Perturbante noirceur

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CHAPITRE 3

« La chance que l’on a n’est pas de vivre. Elle est de comprendre pourquoi on vit. Une fois comprise, on peut accomplir des exploits. C’était ça être humain. Et vous, vous l'avez compris ? »

Cette nuit là quelque chose avait changé. Comme si dans mon rêve répété, j’avais eu une once de lumière qui me manquait tant.

Comme si j’avais deviné quelque chose que je devais pousser plus loin pour pouvoir dire ce que c’était. Je dessillais mes yeux pour voir plus grand.

J’avais presque démystifié les ombres qui rongeaient ses contours imperceptibles.

L’énigme absconse était à deux doigts d’être décryptée.

Mais pour pousser plus loin, il fallait que je remplisse ce trou obscure d’éclairage. J’avais repensé à ce livre qui m’avait fait verser un sanglot.

Et pour dire, il n’y avait aucune raison pour que j’y dépose une larme.

Elle fut aimantée par l’image et y fondit comme du beurre incrusté aux pâtes.

Ma nuit avait semblé apaisante pour la première fois de la vie et pourtant fut aussi l’une des plus troublantes. C’est comme si il s’était passé tant de choses en si peu de temps.

Ceci était un peu bizarre mais j’avais ce souvenir qui vint de revenir toquer mes pensées. Où pouvait bien se trouver ma mère pendant que mon père lui prétendait la chercher ? Peut-être la cherchait-il vraiment mais avec lui, il ne fallait jamais dire tout connaître de sa vraie vie personnelle. Il cachait des vérités trop importantes pour épargner les petits détails. C’était à ce moment que je me questionnais sur et si sa raison ici n’était pas différente à celle qu’il m’avait dit ? Ou était-ce lui la victime ? Tom le harcelait et le forçait à être sous ses ordres et il lui avait donné une moitié de sa fortune pour qu’il laisse ma mère en paix mais devait encore travailler pour lui en échange de ne pas tout lui donner ?

Et si… Je devenais scénariste ? Parce que là je partais carrément trop loin.

Mes propos étaient insensés mais je n’avais pas de raison crédible pour expliquer le pourquoi du comment. À vrai dire en parlant de sottises, toute à l’heure, j’avais entendu Edgar crier. Il n’y avait pas de réponse face à lui, c’était pourquoi j’avais supposé qu’il était au téléphone avec quelqu’un.

Hélas ce c’était pas quelque chose que je pouvais facilement deviner étant donné qu’il était aussi possible que les dames de ménage aient mal fait leur boulot et qu’elles se faisaient réprimander. Je n’eus pu comprendre les réprobations exactes mais il semblait terriblement en colère. J’étais sortie vaguement de ma chambre pour essayer de discerner au mieux que je puisse entendre mais toujours confusément. Je m’étais donc rétractée.

Ce n’était pas dans mon habitude de vouloir savoir quel genre de discussion il entretenait avec l’entourage qui lui était ceinturé malgré ça, c’était plus fort que moi.

Toutes ces choses qui avaient changé curieusement, il y en avait une autre plus étonnante.

Aujourd’hui j’avais envie de prendre l’air et de voir si le livre de Edgar était à la bibliothèque de la ville. Normalement, vu sa superficie, il devrait s’y trouver, si je cherchais bien, je n’aurai point de mal pour l’accaparer et pouvoir le ciseler un peu plus.

Ma frange débordant la limite de mes pupilles, méritait tout de même un coup de ciseau avant mon départ. J’attrapai la paire pour égayer tout ça.

Un peu trop courte de ce que j’attendais n’ayant pas de talent particulier pour la coiffure, j’avais pour habitude de la dégager de mon visage pour mettre mon casque mais ce ne sera plus admissible avant la prochaine repousse donc au moins un mois. Cette fois ci elle longera l’étendue de mon front où l’on y confondrait la couleur faune de mes yeux entre celle ci et ma noble touffe blonde héritée du généreux géniteur Edgar.

Je sortis de ma chambre et passai devant les chambrières, comme à leur habitude négligente à leur attitude envers moi.

Edgar n’était pas là donc sûrement dans son bureau, d’où la retenue de mon attention encore plus grandissante vis à vis d’avec qui il discutait.

Fragment de plus à additionner à mon puzzle d’interpellations.

Dehors, comme assez quotidiennement, je montai sur ma mobylette qui passait de mode et s’affaiblissait de jour en jour.

Le moteur allait lâcher sûrement bientôt et il me faudra de l’argent pour réparer ça. J’avais entendu dire qu’il y avait beaucoup de gens travaillant en temps partiel dans les pays asiatiques surtout, pour mes petites affaires privées, je pourrai faire ça pour garder encore quelques secrets sans avoir à demander l’aide financière à Edgar, surtout quand ça concernait maman.

Après avoir enfoncé la clé et démarré avec en face de moi le téléphone m’indiquant les directions pour où aller, je restai concentrée sur la route car les bouchons commençaient à se laisser voir de plus en plus.

Même si je pouvais passer entre, je ne pouvais pas prendre le risque de passer entre la cordelette d’extrémité que m’avaient laissé tous les automobilistes.

Un imbécile commençait à me klaxonner comme si je n’étais pas dans mon droit d’être au même endroit que toutes ces voitures puis idiotement je tournai la tête pour voir l’interlocuteur. Les vitres étaient teintées et la voiture marron.

Pour information, je ne pensais pas croiser un jour un modèle de cette couleur, ce qui lui donnait un genre unique. Cette personne bavassait sur moi, ce qui commençait à me faire froncer des sourcils. En plus qu’il n’y eut pas d’avancement, il continuait ces bruits incessants.

Je suivis sa nigauderie et commençai à hurler moi aussi en calant la mobylette pour aller cogner à sa fenêtre. S’il n’ouvrit pas la portière il laissa aussi tout fermé comme s’il avait voulu se façonner une cage.

Cet espèce d’enfoiré commençait à me taper sur les nerfs, je tapai de plus en plus violemment pour qu’il réponde mais sa seule réplique fut son klaxon.

Ce ne fit plus uniquement lui mais toutes les autres derrière dorénavant car la circulation avait repris, je râlai mais me condamnai à me contraindre à leurs exigences. C’était une question de civilisation, lassant mais bon.

