent. Et c’est une menace que je me dois à tout prix d’éviter si je veux rester en vie assez longtemps pour voir la résistance venir avec Louis sur notre nouvelle planète.

Je tente de prendre un air assuré et réponds :

— Je vais faire mieux.

— Parle à Jace, alors !

Elle se lève sans me jeter un coup d’œil et repart s’entrainer. Mon visage a dû blanchir. Je ne m’attendais pas à ça. Jace n’est qu’une partie du problème, mais cette distance qui s’est créée profite à mon malaise et à mon isolement. Je le sais, et tout le monde semble l’être aussi. Je ne voulais pas que les gens sachent pour nous. Notre histoire nous appartenait, enfin c’est ce que l’on n’a cessé de se rabâcher durant les six mois de notre liaison. Mais les regards de côté, les frôlements quand on marchait, les cris de colère et d’affection qui nous échappait. J’aurais dû savoir que l’on n’est pas invisible comme on le souhaitait. J’aurais dû comprendre que l’amour, jamais ne disparaît...


***

Bonjour tout le monde ! 

Je tiens encore à m'excuser pour mon absence de la plateforme ces derniers temps. Mais ça y est je suis réinstallée dans mon petit chez-moi au Québec (avec les caribous et bientôt la neige haha) et je suis prête à reprendre du service :)

Voilà le dernier chapitre ! Le prochain est presque terminé et j'ai hâte de l'éditer. Normalement, il bouge un peu plus que celui-ci. J'espère tout de même que cela vous a plu, pour moi il était un peu difficile à écrire, je devais me remettre dans le bain ;) Bisou à vous tous et merci encore pour votre si beau soutien !

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