IV - Chapitre 4

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Fiona était allongée dans le grand lit moelleux de la chambre qu’elle partageait avec la princesse Amélis. Elle n’avait jamais encore profité d’un tel niveau de confort. Au château de son père, le vent glacial des montagnes avait tendance à s’engouffrer dans les pierres, si bien que les feux de cheminée et les couvertures se révélaient inutiles. Par comparaison, la chaleur de cette pièce était presque étouffante, ce qui était un changement agréable, en réalité.


La jeune duchesse profitait également d’une chose qu’elle n’avait que trop peu connue : un estomac bien rempli. Le buffet réservé aux prétendantes avait largement dépassé toutes ses attentes. Elle y avait trouvé des mets exotiques, savoureux, épicés, aussi plaisants à l’œil qu’aux papilles. Emportée par ce ravissement, Fiona s’était servie à de nombreuses reprises, au point d’en avoir mal au ventre.
La douleur avait été si forte qu’elle fut la première à partir, dès que la reine avait quitté les lieux. L’organisatrice lui avait expliqué à son arrivée que personne ne pourrait partir avant. Elle avait donc pris son mal en patience. La jeune duchesse regrettait amèrement de ne pas avoir pu prendre ses bocaux de menthe et de mélisse pour en faire une tisane apaisante. Heureusement, sa gouvernante Hilde avait réussi à lui procurer un remède équivalent.


La situation dans laquelle Fiona se trouvait lui semblait irréelle. Depuis son arrivée au château royal, elle avait l’impression de vivre un très long rêve, le plus agréable qu’elle n’ait jamais eu. Certes, la présence des autres nobles l’intimidait, mais le reste la plongeait dans un émerveillement perpétuel. La jeune duchesse en oubliait presque qu’elle ne pourrait pas rester, car si la danse avec le prince l’avait convaincue d’une chose, c’est qu’elle ne deviendrait pas sa femme. Durant le bal, leurs pas en duo avaient été exécutés mécaniquement, sans le moindre entrain. Il n’y avait eu aucune chaleur dans leurs échanges… Pour Fiona, la chose était claire : il ne voulait pas d’elle. Il s’était montré bien plus bavard avec les autres jeunes filles.


Il y avait toujours une possibilité de rattraper ce fiasco lors des trois jours qui suivraient, mais la jeune duchesse y croyait peu. Elle même ne tenait pas vraiment à partager sa vie avec ce jeune homme qu’elle ne connaissait pas. Pourtant, son physique n’était pas particulièrement disgracieux. Il était même plutôt fidèle à la gravure qu’elle avait reçue. Ses manières semblaient correctes, son silence pouvant indiquer une certaine forme d’honnêteté, mais rien qui ne valait la peine de s’enflammer d’amour. Il y avait bien eu ce regard, très doux, empli d’une mélancolie qu’elle reconnaissait facilement, mais la tendresse qu’elle avait pu ressentir à cet instant n’avait pas duré.


Malgré tout, Fiona se doutait bien que ses envies ne compteraient pas. Si elle se trouvait ici, c’est parce que son père le lui avait ordonné. Si on la choisissait, elle n’aurait pas le droit de dire non. Il lui faudrait accepter de se laisser guider par le hasard, ce qui était pour la jeune duchesse une source d’angoisse folle. La dernière fois qu’elle avait compté sur le hasard, sa mère avait perdu la raison… Elle préférait largement se murer dans une routine stricte, même si cela incluait les récitations assommantes imposées par le duc. Il y avait une forme de confort dans ce carcan qu’on lui imposait : il lui permettait de ne pas trop prendre de risques.


En attendant que d’autres personnes décident de son sort pour elle, Fiona comptait bien profiter de son séjour à la capitale. Elle n’avait que rarement eu l’occasion de quitter le château de son père, uniquement pour aider les paysans aux travaux de la ferme. Dans le nord, il était de coutume que les enfants de nobles aillent travailler aux champs où auprès des bêtes pour avoir une idée plus nette de ce qu’était la vie pour le bas peuple. Il s’agissait également de leur apprendre la valeur du travail, ce qui les aidaient à devenir des adultes indépendants. La jeune duchesse doutait fortement que cette coutume se soit répandue dans les autres territoires du monde éclairé.
Les jeunes filles nobles qu’elle avait pu observer au château royal semblaient n’avoir jamais quitté le confort de leur demeure, hormis quelques rares exceptions dont la carrure laissait deviner un entraînement militaire intensif. Fiona ne portait aucun jugement sur elles, cependant. Elle trouvait ces différences culturelles déconcertantes, mais fascinantes.


La jeune duchesse espérait pouvoir en découvrir davantage lors de ce séjour. L’organisatrice lui avait vanté les mérites de la bibliothèque du palais et des jardins médicinaux, ce qui était déjà largement susceptible d’éveiller son intérêt. Fiona espérait également avoir le temps d’observer la partie militaire du château. Cela pourrait lui donner des idées d’amélioration qui pourraient aider le Duc, si celui-ci acceptait de recevoir ses conseils…


Enfin, si on lui accordait l’autorisation, la jeune duchesse comptait visiter le temple de l’Ordre Céleste. Ce bâtiment lui avait déjà laissé une forte impression à distance. Nul doute que l’intérieur devait inspirer une forte révérence à ses fidèles. Malgré un premier contact désastreux avec cette religion, Fiona voulait en comprendre davantage. Après tout, un Ordre qui prétendait avoir « éclairé le monde » ne pouvait pas être totalement dénué d’intérêt.


Fiona se mit à glousser, amusée par sa propre indifférence face à sa rencontre avec le prince. Elle n’aurait qu’une heure pour tenter de lui plaire. Une seule heure pour mettre l’honneur de sa famille en jeu, et voilà qu’elle ne pensait qu’à ses explorations ! Il lui faudrait songer à remettre ses priorités en ordre.


Heureusement, la princesse Amélis et ses incessants bavardages seraient là pour lui rappeler les vraies raisons de sa visite. « D’ailleurs, où est elle passée ? », se demanda Fiona.

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