Quand j’étais déjà remontée à bord de l’engin, je jetai un dernier coup d’œil derrière moi. Une drôle d’impression me tourmentait. La surface qui cachait cet inconnu captivait ma réflexion. Je mis en balance son regard et sa voiture mais ce que je ne pouvais apercevoir me semblait bien plus lourd.

Tranchant mes pensées, je revins à la réalité en continuant ma route dont la lignée de tous ceux derrière moi suivaient également.

De loin le panneau annonçant le rond point pour laisser priorité aux voitures déjà engagées, je me préparai à m’arrêter.

Curieusement, cette drôle de voiture marron s’approchait dangereusement de moi, voire énormément trop. Comme si l’homme ou la femme dedans souhaitait se venger de l’affront précédent. En dépit de cet espèce d’amok tout se passa correctement et je semblai m’être éloignée passant à travers les voitures.

Désormais éloignée de l’affluence abondante de la route, je mettais la gomme sur l’accélérateur toute folâtre et empressée d’arriver dans un nouvel endroit pour découvrir sa pureté et son histoire. Peut-être qu’à la bibliothèque j’y trouverai d’autres bonheurs. Sur la route je devais aussi récupérer un colis, je faisais une petite collection de pierres précieuses ou juste jolies. Par la suite je les examinais et je les mettais dans une boîte que seule moi ouvrais. Je préférai passer directement au bureau de poste pour que personne ne soit au courant de mes achats qui ne concernaient absolument personne, même celui qui finançait ces articles.

Ma frange n’avait pas pour habitude de se frotter aussi près de mes prunelles c’était relativement gênant, il fallait m’habituer. De ce fait, ça m’irritait légèrement les yeux, la sensation était si désagréable.

Un peu plus loin désormais, mon rétro ne cachait pas le reflet de cette voiture qui me suivait, bien au contraire, elle était omniprésente et ne me lâchait pas la grappe. J’allais donc plus vite en pressant consciencieusement l’accélérateur parce qu’il commençait à me faire stresser. Rien ne semblait l’arrêter puisqu’il collait mon derrière avec aisance.

Je commençais à perdre les pédales à force de regarder derrière moi et je fus prise en filature par la voiture devant moi. Elle arriva en face de plein fouet.

Bancale, je ne tins plus en place et déviai presque de la route, le contrôle de ma mobylette ne fonctionnait plus correctement, j’allais entrer en collision, c’était inévitable. Paniquée, le guidon que je secouai dans tous les sens n’allait pas dans le sens où je souhaitais qu’il aille. Je n’avais plus le temps de réfléchir et la seule chose qui agissait chez moi c’était ; mon instinct.

Mes yeux écarquillés, l’action allait si vite et je voyais ces secondes en minutes.

Chaque petit centimètre, millimètre, nanomètre devrai-je dire, je croyais qu’il s’agissait d’une centaine de mètres qui me séparait du véhicule qui allait certainement détruire ma mobylette adorée et me propulser loin d’ici dans un lieu peu propice. Pendant que je regardais droit devant, effrayée, que ces secondes sûrement déjà passées ne me le paraissaient pas, en face de moi, le conducteur de l’ombre m’avait tout l’air invisible. Je ne le voyais pas et je me demandais si j’allais le voir par la suite, si j’aurai la chance de pouvoir lui passer un savon. Si l’accident avait déjà commencé ou pas encore, pour moi la suite resterait la même ; je serai bouleversée.

J’avais le temps de réfléchir à tout ce que j’ai loupé dans ma vie. Ma main me faisait mal, je ne sentais plus mes tibias, mes genoux et ma tête était ailleurs. Je fixais un endroit que je ne pouvais distinguer. C’était noir. C’était blanc. C’était bleu. Je ne savais pas. C’était une ou des couleurs. Mais laquelle, je ne pouvais pas le dire. J’avais déjà été balayé. Éjectée d’une distance que je ne saurai qualifier n’étant pas en état, je peinais à juger la situation et les actions à entreprendre en étant tapissée le long de la route. La circulation continuait, comme à mon habitude. Je n’entendais pas très bien mais quelques échos me parvenaient. J’entendis le bruit d’une voiture me passer devant. Était-ce le chauffeur qui venait de me renverser ? Ma vue affaiblie à son maximum fut brouillée par un altostratus qui fit ruminer les nerfs de mes pupilles.

Quand mes oreilles commencèrent à se déboucher, le son qui devint plus fluide enclencha une bombe à retardement qui allait détonner ma stupéfaction en grande pompe. Les carnations des teintes changeaient d’allure, elles éclataient de vigueur. La tonalité avait complètement changé. Je me rendis compte que je m’étais semi relevée. C’était aussi à ce moment que je vis l’homme sortir de sa voiture. Son expression secrète ne me laissait pas l’observer, caché sous des mèches rebelles noires qui reflétait l’idée que j’avais de lui. Il n’avait pas l’air de ressentir le moindre regret et c’était sûrement le pourquoi du comment j’étais encore plus énervée contre lui. Je souffrais mais d’une autre part, ne sentais presque plus certains de mes membres. De toute manière, j’étais déjà pitoyable alors au point où j’en étais, peu m’importe, j’avais des choses à dire.

Avec grand effort, j’écrasai le champignon pour lui montrer de quel bois je me chauffais.

- Eh, toi, espèce d’enflure, comment tu peux sortir de ta voiture que maintenant ? C’est donc devenu ça l’humanité ? Tu te fiches de ton acte ? Tu te prends pour qui, sérieusement ? Tu penses être de quel niveau pour me regarder du haut de ton volant pendant que je suis allongée parterre avec un mal de chien ?

Pendant que je médisais sur lui en laissant ma rancœur, je constatai qu’il n’en avait strictement rien à cirer. C’était pourquoi, je me devais de le forcer à écouter et non juste entendre, puisque ce monsieur avait décider de ne pas montrer son visage et ne pas me répondre. Fierté ou pas, il allait me répondre, et me devait des excuses.

- Tu m’écoutes quand je te parle ?

À la suite de ma phrase, mon genou se plissa sans me laisser le temps d’interagir et de connecter mon cerveau. C’est à ce moment là qu’il adhéra mon regard, durant ce court échange, nos yeux furent cristallisés. Les siens par les miens je n’en savais pas la raison mais j’avais la conviction d’une chose ; pour mon cas cet échange m’avait subjugué. Statuée devant lui alors qu’il avait déjà détourné ses yeux, tout de même hypnotisée par la sphère englobée entre ses cils, ma bouche entrouverte aurait pu y laisser entrer quelques mouches de passage. Ses magnifiques rondelles m’avaient enchaîné à lui. J’eus le temps de photographier la forme aristocrate encadrant ses arcs superbement dessinés.

