IV - Chapitre 1

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La salle de bal était étincellante. Les centaines de lampes ouvragées flattaient les peintures murales, toutes en tons bleus et en dorures, qui rappellaient le blason de la famille royale. Entourée par les autres prétendantes et quelques courtisans, Fiona restait immobile. Elle laissait son regard vagabonder, profitant de la beauté du lieu. Une main posée sur son épaule la tira de sa rèverie.

- Fiona ? M’entendez-vous ?

La jeune duchesse tourna la tète. Il s’agissait d’Amelis di Lombardi, une princesse qui avait gracieusement accepté de partager sa suite et son lit avec elle. Si elle était indéniablement douce et généreuse, elle avait, en revanche, le défaut d’être excessivement bavarde. Par politesse, Fiona hocha la tète pour lui indiquer qu’elle avait obtenu son attention.

- Je vous disais que j’étais déjà venue ici ! Poursuivit la princesse. Cette salle m’évoque des souvenirs de mon enfance… Je devais avoir sept ans et ma famille avait été invitée à un bal pour honorer le centenaire de l’alliance entre nos deux pays. Cette salle est toujours aussi belle ! Qui plus est, je suis assez grande pour y danser, maintenant ! Et vous ? Etes-vous déjà venue ici ?

Perdue dans le torrent des souvenirs d’enfance d’Amelis, Fiona faillit ne pas entendre la question.

- Oh, non, répondit-elle, légèrement embarrassée. Ma famille n’avait jamais été invitée au château Royal, jusqu’à présent. Notre terre est trop éloignée de la cour.

Fiona s’était retenue de préciser que c’était son père qui avait provoqué cet éloignement. Après la mort de ses fils, il n’avait plus souhaité envoyer son armée pour défendre l’unité du royaume, et ce malgré sa dévotion sans faille à l’Ordre Céleste. La contemplation religieuse dans laquelle il s’était plongé lui avait donné une mauvaise image de la cour, et plus précisément de la Reine. Fiona devait impérativement garder cette information secrète.

- Je vois, répondit la princesse sur un ton bienveillant. En tout cas, vous êtes ici, maintenant. C’est l’essessiel ! Vous ne devez pas être la seule étrangère à la cour, d’ailleurs. De nombreuses demoiselles ici me sont inconnues, alors que je reconnais toutes celles des pays alliés. Du moins, de visage. Nous nous rencontrons si peu…

Profitant d’une pause, Fiona demanda :

- Avez vous déjà rencontré le Prince ?

Emerveillée d’avoir enfin l’occasion de parler du sujet qui brulait les lèvres de toutes les jeunes filles de la salle, Amélis enchaina du tac au tac :

- Oui, bien sur ! Je l’ai trouvé adorable ! Bon, évidemment, il n’était qu’un enfant la dernière fois que je l’ai vu, mais j’ai d’excellents souvenirs de notre rencontre. Il ne parlait pas beaucoup et était d’une politesse irréprochable. J’ai déjà vu des princes se comporter comme de vrais goujats… J’espère que son Altesse n’aira pas changé d’attitude entre temps. J’espère aussi qu’il se souviendra de moi ! Nous avons passé un si bon moment parmi les fontaines des jardins du palais…

Fiona n’entendait plus à présent qu’un flot de paroles que sa faible concentration rendait inintelligible. Elle se sentait fatiguée, mais aussi impatiente de voir la raison pour laquelle elle avait fait ce si long voyage.

Ce Prince Théandre faisait pour elle l’objet d’un mystère à plus d’un titre. La jeune duchesse n’avait jamais été très proches des garçons de son age, ayant toujours été entourée d’hommes bien trop vieux pour faire l’objet d’un quelconque intérêt amoureux. Désormais, elle se retrouvait précipitée dans une situation ou la séduction serait sa seule chance de réussite. L’enjeu en était d’ailleurs très grand : apporter l’honneur à sa famille en la rapprochant par alliance du Haut Prètre de l’Ordre Céleste. Fiona était sans doute celle qui aurait le plus a perdre en échouant, et qui avait pourtant le moins de chances de réussir.

Lorsqu’elle se comparait aux autres nobles dans la salle de bal, Fiona se sentait aussi élégante qu’une souillon. Elle était vétue d’une simple robe en velous bleu sombre, ce qui était pourtant une de ses rares richesses. Autour d’elle, même les jeunes filles de rang inferieur étaient vétues des couleurs les plus vibrantes et des tissus les plus précieux que l’on pouvait trouver.

