Chapitre 1 - La B.P.D.

7 minutes de lecture

“Regarde moi cette magnifique ville, Elle.”

Je ne réponds pas.

“Bordel, n’est-elle pas merveilleuse ?”

A bord de la Peugeot Spinner 2049, garée dans l’ombre de la Saint Street, je préfère de loin écouter le “Can’t Help Falling In Love” de 1961 plutôt que de l’écouter. Car je sais qu’il fait preuve d'ironie et de sarcasme. Ce qui l'a toujours caractérisé...

“Une cité de toute beauté hein ?”

Je décide de garder le silence et m'allume une clope.

“Tu devrais arrêter de consommer cette merde. Tu savais que la version 2022 du Nectar ne nous donnait même pas accès à la nicotine virtuelle ? Un soucis de pixelisation je crois je crois bien ! Du foutage de gueule ! Heureusement qu’ils ont arrangés ces défauts. Saleté de drogue. C’est quoi ton opinion sur le sujet ?”

Que je me contente d’attendre notre foutue “boîte” qui doit se pointer d’une minute à l’autre au coin de la rue et que j’aimerais faire mon boulot sans écouter tes conneries habituelles ! Je souffle un nuage toxique.

“Je pense que pouvoir retrouver Elvis qui chante sur ta table à manger pour ton cent-septième anniversaire c’est pas si mal.

  • Tu parles de ton vieux ?
  • C’était son chanteur préféré. Et c’est bien le Nectar de 2022 qui lui a permis de réaliser ce “flash”. Elvis qui chante sur la table à manger. Le Nectar de 2022 avait pas les mêmes effets ni les mêmes rush de dopamine que les nôtres. Pourtant, avant de mourir, il a tout de même pu réaliser ce souhait.
  • Pourquoi tu me racontes ça ?
  • Pour te donner mon opinion : qu’est-ce que je penserais de moi-même si j’avais laissé crever mon vieux sans lui permettre de réaliser son souhait ?
  • Rush de dopamine. Du fantasme. C’est ça notre vie ?
  • C’est parfait comme ça. Mon vieux disait quelque chose d’intéressant sur le Nectar : La grandeur précède la décadence. Et les ruines précèdent la grandeur. Il nous répétait cela lorsque la maladie le dévorait. La folie parlait à sa place selon les médecins. C’était lorsqu’il ne prenait plus ses doses de Nectar.
  • Tu veux dire qu’il était devenu une de nos fameuses “boîtes” ?
  • Si on veut oui. Il hallucinait la nuit. On ne pouvait plus le forcer à s’injecter le Nectar. Ni à l’inhaler d’ailleurs. Il était catégorique. Et sur la fin il nous répétait cette chose sur la grandeur et la décadence du Nectar. Je n’ai jamais compris ce que cela signifiait. Peut-être que le rush de dopamine précède la chute.
  • Ha ! D’où le fait de ne pas espacer les prises de plus de six heures voyons !
  • Il voyait peut-être des choses terrifiantes dans ses hallucinations nocturnes. A l’époque ce n’était pas puni d’enfermement. Il nous disait voir la Tour dans ses visions. Et voir une femme. Il nous disait ouvrir une porte là-haut, tout en haut de la Tour et trouver cette femme. Après le décès de ma mère il n’a plus jamais été le même. Peut-être se voyait-il la rejoindre.
  • Et pourquoi me raconter ça ?
  • Pour te donner mon opinion voilà tout.”

Je tire une énième taffe comme pour exorciser ces mauvais souvenirs. Il a raison, pourquoi lui raconter ça ? Idiote. Le Nectar n’efface pas la solitude...

“Mais aussi pour te faire comprendre que ça, ce que tu considères de manière si sarcastique, cette cité, cette ville, ce monde, c’est tout ce que nous avons. Et c’est grâce à ce Nectar que nous restons sains. C’est grâce à ces injections qu’on garde la tête froide.

  • Et qu’on peut tripoter nos star X plus vraie que nature !”

Il éclate d’un rire gras et sale. Son gros bide bien gras vibre au rythme de son exclamation contre le volant de la Spinner. Thompson est tellement large que je ne sais même pas comment il peut encore rentrer dans ce modèle Peugeot. Une barbe parsemée et grise orne sa mâchoire épaisse et son crâne informe laisse apparaître une calvitie.

“Franchement, une belle femme comme toi, intelligente et maligne… ça me surprend que tu respectes autant notre système. On a le droit de critiquer notre grande Babylone tu sais ? Tant qu’on se change pas en “boîte” évidemment.

  • Si tu es aussi sûr de tes convictions, pourquoi continuer de prendre tes doses ? loue-toi une frégate et vogue hors de Babylone, vers l’horizon de l’océan ? Et abandonne ces stars du X que tu aimes tant peloter.”

J’ai dit ça à haute voix ? Il n’a pas le temps de répliquer que là, au bout de la rue peu éclairée de Saint Street, une silhouette.

La neige tombe à gros flocons en ce lendemain de nouvelle année.