Ensorcelée et déboussolée par le mystère frappant émanant de ses yeux, je n’arrivai pas à en placer une en continuant donc de toiser son feuillage noir épais, m’empêchant de dévisager de nouveau les détails de sa belle frimousse.

À force d’être capturée par sa beauté frémissante je n’eus pas le temps de capter qu’il commençait déjà à s’en aller et me laisser en plan. Hors de question de laisser cet escroc partir, nous avions un constat à faire et là ce ne serait pas à l’amiable.

- Qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne crois pas t’en sortir comme ça tout de même ? Tu te rends compte de la gravité de tes actes ?

Bien entendu il m’ignorait, il baissait la tête comme s’il avait honte de ses actes mais pourtant j’avais ce ressenti intuitif qu’il n’avait absolument aucun regret.

Depuis toute à l’heure j’accumulais un long monologue qui commençait à devenir épuisant.

Mais grand rebondissement, sans tourner la tête et en pressant le pas comme toujours, il fit tomber des billets d’argent parterre et me lança de sa voix grave et apaisante sans grand étonnement.

- Je suis désolé, si vous voulez bien me pardonner, je n’ai pas le temps, prenez cela pour réparer votre véhicule et vous soigner.

Cette phrase qui me brusqua me mit dans tous mes états.

- Hors de question que tu ailles plus loin sans payer devant un juge ce que tu as fait ! Je n’avais peut-être pas totalement raison aussi, mais je vais porter plainte pour « non assistance à personne en danger ». Les personnes comme toi ne méritent pas de conduire et tu as détruit l’objet qui nourrissait ma raison d’être.

- Je me fiche de la valeur de cet objet à tes yeux, je paie pour sa valeur financière et les frais d’hôpital.

- Arrête d’avancer, arrête toi espèce de con, lui ordonnai-je, depuis toute à l’heure j’essaie de garder mon sang froid mais là, tu vas trop loin, tellement que je ne sens désormais plus aucun de mes membres !

Il détourna légèrement la tête à l’entente de cette phrase et murmura quelque chose. Ça ressemblait à un « ça doit être la raison pour laquelle... » après il s’est retourné de nouveau et je n’ai pas eu le temps de lire sur ses lèvres la suite.

Quand j’étais jeune, pour ne pas se faire attraper en cours dans les premières classes de primaire, on apprenait à lire sur nos lèvres, comme ça la professeure ne pouvait rien dire. Ça m’aurait bien servi d’entendre la suite de ces mots pour comprendre ce qu’il se passait dans sa tête.

Il était rentré dans sa voiture, l’objet de mon attention étant perceptible, c’était pourquoi je me permettais de le visualiser tout en beuglant contre lui.

Je ne pouvais plus l’arrêter, une fois monté, il partit de suite sans attendre, je n’eus aucun autre mot à rajouter. En suivant la trajectoire de la voiture, je m’aperçus que la voiture marron n’était plus là. De plus il n’y avait en fait plus aucune voiture qui étaient présente. Pourtant je venais d’avoir un accident, d’autres personnes auraient du s’arrêter pour me porter à l’aide.

Je ne pensais pas que mon physique était repoussant, mon attitude cela était plausible mais personne ne me connaissait. Alors pourquoi est-ce qu’ils n’ont pas agi ? Même ce conducteur avec cette horrible personnalité mais si attrayant physiquement m’a laissé tomber alors que c’était celui qui n’aurait jamais du oser. Malgré que je n’avais pas une très haute attente des humains en général, j’étais déçue qu’ils arrivaient tout de même à ne pas me prendre à un niveau assez élevé pour se préoccuper de moi. Depuis que j’étais ici c’était la deuxième fois que l’on me laissa gésir au sol.

Ça devenait barbant mais en même temps, je me disais que je n’avais pas à attendre quelque chose d’eux puisque je ne laisserai pas aux autres avoir ce qu’ils attendaient de moi. Ma mobylette cassée, je la regardai peinée, en me rappelant que son temps était déjà compté avant. J’appelais une remorqueuse pour la déplacer dans un garage où elle pourrait être réparée. Pendant ce temps, comme par pur hasard, le plus déveinard qui soit, aucune, absolument aucune voiture, camion, bus ou quelque ce soit le moyen de déplacement ne passait dans le coin. Après avoir trottiné quelques pas sur l’extrémité de la chaussée, je ne supportais plus mon corps. J’étais presque pris de frénésie tellement j’étais surmenée haletante sur le seuil du sommeil. Mes pas titubant, je ne sus pourquoi je fis ça mais je sortis mon téléphone de la poche. Fouillant mon répertoire à coup de dès, ne regardant pas vraiment sur qui j’allais tomber, j’appelai le numéro deux pour faire l’appel direct. Le numéro un n’allait jamais décrocher, c’était celui de ma mère. Je l’ai composé tellement de fois que ça m’arrivait d’avoir constamment en tête sa messagerie. Le numéro deux, c’était un ami que je n’avais pas vu depuis des lustres. Non, ce n’était pas un ami, c’était une connaissance que mon père connaissait au Japon, qui venait aussi de France mais qui était parti quand nous étions gosses. Je ne voulais pas appeler les serviteurs d’Edgar alors je voulais voir s’il était réellement utile et si je pouvais compter sur cette personne pour aujourd’hui. Voir si j’avais le droit de demander ne serait-ce qu’une faveur en tout égoïsme.

Le téléphone sonnait ; une fois, deux fois, trois fois… Il n’allait pas répondre. Mais finalement avant le quatrième coup qui retentisse, il s’arrêta de sonner. Il avait répondu.

- Allô, Cosme ? J’ai besoin de toi maintenant. Ed… Euh mon père m’a dit de t’appeler en cas de besoin car tu connais bien les environs. Je suis à la route qui mène à environs quatre kilomètres de la bibliothèque nationale. J’ai eu un petit accident… Enfin je t’expliquerai en détails plus tard. Dis moi si tu peux venir ou pas, je te compenserai au pire.

Encore une fois, je n’obtins aucune réplique.

- Eh Cosme, t’es là ? Oui ou non, réponds juste, au pire je me débrouillerai.

Mes poumons s’esquintèrent de forcer mon souffle à sortir de ma bouche.

- Hum.

