X - Chapitre 2

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Ludwill avait traversé la route menant au palais dans un silence total. Pourtant, il s’était posé beaucoup de questions qui auraient nécessité une réponse rapide, la plus importante de toutes étant : « Ais-je une chance de survivre à cette arrestation ? ». La justice était loin d’être clémente avec ceux qui outrepassaient leur rang et des punitions exemplaires avait tôt fait de calmer tous ceux qui souhaitaient tenter l’expérience.

Pour le moment, le jeune homme ne voyait aucune issue à la situation désastreuse dans laquelle il se trouvait. Tandis qu’il se laissait guider par les gardes, les poignets et les chevilles enchaînées sous les regards dédaigneux des badauds, il fut pris d’une honte si vive qui souhaita disparaître avec la rapidité d’une bulle de savon en train d'éclater. Comment avait-il pu croire que sa parole avait autant de valeur que celle d’une duchesse ? Elle avait du se servir d’un prétexte pour le faire passer pour un agresseur sans risquer de voir son secret percé à jour. Pour les gens de son espèce, il n’y avait rien de plus facile que de déformer la vérité.

Un coup bref, mais douloureux, sur le mollet de la part du colosse blond intima à Ludwill l’ordre d’avancer plus vite. Il se ressaisit, tâchant de se focaliser sur ses pas et non sur ses pensées. Il n’avait aucun pouvoir sur ce qu’il était en train de se passer, il n’avait plus qu’à l’accepter et se montrer obeissant.

Une fois arrivés aux murs du palais, les gardes le guidèrent vers une petite porte qu’il connaissait bien : c’était celle qu’il empruntait lors de ses sorties avec Théandre. Lorsqu’ils s’engouffrèrent dans le dédale de passages secrets, Ludwill se demanda avec inquiétude si la reine était au courant pour ses escapades avec le prince.

Au lieu de prendre le chemin menant à la chambre de ce dernier, les gardes traversèrent un couloir plus long aboutissant sur une pièce étroite et grossière. Seuls une chaise et deux anneaux de fer fixés dans le mur s’y trouvaient.

Après avoir verrouillé la porte derrière lui, le capitaine s’adressa aux gardes en montrant les anneaux du doigt : « Attachez-le là et surveillez-le. Je vais avertir sa Majesté. »

Saisi d’angoisse, Ludwill sentit son cœur s’emballer et sa respiration se faire plus laborieuse. Le colosse blond le força à s’agenouiller, tête baissée et dos au mur.

- Pas de geste brusque, lui ordonna-t-il avec un fort accent, ou je te casse les dents.

Convaincu qu’il n’hésiterait pas à mettre ses menaces à exécution, le jeune homme s’efforça de se rendre aussi malléable que de la mie de pain, comme lorsqu’il apprenait à faire le mort au théâtre. Le gringalet lui ôta un des fers du poignet pour enfiler la chaîne entre les deux anneaux. Lorsqu’il le rattacha, Ludwill sentit qu’il tremblait.

Les gardes s’adossèrent à coté des portes menant à la pièce. Le jeune homme l’identifia comme une sorte de cellule temporaire, où devaient se dérouler des interrogatoires. Le silence qui y régnait était si profond que Ludwill n’entendait plus que les sifflements de ses oreilles, générés par une montée de tension. L’attente lui parut insupportablement longue. Il aurait souhaité pouvoir communiquer avec le garde brun, qui avait l’air assez doux et naïf pour lui répondre, mais la sévérité de l’homme du Nord l’en découragea. Ludwill ne put donc s’exprimer que par quelques soupirs occasionnels.

Soudainement, la porte s’ouvrit dans un grincement glauque, arrachant un sursaut au prisonnier. Le capitaine de la garde s’avança pour jeter un coup d’œil, puis laissa passer la reine Mathilde.

Ludwill fut surpris de la voir en personne. Même au palais, elle se faisait discrète. Il s’était imaginé qu’un personnage de son importance aurait eu mieux à faire que de descendre dans les geôles. Peut-être voulait-elle limiter le nombre de personnes informées par cette arrestation ? Ce souci de discretion n’augurait rien de bon.

Une fois la porte refermée par le capitaine, la reine s’assit devant le valet. Le temps de trouver ses mots, elle le fixa avec sa sévérité habituelle. Ludwill ne soutint pas ce regard qui lui nouait les tripes et se contenta de baisser la tête avec crainte et respect.

- Savez-vous pourquoi vous vous trouvez ici ? Lui demanda t’elle.

Ludwill leva la tête, humidifia sa bouche asséchée et répondit : « J’ai été accusé de menaces et tentative d’agression, votre Majesté. »

- Dites-moi à qui vous vous en êtes pris.