Babylone est aussi blanche que la Tour ce matin. L'extase (ou le stress ?) commence à monter. Je couvre mon crâne rasé de ma capuche. Mon imperméable ne me tient pas chaud du tout, mais j’apprécie sa compagnie. Noir, comme ma peau. A mesure que la chaleur augmente je me demande si l’intervention se passera bien. Alors que l’euphorie est à son paroxysme, je termine mon énième cigarette. Écoeurante, comme toutes les autres.

La neige rendait Babylone encore plus belle. Une cité des Anges au centre d’un vide cyclonique.

“C’est lui bordel.”

Thompson bouge sur son siège, la Spinner avec. “Bon, au lieu de déblatérer tes bêtises de propagande, tu me chopes notre “boîte” Kirikou ? Si ça tourne mal, je t’aiderai à intervenir. Compte sur moi hein.”

Salopard.

La radio est brouillée, un son informe couvre un “Non, Je ne regrette rien” .

“OK.” Je retire le Sig 2049 de la boîte à gant, prêt à démarrer l’arrestation. Je sors de la Spinner avec l’envie de lui cracher un “Au fait, Kirikou elle t’emmerde gros lard.”

L’ombre approche, au loin. C’est lui. Comment suis-je capable de le reconnaître ? Ils ont tous la même dégaine. Ils font tout pour être à l’aise mais ne le sont pas le moins du monde : des âmes perdues qui pensent pouvoir sortir de Babylone à l’aide d’un passeur qui leur ferait traverser la mer. Idiots. Evidemment, le passeur c’était l’invention de notre équipe de renseignements. Une annonce déposée par nos soins. Tout est permis pour arrêter nos “boîtes”. Des boîtes car le crâne vide par manque de Nectar. En vérité, ayant été témoin de la folie de papa qui avait cessé toute prise d’injection de Nectar, je peux dire que leur crâne est bien rempli...d’hallucinations…de maladie...

Je m’avance, traversant le voile de flocon silencieux. Le lendemain de la nouvelle année, tout semble figé.

Et là, se rapprochant de moi, l’ombre se rapetisse.

Un gamin qui...un gamin ? Oui. Aucun doute, le gosse dévale la rue droit vers nous. Sous les hologrammes immenses de Clint Eastwood et de John Wayne roulant des mécaniques, son ombre me paraissait celle d’un truand. Pourtant voilà qu’un mioche d'à peine dix ans se pointe dans ma direction. A moi de jouer mais...je sens la chaleur m’envahir. C’est différent de d’habitude. Pourquoi ? C’est un gamin bordel. Justement. Mon front, ma chevelure de deux millimètres, mes mains fines et moites, mon coeur bat la chamade. Cela ne devrait pas être aussi difficile… Qu’une simple boîte bon sang ! Je prends une grande respiration alors que Piaf hurle son laïus français des hauts parleurs de la Peugeot Spinner. Une fois expirée, l’air s’évapore en une fine buée dans le froid d’une Babylone majestueuse, à l’aube d’un jour nouveau.

Le gamin m’entend.

Il s’arrête.

Piaf hurle une dernière fois son refrain alors que je tends mon Sig 49 à émission magnétique vers lui. “Aujourd’huiiii, ça commeeeence avec toooiiii !” Tout semble tellement lent et calculé... Et puis, le gamin...il ne court pas. Ne semble pas apeuré le moins du monde. Pourquoi ? Et puis il...il porte des lunettes de soleil type Ray Ban. Un bandage blanc lui couvre les yeux derrière ses lunettes et entoure son petit crâne. Il me fait déjà de la peine. Alors, lorsque la radio se brouille totalement, je déclare les droits de ma “boîte” :

“Je suis agent de la police pénitentiaire de la Grande Babylone. Au nom de la Tour Blanche, vous êtes en état d’arrestation. Vous serez soumis à un interrogatoire durant votre garde à vue, puis vous séjournerez dans les souterrains pénitentiaires si votre statut est confirmé par un Juge. Est-ce suffisamment clair ?”

Le môme. Il ne répond pas. Mais ne paraît pas sous le choc. Je n’ai jamais arrêté de gamin. L’annonce des droits n’est même pas adapté à son âge. Il se rapproche de moi, lentement, très lentement. Un visage juvénile, des cheveux bouclés, lui tombant au niveau du cou. Un garçon. Blanc. Mon job, c’est de les ramener en vie, qu’ils purgent leur peine. Pas de les analyser. Le gamin tend les mains en avant, comme s’il savait déjà ce qui allait lui arriver. Je baisse mon arme, lui enfile les menottes magnétiques et remonte dans la Spinner avec ma nouvelle “boîte”.

“Un môme ? Jamais arrivé. Ha, ça se coffre de la même manière qu’un adulte.”

Et le gros Thompson nous mène vers le QG. Au loin, à travers le voile blanc de la neige épaisse, je perçois déjà la façade blanche du bâtiment pyramidal, les immenses lettres B.P.D. fièrement dressé : Babylonian Police Department.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire WhiteWolf ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0