- Oui ? Bon je t’attends là, ne prends pas de temps, je dois passer à l’hôpital, je suis mal en point en quelques sortes… Bon, à de suite.

- Hum.

Il raccrocha, la discussion ne fut pas grandiose. Je m’épanchai vers l’avant, plongeant mes pieds dans l’herbe qui ne faisait que ralentir mon avancée. Le temps était long. Très long. Beaucoup trop long. Il n’était toujours pas là. J’étais fatiguée. J’avais juste envie de dormir. Mes blessures m’étaient insensibles et je savais que je les avais enfoui pour reprendre du pas de course. La douleur que j’éprouverai par la suite sera sans nom. Physiquement et psychiquement. J’étais frustrée et ça, personne ne pouvait m’en guérir. Agonisant du passage de certains véhicule sans scrupule particulier, enfin un s’arrêta sur la chaussée derrière moi. Au début j’eus un peu peur que l’on veuille de nouveau me rentrer dedans, mais finalement, ce serait sûrement Cosme. Pile au moment où je commençai à chuter péniblement vers le bas. Je voyais le bas de ses pieds en face de mes mains. Il me releva soigneusement puis me transporta en m’agrippant contre lui jusqu’au siège du passager qui se trouvait à ses côtés. Je ne pouvais relever ma tête qui balançait pianissimo contre la fenêtre de la porte déjà refermée. Cosme ne parlait pas. Il mit ma ceinture, méticuleusement, comme à son habitude puis ensuite alla s’installer à son propre siège. Ses pas sonnaient réguliers, il prenait son temps. J’essayai d’articuler quelques mots, mais mon surmenage me laissai patraque. Mes lèvres restèrent donc collées et devinrent sèches car même ma salive ne pouvait glisser de mes commissures décidément elles aussi trop exténuées.

Dans chacun de ces mouvements que je ne voyais pas mais que j’imaginais par le son d’un reflux désordonné, sonnait une relaxation qui me permettait de me laisser aller.

Malgré ce que je pus penser, je pus entendre qu’il avait l’air de me demander où je me dirigeai initialement. Je lui expliquai avec des mots vagues, que j’aurai du aller à la bibliothèque nationale ainsi que passer récupérer mon colis dans un relai, mais que je ne pus accomplir mon devoir, pour cause, la raison de ce changement de destination pour l’hôpital.

La voiture avait déjà commencé à rouler et je me sentais, bizarrement, à l’aise.

Le silence entre nous était agréable, un rare mutisme entre deux humains avait actuellement lieu, tandis que je me prélassais en me reposant, yeux fermés, toujours tête à son opposé.

Le trajet sembla trop court à mon goût, tellement détendue que je fus totalement endormie. Je ne fus réveillée que quand il vint toquer à la portière puis me l’ouvrit, le temps que je me ressaisisse. À peine sortis-je qu’il fut déjà revenu à sa place initiale, c’est-à-dire, celle au volant.

Quand je voulus le remercier, il partit brusquement, sans me dire un mot, ne me laissant pas agréer ma politesse envers lui et lui redevoir ma bénédiction.

Biglant sur sa plaque d’immatriculation, je songeai sans réflexion particulière et pourtant avec densité. Une dame en fauteuil roulant me bouscula légèrement, sans doute sans faire exprès. Sans grande force restante, je déviai en ronde, sur moi-même, trimbalée dans un tournis sans fin.

- Ça va, mademoiselle ? Protesta t-elle de grands gestes, comme si elle pensait que je ne pouvais les voir. Attendant une réponse, je me forçai de lui donner.

- Oui, je vais bien, et vous ? Je ne vous ai pas fait mal ?

- Oh non ma petite, je suis solide moi. Ça va faire quatre ans que je viens faire mes examens dans cet hôpital où ma fille travaille, c’est pas une petite bousculade qui va me casser en deux.

Étonnée par cette vivacité, elle sembla voir ma surprise puisqu’elle continuait de rétorquer.

- Si tu viens ici et voyant ta manière de te tenir, je ne pense pas que tu viennes pour un proche. Tu devrais te dépêcher de rentrer et te faire soigner, tu peux faire confiance au personnel, aux aides soignants, le médecin et tout ce qui entoure cet établissement. Je me sens réellement mieux grâce à leurs rassurements constants. Si tu as un problème, n’hésite pas à me contacter, je viens toutes les semaines de toute manière.

- Non, non ! C’est très gentil de votre part, madame. Mais je ne pense pas que ce soit grave, un preste accident, insignifiant mais avec des vastes conséquences. Autant ne pas les agrandir en les guérissant au plus vite.

- C’est une belle manière de penser, jeune fille. Mais dis moi, tu parles très bien le japonais pour une occidentale.

- Ah… Oui. Ma mère est japonaise, mon père français.

- Oh, super, je suis fan de leurs pâtisseries ! Tu cuisines bien toi aussi ?

Je ris à l’entente de cette phrase.

- Ce n’est qu’un cliché, la cuisine n’est pas bonne partout. Quand on l’apprend et qu’on la maîtrise, surtout quand elle est faite avec amour ou passion, alors on peut déterminer de sa bonne saveur.

- Ce sont de paroles sages, tes parents t’ont bien élevé. Mais dis moi : Tes yeux semblent bien clairs pour une jeune fille possédant du sang asiatique. Peut-être que tes gênes ont été modifié ? Je ne savais pas qu’avoir les yeux jaunes étaient possible.

Un palpitement tapa dans ma poitrine. Sujet sensible, à consommer avec modération. Surtout quand une inconnue m’en fit la remarque.

- Je ne sais pas, je n’aime pas trop en parler…

Voyant que j’étais gênée, elle s’excusa.

- Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise, excuse moi, la vieillesse me rend maladroite. Je vais te laisser tranquille, mais quand même, je te souhaite un bon rétablissement, les jeunes sont le futur.

S’éloignant petit à petit, je commençai à m’interroger sur un fait que je n’eus pu voir de mes propres yeux. En panique, je l’interrompis donc pour éclaircir cet indice qui m’était insaisissable et pour lequel je restai insensible.

- Attendez, s’il-vous-plaît !

- Oui ?

- Euh, dites moi, vous m’auriez aperçu sortir de la voiture ?

- Hm, non, je ne pense pas. Enfin plutôt, je ne me souviens pas.

- Un garçon est venu m’ouvrir la porte et est directement retourné à son siège.