- Á… la duchesse Fiona Von Trotha, votre Majesté.

Le valet avait hésité. S ‘il était prêt a avouer le chantage qu’il avait exercé sur la fiancée du prince, il ne voulait pas admettre qu’il avait tenté de l’agresser. Pour quoi faire ? Il avait simplement voulu la pousser à convaincre Théandre de lui rendre la parure.

- Mais je n’ai jamais voulu lui faire de mal. Je…

- T’as déjà répondu. Boucle là ! Ordonna sèchement le capitaine.

La reine eut une moue excédée, serrant les dents et plissant les yeux. Ludwill perçut néanmoins que sa réaction était moins due a son explication non sollicitée qu’à la voix tonitruante du capitaine à un mètre à peine de son oreille.

- Les faits qui m’ont été exposés sont les suivants : Il y a deux jours, vous avez surpris la duchesse qui sortait de la pharmacie du palais avec des flocons de poudre. Vous l’y avez accusée, à tort, de vouloir empoisonner un membre de la famille royale. Vous l’avez ensuite menacée de dévoiler son projet d’assassinat si elle refusait de s’offrir à vous. Qu’avez vous à répondre à cela ?

Estomaqué, Ludwill n’osa pas ouvrir la bouche. Son premier réflexe aurait été d’éclater de rire devant l’énormité du mensonge de la duchesse, mais la reine l’aurait pris pour une insulte. Sans compter le colosse et le capitaine, qui ne semblait attendre qu’une excuse pour corriger leur prisonnier. Le jeune homme s’était attendu à ce que la garce du Nord déforme la vérité, mais son accusation baignait dans l’absurdité la plus totale. Prétendre qu’il avait voulu la faire chanter pour une tentative d’assassinat passait encore, car Ludwill l’en croyait réellement capable, mais qu’elle lui ai prêté des intentions aussi viles était impardonnable : « Comme si j’avais besoin de contraindre une femme à s’offrir à moi ! », songea t-il, sa fierté bafouée une fois de plus.

- Ce sont des mensonges, votre Majesté.

Le valet savait bien qu’il aurait du s’adresser à la reine d’un ton moins catégorique. Celle ci ne sembla pas s’en offusquer.

- Vraiment ? Répondit-elle en inclinant la tète d’un air dubitatif. Dans ce cas, pourquoi n’avez vous pas nié l’avoir menacée ?

Ludwill déglutit. L’espace d’un instant, il avait oublié qu’il se trouvait en plein procès. Bien plus réduit, certes, mais rendu légitime par la présence de la plus haute représentante de la justice. La reine tiendrait compte de chacune de ses paroles, et il avait déjà avoué malgré lui un crime suffisamment grave pour l’emmener à l’échafaud. Le jeune homme se sentait fiévreux, mais la certitude d’avoir encore un coup à jouer lui permettait de garder espoir.

- La raison qu’elle vous a donnée n’est pas la bonne, votre Majesté. J’ai appris qu’elle s’était entretenue avec le Haut Prêtre de l’Ordre Céleste. J’ai voulu lui soutirer de l’argent contre mon silence.

De toute évidence, cette révélation avait choqué la reine. Elle s’était subitement redréssée sur sa chaise, les poings serrés et le visage figé dans une expression de haine viscérale que Ludwill n’aurait jamais cru voir chez une femme, pas même celles qu’il avait abandonné sans ménagement. Le jeune homme se persuada bien vite que l’information qu’il lui avait donnée lui permettrait d’échapper à la mort, à défaut de pouvoir éviter la prison. Il se permit même d’envoyer un regard de biais à l’homme du Nord, coupable d’avoir escorté la duchesse lors de ce rendez-vous secret. Ce dernier ne laissa transparaître aucune gène, mais il évitait soigneusement de fixer qui que ce fut dans les yeux.

La reine semblait hésiter. Sa poitrine se soulevait sous l’effet d’une respiration difficile. Avoir été trahie par sa future belle fille ne devait pas être facile a accepter. Ludwill était conscient que ses paroles auraient des conséquences dramatiques, en particulier pour Théandre, qui n’avait jamais demandé à les subir. Le jeune homme avait simplement cherché à sauver sa peau, sans songer aux conséquences. Sur le moment, il n’en avait ni eu le temps, ni le désir.

- Vos accusations sont aussi graves que votre crime, répondit enfin la reine. Je n’ai aucune raison de vous croire.

Ludwill ne parvenait pas à l’accepter : sa dernière défense venait de s’écrouler lamentablement. Son corps tout entier se serra douloureusement. Il devait à tout prix la convaincre…

- Majesté, je vous jure que c’est bien la vérité ! Demandez-lui ! Il l’a escortée jusqu’au Temple !

