21.

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  Chère Miss Edverly,


Si vous êtes en train de lire ces lignes, c'est que vous vous êtes rendue compte de mon absence et que vous avez aperçu cette pauvre lettre avec votre nom inscrit... 


Je vous félicite. Sincèrement. Je ne veux pas vous blâmer pour mon escapade, ma fugue, ma fuite... Peu importe comment vous l'appelez. Faites en sorte de montrer cela à mes parents, qu'ils ne soient pas trop stricts et vous donnent une prime au lieu d'un licenciement.


J'aimerais vous remercier pour avoir essayé de m'élever. Pour avoir essayé de m'inculquer certaines valeurs. Malheureusement pour vous, cela n'a pas très bien marché... 


Et c'est donc pour cela que je veux m'excuser. J'ai raté beaucoup de choses : je fume, j'aime les garçons, j'ai été expulsé de l'école, et je me suis enfui de chez moi. 


La seule chose que j'ai pour moi, c'est ma passion. Je veux chanter. Je chante. Des comptines, puis des ballades, du jazz, des chansons d'amour, des opéras... Rien ne pourra me résister. 


Est-ce assez pour exister, cependant? J'en doute. 


Cet après-midi, je me suis enfui chez Tom, nous avons chanté et dansé sous la pluie pendant des heures. Nous nous sommes embrassés sous la pluie. Nous nous sommes dit adieu sous la pluie.


Des gouttes d'eau continuaient de tomber sur nos chaussures, et elles ne tombaient plus du ciel au-dessus de nos têtes, mais de celui qui s'était déchiré dans notre poitrine... 


Ces pauvres phrases sont bien maigres. Je ferais peut-être mieux de les effacer, mais je n'arrive pas à m'y résoudre.


Puis je suis revenu pour te dire adieu à toi aussi, ma chère gouvernante. Je pense que vous pourrez me comprendre sur certains points.


Quand j'étais petit, j'étais l'enfant modèle. Je faisais tout ce que l'on me disait de faire. Toute mon enfance se partageait entre mon éducation et ma souffrance. 


Mon innocence s'est "brisée" plus tôt que beaucoup d'entre enfants.  La mort de ma soeur n'a pas arrangé le chaos total de la maison. 


Mes parents ont voulu se remettre de sa perte, j'imagine. Je suis devenu la nouvelle petite princesse de la maison. J'ai joué avec de grandes robes à froufrou et de grands chapeaux sur ma tête. 


À cette époque, il arrivait souvent que Mère m'appelle "Amandine" au lieu de "Enzo"... Cela ne me dérangeait pas, j'avais l'impression de remplir la tâche que m'avait confiée mes parents, en quelque sorte.


Quand je suis entré en âge d'aller au collège, mes parents ont subitement changé d'avis. Ils m'ont retiré les robes de fées et les hauts talons, les poupées et les déguisements, tout ce qui avait appartenu à Amandine. 


Ce jour-là, j'ai commencé à être perdu, incapable de savoir qui j'étais exactement. Je n'ai jamais plus eu d'amis, ni même de simples connaissances. 


Mes parents ne m'ont jamais compris. Mes seuls moments de loisir et de bonheur dans ce monde étaient les moments passés avec ma chère gouvernante... Avec vous. 

Vous étiez la seule à me comprendre. Vous aviez récupéré les vieilles robes d'Amandine par je ne sais quel moyen... Je pouvais assister à vos cours en étant enfin moi-même, en étant enfin fille.


J'ai repris confiance en moi à votre contact, peu à peu. Je suis redevenu humain. J'étais une ombre qui disparaissait dans le monde. 


Je voulais vous remercier, ma chère gouvernante. Pour tout cela. 


Mais, enfin, je voulais aussi m'excuser. Pour avoir été aussi imparfait, aussi empli de défauts et de différences. 


Mais surtout, surtout, pour avoir, enfin pour être sur le point, plutôt pour ne plus pouvoir exister avec ce fardeau. Toutes mes imperfections, mes défauts cachés au fond de moi pèsent sur mon dos, courbe ma silhouette avec force. 


Demain, j'irai sur la route. Je marcherai, je serai enfin Amandine Pintier. Demain, j'aurai mon destin en main. Je me dresserai de toute ma hauteur pour agrandir l'ombre sur le bitume, pour étaler mon importance dans le monde. 


Demain est un autre jour.

Aujourd'hui, je suis encore un pauvre petit garçon perdu, qui a besoin de réconfort de sa gouvernante. Alors je t'ai écrit cette longue lettre, peut-être un peu chaotique, pour te parler une dernière fois. 


Un jour, je serai peut-être connue. Peut-être heureuse. Peut-être que je saurais enfin qui je suis. Et cela, grâce à toi. 


Merci, merci, merci, je pourrais le répéter à l'infini. 

Merci, merci, merci,


Amandine. 

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