- Je ne vois vraiment pas, je suis désolée, je ne pense pas être d’une grande aide…

- Tant pis, ne vous inquiétez pas, je me posai juste la question, si je n’ai pas de réponse, ce n’est pas grave.

- Est-ce vraiment important pour toi ?

Son regard sembla tellement attendrissant que je ne pouvais dissimuler la moindre émotion. Bien évidemment, sans la moindre réponse, elle comprit qu’inconsciemment, en effet, cela me semblait important.

- Alors dans ce cas, si je cherche bien… Hm. Je suis sortie de l’hôpital par l’entrée principale, j’ai dit au revoir à Ayame et ensuite… Et ensuite…

Je la laissai réfléchir, malgré que son trou de mémoire semblait plus inquiétant que ce qu’elle laissait paraître.

- Oh ! Oui ! Je me souviens. En effet, un type avec les cheveux noirs, magnifique, jeune et robuste venait de rentrer dans sa voiture. Ce genre de garçon là, on ne peut pas les louper, ils sont la fleur de la jeunesse ! La beauté incarnée de la fraîcheur d’aujourd’hui ! Il avait le regard torride, avait l’air inquiet, pas très souriant.

Selon ses propos, je ne l’imaginais pas du tout comme ça. D’ailleurs Cosme n’a jamais eu les cheveux noirs, il avait du se les teindre. C’est le genre de gars qui sourit plutôt très souvent, au contraire.

- Je n’ai pas une très bonne vue, mais avec mes lunettes, j’ai pu voir assez de détails pour le décrire convenablement. Sa peau était relativement pâle, il ne doit pas sortir souvent. Ses cheveux étaient courts, bien coiffés, il semblait prendre soin de lui. Il était habillé légèrement, pourtant ce n’est pas la saison convenable pour ce genre d’habit, il doit être de nature insouciante. Un peu comme beaucoup des jeunes de nos jours. Il portait un débardeur noir, un pantalon gris calcaire. Après, je ne peux pas t’en dire plus, il est allé très vite, il n’aurait pas été aussi beau, je doute que j’aurai pu un jour te dévoiler ses traits de visage. Comme quoi, la noblesse de l’art, de la trombine d’une personne, ne s’oublie jamais. Tu peux remercier sa finesse.

- Je devrai vous remercier vous plutôt. Merci pour ces informations !

- Mais tu ne savais même pas avec quel genre d’homme tu étais ?

- Euh, si mais… C’est compliqué. Si on se revoie, je vous expliquerai, d’accord ? Encore merci, je file à dans le hall de l’hôpital, j’espère vous revoir à l’occasion.

- Bonne chance, me souhaita t-elle avec tout le meilleur enthousiasme du monde.

Je filai de ce pas vers la direction que je venais de lui formuler. Moins épuisée que toute à l’heure grâce à mon court repos aux côtés du Cosme bizarre. Je fus accueillie par des personnes très agréables, contrairement à beaucoup que j’eus rencontré dernièrement. On m’avertit d’une longue queue d’attente mais que malgré cela je serai pris en charge dès que possible.

Pas le choix. Je n’avais pas spécialement envie d’attendre, de nature impatiente, mais il le fallait. Je n’avais pas envie d’inquiéter Edgar pour rien et cela, pour mon propre bien-être, car son ressenti m’importait peu.

« D’accord, je vais attendre. » Je pris un ticket avec un numéro d’attente et allai m’asseoir me languissant déjà de l’heure où l’on m’appellerait.

Une heure déjà passée, mes paupières commençaient à devenir trop lourdes pour que j’en supporte le poids. Le magazine de mode que je tenais fermement il y a quelques secondes glissaient lentement de mes mains. Jusqu’à ce qu’il s’entrechoque le sol, je me surpris moi-même. La tête dans tous les sens comme si je revenais d’une chute terrible avant de rejoindre les bras de Morphée, je vus enfin mon numéro être appelé ainsi que mon nom.

« Mademoiselle Edelweiss, c’est à vous ».

Enfin. Je rejoignis le personnel qui m’amena faire mon diagnostic.

« Je ne sais pas ce qu’il vous est arrivé, mais visiblement vous avez reçu un gros choc. Vous avez les côtes fêlées, légèrement mais cela doit se faire traiter pour que ça ne s’aggrave pas. Prenez des antidouleurs jusqu’à la cessation totale de votre douleur. Cela peut durer jusqu’à deux mois grand maximum je vous prédis, mais un os met généralement en normalité pas plus de trois semaines à se ressouder. J’ajoute les myorelaxants qui aideront vos muscles à se décontracter.

Je vois des contusions sur beaucoup de parties de votre corps. Elles ne sont pas non plus énormes mais il faut reposer vos muscles, n’étant pas lésés, des antalgiques pour calmer votre douleur comme une poche de glace ou un anti-inflammatoire devrait convenir, vos membres dégonfleront par la suite ainsi que la souffrance sera soulagée. Faites le quatre à huit fois par jour durant vingt minutes si vous avez le temps pendant au moins deux jours. Mettez un bandage élastique, pas trop serré la compression. Surtout reposez vous, ne faites pas d’efforts, si vous travaillez nous vous ferons un certificat. Vous avez bien fait de venir de suite, ça vous évite d’accroître votre problème. Peu de gens font comme vous. Vous avez fait également preuve d’un grand surmenage alors faites attention quand vous rentrez. »

Après tout ce blabla, nous en avions enfin fini. L’hospitalisation n’était pas nécessaire et de toute façon j’aurai refusé. J’avais compris le message qu’il m’avait fait passé. Je ne lui avais pas raconté comment je m’étais fait cela car je n’avais pas jugé ceci nécessaire.

J’allai régler des frais d’hôpitaux, la femme qui prit ma carte bancaire semblait si heureuse que j’eus cru qu’elle ne me rendrait pas ma carte. Finalement, bien entendu elle me la rendit, avec le même sourire. Je pensais bien qu’elle n’était pas enjouée de voir des gens débarquer ici dans le plus grand des mal et que cette chaleur était fondamentale pour le rassurement des « clients », mais ça me mettait mal à l’aise. Je n’aimais pas cela.

Je quittai l’accueil et en me retournant, j’eus le malheur de voir un homme de mon père. Je passai en l’ignorant, chose qui bien entendu n’aurait jamais marché avec un employé de mon père, qui puis est ce genre d’hommes.

« - Mademoiselle.

- Vous devez confondre.