Le valet avait montré le colosse blond d’un coup de tête rageur. Il n’eut pas le temps de voir sa réaction que le poing ganté du capitaine de la garde s’abattit sur sa mâchoire.

- Tu oses accuser mes hommes, salopard ?!

La violence du choc avait propulsé Ludwill dans un état second. Ses oreilles s’étaient brutalement mises à siffler et des fourmillements d’intense douleur envahissait son crane. Il ne put empêcher un réflexe nauséeux de lui faire cracher un mélange de bile et de sang.

- Capitaine ! Cria la reine. Je ne vous ai pas demandé de le frapper. Retournez à votre place, c’est un ordre.

Ce dernier obéit après avoir marmonné des excuses. La reine veilla à ce qu’il se soit bien éloigné de Ludwill avant de reprendre le procès.

- Êtes vous en état de m’écouter ?

Le jeune homme n’entendait qu’un mince filet de voix à travers une ouïe devenue cotonneuse. Après autant de participation à des bagarres de tavernes, il avait cru pouvoir encaisser n’importe quel coup. Celui que lui avait asséné le capitaine était d’un genre nouveau : c’était une démonstration de pouvoir, destinée à lui faire comprendre qu’il était totalement impuissant. Incapable de parler, Ludwill hocha la tète dans un craquement inquiétant des cervicales.

- Bien, reprit la reine. Comme je vous le disais, vous n’avez aucune preuve à apporter pour justifier votre version des faits. Vous avez outrepassé votre rang et tenté de semer la discorde au sein de ma famille. Ce genre d’infamie mérite une punition sévère.

La peur dépassa la souffrance lorsque Ludwill comprit ce qui allait se passer. La nausée le prit à nouveau, ses membres tremblaient et il dut mobiliser toutes ses forces pour se retenir d’uriner. Son corps réagissait comme s’il était déjà agonisant tandis que son esprit refusait d’accepter l’évidence : on allait le tuer.

Inutile de chercher à persuader la reine : face à un roturier, elle protégerait toujours ceux de son rang, et ce malgré les beaux discours prononcés devant le peuple. Dans un geste d’ultime soumission, le valet leva des yeux implorants. Cela n’arrangerait sans doute rien, mais l’expression de sa profonde angoisse face à une mort prématurée était la seule défense qu’il se sentait capable de fournir.

- Cependant, vous mettre a mort n’arrangera rien, poursuivit la reine. Mon fils aura tôt fait de remarquer votre absence et n’acceptera pas facilement votre sort. Sans compter la compagnie théâtrale placée sous ma protection, qui ne manquera pas de s’offusquer de l’exécution d’un de ses membres.

Le soulagement qu’éprouva Ludwill lui fit l’effet de plonger dans un bain brulant après une journée glaciale. Il n’allait pas mourir. Pas aujourd’hui. Lui qui s’était déjà préparé au coup de hache sur sa nuque se sentit plus libre et vivant que jamais. Enfin… Il y avait toujours ces chaines, et l’éventualité d’une punition qui lui ferait regretter une mort rapide. Il n’avait connu que brièvement les prisons de la ville, mais l’idée d’y passer le restant de ses jours suffisait à lui retourner les tripes.

- La meilleure solution pour résoudre ce dilemme serait de vous emmener loin de Sénonges, là où il vous sera impossible de porter atteinte à l’honneur de la famille royale. En d’autres termes : vous serez expulsé définitivement de notre cité. Toute tentative d’intrusion sera punie de mort.

Même si ce sort restait plus enviable que les autres alternatives, Ludwill n’avait pas la moindre envie d’accepter la sentence de la reine. Sénonges était son monde. Il n’avait jamais eu la curiosité ou le désir de sortir de ses murs car tout ce qui rendait sa vie digne d’être vécue s’y trouvait. Seul, dans un endroit inconnu, il se verrait forcé de se reconstruire une identité et de renoncer à ses rêves de gloire. Pire encore : il devrait abandonner sa mère au moment où elle avait le plus besoin de lui.

- Avez vous compris ce qui vous attends ? Demanda la reine.

A contrecœur, le jeune homme répondit d’une voix enrouée : « Oui, votre Majesté ».

- Fort bien. J’informerai dans l’heure le directeur de votre compagnie de votre départ. Les gardes vous accompagneront pour que vous puissiez récupérer vos effets personnels et franchir les portes de la ville. Ensuite, vous irez où bon vous semble, pourvu que votre présence ne nous importune plus.

D’un geste de la main, la reine fit comprendre au capitaine de la garde que le procès touchait à sa fin. Sans un mot d’adieu pour celui qui fut l’unique ami de son fils, elle quitta la cellule, lui laissant à peine le temps d’apprécier les conséquences de ses actes.

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