- Non, je ne confonds absolument pas, mademoiselle Edelweiss, votre père souhaite votre retour immédiat, j’ai l’ordre de vous ramener qu’importe la raison.

Son regard vide et dur m’énervait. Alors je ne pouvais que lui rendre le même puisqu’il semblait vouloir jouer le foutiste contre moi.

- Je n’ai pas besoin de vous pour me ramener puisque ce n’est pas vous qui m’a amené ici, lui exposant la situation toujours dédaigneuse.

- Peu importe, vous savez que je ne pourrai jamais lever la main sur vous et vous en profitez sachant que vous êtes blessée. Mais cela ne me perturbera pas à faire mon travail. Vous devez monter avec moi.

- Je peux appeler Cosme, mon père lui fait confiance, c’est un ami à moi, il peut très bien me ramener vu que c’est lui qui m’a ramené ici.

- Appelez le donc, mademoiselle.

- Très bien, acquiescai-je d’un sourire narquois.

J’appuyai donc sur le numéro de Cosme. J’affichai fièrement sur mon visage cette expression sûre de moi qu’il allait répondre. Mais plus les bips sonores détonaient et plus je doutais de lui. Finalement sa réponse fut vaine.

- Laissez moi rappeler ! Il n’a pas du voir son téléphone sonner, une deuxième fois marchera.

Je rappelai donc, le téléphone continuait de sonner.

Ça ne décrochait pas. Plus de sonnerie mais la messagerie, comme avant.

- Il doit conduire, ça doit être ça, si je lui laisse plus de temps, il rappellera.

- Mademoiselle, je vous ai laissé une chance. Il ne vous a pas aidé à la saisir, désolé pour vous. Tenez votre parole et suivez moi maintenant.

Tss. Fichu Cosme. Je lui en ficherai une si je l’avais en face de moi. Et je le remercierai de nouveau. Mais je lui en collerai tout de même une.

- Bien, je monte. Mais je n’ai absolument pas donné ma parole, j’ai tout simplement… Bref je n’ai pas eu de chance comme vous l’avez dit. Vous seriez arrivé trois minutes plus tard, je suis sûre qu’il aurait été disponible.

- Désolé d’être arrivé trop tôt.

- Je ne vous pardonne pas, dépêchez vous de m’amener à la maison. Au moins, une chose sera réglée et tout ira plus vite.

- Très bien. La voiture est garée devant. Je vous accompagne, le voiturier est déjà prêt pour partir.

Ouah. C’était donc ça ma chance. Le voiturier déjà là, aucune issue pour partir.

Je venais d’essayer l’excuse des toilettes, l’excuse du « je dois retourner à l’hôpital, je me sens mal » non plus, celle du « regardez l’oiseau parterre, il est mort » non plus, je n’avais plus d’imagination pour désorienter son regard de moi, je n’avais pas inventé la poudre. Du coup, obligée de le suivre et de monter dans le véhicule.

Trajet : Edgar.

C’était drôle parce que je connaissais une compagnie de bus qui s’appelait Edgard dans le gard en France. Dès que je l’entendais ça me rappelait toujours le géniteur. Enfin... Mon géniteur. Le, mon c’était pareil.

J’entendais parler le conducteur et l’homme à tout faire d’Edgar discuter de ce que je ne pouvais entendre. Une vitre nous séparait, nos visages invisibles ainsi que le son de nos voix. Dès que ça concernait Edgar, il y avait question de secret. Une raison de plus de ne pas aimer le fréquenter ainsi que son entourage. J’étais la seule mise à l’écart. Et pourtant je ne voulais pas tout savoir, mais le peu de choses qui m’intéressaient m’étaient épargnées. Je toquai à la vitrine pour briser la glace dans tous les sens du terme.

- J’ai du mal à respirer, enlevez cette fichue vitre qui me fais me sentir restreinte et condensée.

- Oui, mademoiselle.

- Vous parliez de quoi ? Je peux me joindre à la conversation peut-être ? J’ai eu une journée difficile, me changer les esprits ne me fera pas de mal.

- Nous parlions d’affaires de monsieur, votre père. En ce moment, il a quelques problèmes qui font que certains d’entre nous doivent être tenus au courant alors que d’autres non. Mais ce n’est pas des choses que vous devez impérialement savoir.

- Ah donc tout le monde peut savoir mais pas moi.

- Absolument pas, ne vous méprenez pas, ce n’est pas quelque chose que vous aimeriez savoir de toute manière puisque ce n’est bon ni pour vous ni pour lui et ni pour qui que ce soit.

- Je me méprends si je veux puisque je constate que l’on me tient au courant que des choses positives… Moi qui pensais que mon père comptait me léguer son entreprise. Je ne pensais pas qu’il y aurait tant de mystères autour de ma famille, me concernant inclus.

- Mademoiselle, je vois clair dans votre jeu, je sais que l’entreprise ne vous intéresse en rien et que vous voulez uniquement obtenir des informations pour nuire à votre père. Et j’espère que vous stopperez ces puérilités, je vous prie cela poliment car vous valez bien mieux.

- Vous avez tort sur un point.

- Lequel, si je puis me permettre ?

- Je ne souhaite pas de mal à mon père. Je me fiche de ce qu’il peut lui arriver pour être exacte. Je n’aime pas sa présence, je n’aime pas la vôtre, je déteste celle de tout humain dans ce monde pratiquement sauf celle de ma mère.

- Je comprends votre dévouement et votre haine mais vous de….

- Nous sommes arrivés, interrompit le voiturier.

- On reprendra cette discussion à jamais, parce que bientôt, vous et moi ne nous verrons plus ni qui que ce soit d’ici, lui réprouvai-je d’une expression fade et significative.

- Mademoiselle ! Que voulez-vous dire par là ? Attendez ! Mademoiselle ! Mademoiselle.

Cravachant la porte d’entrée et le rez de chaussée, Edgar se mit en plein milieu de mon chemin. Alors, je fis deux bonds en arrière pour ne pas le percuter.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

- Tu as l’air bien énervée ma chérie aujourd’hui, toi qui gardes toujours ton calme. Qu’est-ce qu’il t’est arrivé, c’est à cause de ton accident ? Qui est la personne qui t’a fait ça ? Tu te souviens de son visage ? Quel est le diagnostic ? Tu n’as rien de cassé ? Tu te sens mieux ?

- C’est toi qui m’as fait ça, papa.

- Quoi ?

- C’est toi qui m’as fait ça, comme c’est toi qui as fait ça à maman. C’est toi qui l’as forcé à partir. Et maintenant tu essaies de me retenir moi, car tu l’as perdu elle.

- Mais non, tu as du mal comprendre, ça ne s’est jamais mal passé avec ta m…

- Non ! Tais-toi ! Alors quoi, on t’a forcé à ne rien dire ? Quelqu’un t’a forcé à ne pas la retenir, à l’envoyer ailleurs ? À me mentir ? À faire tout ce que tu nous as fait depuis le début ? Tu avais si peur que ça ? Allez, donne moi une raison ! Juste une.

Quand son homme à tout faire allait s’interposer pour calmer la tension, il mit sa main devant pour l’arrêter, ce qui marcha bien évidemment. Sinon, pas de sousous.

- …

Il ne répondait pas, il me regardait, les sourcils rebroussés, il avait l’air peiné mais moi j’étais en colère.

- Réponds, je lui hurlai à la figure, réponds moi pour une fois dans ta vie et détruis ces secrets !

Je n’avais jamais été aussi en colère depuis très longtemps, moi qui prenais sur moi depuis tant de temps, depuis de longs lustres sempiternels.

- …

Toujours aucune réplique. Comme depuis que j’étais née. Ça avait toujours été comme ça. Il esquivait toujours, toujours, tout.

- Une prochaine fois… Je t’expliquerai quand tu seras plus grande.

Dépitée. J’étais dépitée. Et je n’en pouvais plus.

- D’accord. Une autre fois, tu as raison. Une autre fois…

Je descendis dans ma bulle, au sous-sol. J’écoutai ce que le médecin m’avait dit, je préparais les soins, les appliquai, j’étais subventionnée à me condamner à ma guérison. Sinon je ne pourrai rien faire seule et il fallait que je commence à faire les choses bien.

Ça allait faire trois jours - bientôt quatre - dorénavant que je rapetissais mes nombres d’aller retour entre le haut et le bas de chez moi. Je restai éveillée la nuit, pour être sûre de croiser le moins de gens possible, et je dormais la journée. Ça ne me convenait pas forcément mais je m’adaptai. Au fond, les habitudes se changeaient facilement depuis que j’étais dans ce pays. Même la nourriture n’était pas pareille, les plats culturels étaient relativement différents de ceux que l’on mangeait en France. Par contre, les nouilles instantanées, j’approuvais totalement. Juste de l’eau chaude et c’était cuit. Rien d’autre à faire. Le bonheur ultime pour échapper au monde et m’y couper.

Je n’avais pas revu Edgar depuis notre dispute qui n’avait pas essayé de me joindre non plus. À vrai dire j’avais moi-même été étonné de mon propre comportement ce jour-là. J’ai toujours eu le mérite d’avoir le sang froid aux yeux de tout le monde. Cela ne voulait pas dire que je ressentais rien, mais je m’y abstenais en voulant devenir le rôle que tout le monde me donnait. En réalité, ça s’accordait à mes vraies envies de devenir l’être ultime.

Celui qui s’éloignait de quasiment toutes les espèces, comme si j’étais devenue une plante, comme dans ce magnifique pâturage que j’avais vu il y a quelques temps, elles vivaient et elles ne ressentaient rien. Chez l’animal, chez l’homme, la souffrance était une expérience sensorielle désagréable. Les plantes elles en revanche bénéficiaient de ce que l’homme ne cessera d’essayer de faire, elles possèdaient un fort système de défense qui était d’ailleurs une de leur seule capacité avec un peu de communication, choses à voir qui n’étaient pas totalement prouvées et toujours étudiées. Malgré qu’encore une fois l’homme restera au dessus, elles seraient rusées et de mes renseignements, elles seraient également capables de percevoir leur environnement. Les caractéristiques différeraient des nôtres bien entendu mais elles auraient un système nerveux diffus, c’est-à-dire dépourvus de centralisation et céphalisation ce qui les représentait aux yeux des humains comme des êtres faibles. Même si encore des chercheurs qui voulaient toujours aller plus loin pensent à de la neurobiologie des plantes, je pensais que leur singularité était un atout que je voudrai conquérir.

C'était à cause de cette sensibilité que nous n’avions parfois plus cette rationalité ordinaire et que l’on pensait parfois même au suicide, que même les animaux ne savaient pas faire. Ça, évoluer ? Tu parles. Ce n’était qu’une régression d’une imperfection de notre part que nous avons développé en reniant tous les défauts que nous avons créés sur notre espèce.

Ma mère elle, elle n’était pas humaine. C’était une espèce de Dieu, elle descendait du Paradis, j’en étais persuadée. Sinon, elle n’aurait jamais pu être aussi bonne auprès d’autrui. Je l’aimais tellement, elle avait tellement fait pour moi, qu’avions nous fait pour mériter ça ? Edgar était l’homme - l’humain - qui nous avait volé cette courte euphorie. Il le paierait et je le savais. Ma mère aussi devait lui souhaiter le pire. À nous deux, nos ressentiments battraient ceux de dix planètes.

J’étais déjà décidée à partir et ces quelques jours seule, à réfléchir, n’avaient fait que renforcer cette conviction. Ici, je n’apprendrai aucun secret de sa part, si un jour j’en aurai l’occasion, alors, je les décèlerai.

Actuellement minuit trente trois, j’avais un petit creux, j’avais envie de charcuterie et en haut, je savais qu’il y en aurait. Je montai les prendre, redescendis et les rajoutai à mon menu.

Quatre heures cinquante, la pièce s’enténébrait et mon livre ancien entrebâillé sur ma poitrine, mes paluches détachées de l’œuvre, la composition des lettres qui s’embrouillait dans mon esprit…

Bzzzzz, bzzzzzzz.

Mince, je m’endormais. Ce fut mon téléphone qui vint de me réveiller. Ou pas.

- Je peux entrer ?

- Tu sais déjà que tu entreras de toute façon…

- Merci.

Je me demandai pourquoi venait-il aussi tard. Il avait du mal à dormir ou juste du temps à perdre ? Il n’avait pas l’air de vouloir me donner la réponse tout de suite.

Il vint s’asseoir au chevet de mes pieds, sur mon lit, où il manqua de cogner sa tête contre l’alcôve abritant mon couchage du haut de ses un mètre quatre vingt quinze.

- J’ai réfléchi à tout ce que tu m’as dit, parlementait Edgar, j’ai décidé d’accepter à investir dans tes projets.

- C’est bizarre, je ne pensais pas que tu accepterais de pouvoir aider ta famille une fois dans ta vie.

- Justement, j’aimerai aussi pouvoir imposer mes conditions…

Évidemment, il n’aurait jamais pu accepter sans me contraindre à accepter une futilité en retour.

- Je voudrai que tu cesses de me reprocher toutes ces choses et que tu renoues tes liens avec moi… Un peu plus qu’avant.

- Ah. Tu voulais en venir là.

- Oui.

Je commençai à avoir mal au ventre, car la réalité serait dure à accepter et je n’avais pas le choix.

- C’est… C’est d’accord. Mais pas parce que j’en ai envie. Parce que je dois te rendre ce que tu me rends d’une manière, celle-ci doit être la plus simple… J’imagine.

Il souriait comme je ne l’avais pas vu sourire depuis très longtemps. J’avais énormément de mal à comprendre ses réactions, qui, je trouvais bien plus imprévisibles que les miennes.

- Niptia… Ma chérie… Je suis heureux de te retrouver enfin.

Il me prit dans ses bras, s’avançant vers moi trop diligemment à mon goût. En un tour de main, j’étais déjà éprise par de gros accotoirs velus.

Je pensai qu’il poussait le bouchon un peu loin et qu’il s’emballait légèrement trop.

- Edg… Euh… Pa… Papa. Arrête, ne sois pas aussi affectueux d’un coup, c’est trop pour moi. J’ai besoin d’espace et de voir avec le temps, là c’est trop rapide.

- Oh… Oui, je comprends… Encore une fois, je suis trop brusque, ta mère me le disait souvent à l’époque. Elle disait que j’étais trop câlin, m’attestait-il de son air chétif sans mérite et insupportable à regarder. Tu es son portrait craché.

- Tss, lui esquissai-je les lèvres fendues de surplomb mais s’élevant rapidement à sa détache imminente. Je vais faire des efforts, mais je ne te promets rien. En tout cas merci.

- C’est la moindre des choses.

- Tu n’as plus rien à me dire ?

- Si tu veux manger avec moi, sortir un soir, tous les deux au restaurant, ça me ferait très plaisir.

- On peut organiser ça… Mais je dois faire quelques vétilles, je te dirai quand ce sera bon, si tu ne travailles pas, bien entendu.

Oui j’allais faire des efforts, mais arrêter de lancer des piques maintenant, ce ne serait pas possible pour moi.

- Super, je suis heureux de notre marché et la conclusion de cet accord, je te laisse dormir mon ange, bonne nuit, à demain.

C’était fou, combien il pouvait être insupportable à donner des surnoms hypocoristiques, j’en devenais folle. J’avais certainement bien fait d’accéder à sa demande. Pour obtenir certaines choses, il fallait céder à d’autres. La vie était ainsi faite alors si je ne pouvais pas m’y déroger, j’allais faire avec plutôt que de faire la morte, puisque j’avais décider de vivre. D’affronter la vie et pas l’éreinter.

J’ai été réveillé par un téléphone ronfleur aux mauvaises ondes qui m’eut fait sursauter à plusieurs reprises déjà.

Je regardais le contenu en le déverrouillant indolente, harassée je ne faisais que double cliquer sans chercher à comprendre de qui venait le message puisque de toute manière je n’avais que peu d’amis.

« Coucou, j’espère que tu es bien rentré, j’ai passé un bon moment avec toi dans la voiture, tu as guéri ? Edgar va bien ? À mes dernières nouvelles, ça n’allait pas très fort… Vraiment pas même. Courage. On se revoit bientôt. »

Super ! C’était Cosme ! Je ne l’avais revu qu’une fois et pourtant, je le trouvais gentil et serviable. Des qualités que je trouvais à bien peu de gens depuis quelques temps.

Je répondis immédiatement.

« Merci de t’inquiéter, tout va bien merci. Je ne sais pas pour Edgar, on vient de parler un peu et ça va un peu mieux visiblement. »

Dès lors l’envoi, je reçus très vite une réplique.

« Vraiment ? Pour quelle raison ? »

S’il voulait savoir, il n’y avait pas de raison que je lui cache puisque je pouvais compter sur lui. Quand je commençais à pianoter les touches, c’est là que je me rendis compte… Que je n’avais pas regardé le destinataire mais que j’eus cru lire autre chose que « Cosme ».

Retour effectué.

« Tom ».

Tom… Tom ? Comment savait-il ? Il m’avait suivi ? Il avait été dans le même hôpital que moi peut-être ? Juste… Comment ? Pourquoi ?

« Tu ne réponds plus. Tu dors ? »

Merde, je ne pouvais plus lui répondre. Mais j’étais sûre de ne pas l’avoir appelé lui mais Cosme.

Il m’appelait. Il était en train de m’appeler au téléphone pour que je lui réponde et je ne pouvais pas. Impossible. Ankylosée de tous mes membres, déjà pas totalement remise de mon accident, ce serait impraticable pour moi de décrocher.

Ça s’était arrêté. J’étais soulagée mais au fond, toujours terrorisée. Je me sentais traquée. Comment avait-il pu avoir accès à mon téléphone, ajouter son numéro et le mettre récemment en numéro rapide ?

Un message vocal fut laissé. J’allai sur la messagerie pour le supprimer mais ça ne fonctionnait pas. J’allais devenir dingue !

« Tu as compris mon petit jeu ? C’est dommage je m’amusais beaucoup. Tu ne veux pas continuer ? C’est un conseil que je te donne, tu vas devoir me distraire encore quelques temps. Tu n’as pas le choix. Tout comme tu n’as pas eu le choix avec ton père n’est-ce pas ? Tu as mon numéro, tu peux m’appeler quand tu veux. Tu sais que… Tu peux compter sur moi. J’ai toujours pensé que les fab...»

Sa voix acrimonieuse… Il venait de me menacer. Moi. Niptia Edelweiss, qui étais persuadée et convaincue ultimement que j’étais intouchable. Il avait dit quelque chose de bizarre à la fin avant que je puisse enfin supprimer son message.

« Sale humaine ».

Oui. Il vint de me rappeler ce que depuis longtemps je tentais de renier. Le fait que je sois humaine et que j’avais des sentiments.

Doucement, je compris que cet affrontement allait m’aider.

Mais comme toujours… Je finissais pétrifiée.

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