La princesse Amélis demeurait le meilleur exemple dans ce domaine, avec sa large robe rouge sang brodée de fils d’or qui formaient un gigantesque lion. Elle, au moins, avait toutes ses chances, et pas seulement grâce à l’étalage de ses richesses : Amélis était une superbe jeune fille aux yeux bleus, le teint halé par le soleil de son pays natal. Fiona était tout le contraire : pâle, les cheveux noirs et les yeux bruns, trop grands pour son petit visage rond. Son physique la complexait tant que l’idée d’être choisie par le Prince sur le seul critère de l’apparence lui semblait impossible. Elle préférait presque partir perdante, même si cela impliquait de retrouver son quotidien misérable.

Alors que Fiona tentait tant bien que mal de suivre le monologue de la princesse Amélis, elle aperçut un jeune homme qui s’approchait d’un pas gracieux dans leur direction. Il était absolument superbe. Sa perruque noire et ses habits bleu clair renforçaient la blancheur de sa peau. Ses yeux bridés étaient soulignés pat un léger trait de maquillage. La possibilité qu’il s’agissait du Prince effleura un instant la jeune duchesse, mais ce n’était pas le cas : il ne ressemblait en rien à la gravure qu’elle avait reçue.

Arrivé à leur niveau, le jeune homme s’inclina très bas, une main gantée posée sur son coeur.

- Mesdames, permettez-moi de me présenter : Je suis le baron Armand de Chablis. Un intime de son Altesse le Prince Théandre.

Fiona ne sut dire pourquoi, mais quelque chose dans les manières de ce baron lui paraissait quelque peu… déplacé. Peut être étais-ce sa posture, qu'elle trouvait exagérée, ou bien son sourire en coin, qu’elle trouvait insultant. Quoi qu’il en fut, son instinct lui dictait la plus grande prudence à l’égard de ce personnage. Cela ne semblait pas être le cas pour la princesse Amélis : elle dévisageait ce beau jeune homme avec autant d’émerveillement que s’il était descendu du Soleil.

- Euh... enchantée ! Balbutia t-elle, pour une fois à court de mots. Je suis Amélis di Lombardi.

- Ah ! La cadette du royaume du Sud ! La renommée de votre famille s’étend bien au-delà de vos frontières, soyez-en sure. J’ai entendu de nombreuses histoires fascinantes, et je dois dire que la rumeur sur votre élégance légendaire est tout à fait fondée, si j’ose m’exprimer ainsi.

Ces paroles flatteuses déclenchèrent un rougissement immédiat sur le visage d’Amelis. Elle ne sut réprimer l’apparition d’un sourire timide, qui rehaussait encore davantage ses pommettes. Fiona, quant à elle, dut redoubler d’efforts pour ne pas lever les yeux au ciel. Elle n’avait certes pas connu beaucoup de garçons dans sa vie, mais elle savait reconnaître une parade de séduction quand elle en voyait une à l’oeuvre. Après avoir offert son plus beau sourire à la princesse, le baron fit mine de s’intéresser à la duchesse.

- Madame, à qui ais-je l’honneur ?

- Fiona Von Trotha, fille d’Harald Von Trotha. Veuillez m’excuser. Votre Altesse. Monsieur.

La jeune duchesse s’inclina pour mieux prendre congé de ses interlocuteurs. Sa situation était suffisamment inconfortable sans qu’elle ait, en plus, à tenir la chandelle. Si un baron opportuniste souhaitait faire de l’ombre au Prince, elle n’avait aucune raison de s’en mêler. De plus, s’il parvenait à séduire la princesse, cela pourrait tourner à son avantage.

« Bon sang, je me met à penser comme eux... », se désola Fiona.

Malgré la hauteur de son rang, la jeune duchesse n’avait que peu de points communs avec le reste de la noblesse. Elle ignorait si cela était du à la culture de son pays natal, où les relations avaient un caractère plus utilitaire, ou bien si son mentor, Lukas Guillem, avait eu sur elle une influence encore plus forte qu’elle ne l’aurait cru. Cet homme, pourtant issu de la noblesse, avait toujours été très proche des gens du peuple, soignant avec autant de dévouement les rois et les miséreux.

Fiona avait appris de lui que les êtres humains étaient tous égaux face à la mort et à la maladie, même si la société était organisé de telle façon à ce qu’on puisse prétendre le contraire. Cet enseignement l’avait rendue plus humble. Il lui était plus simple de discerner le mensonge et la vanité derrière ces belles parures et ces visages radieux. Certes, il y avait une indéniable beauté dans cette réunion sophistiquée, mais ce n’était rien d’autre que du théâtre. A la fin, la vieillesse et la décrépitude les rattraperaient tous.

Un son de cor retentissant sortit brusquement Fiona de ses pensées lugubres. Le brouhaha des invité fut stoppé net alors que toutes les tètes se tournaient vers le balcon :

- Sa Majesté la Reine Mathilde ! Annonça le crieur.

Une femme d’une quarantaine d’années s’avança, toisant l’assemblée. Elle était élegamment vétue d’une longue robe bleu ciel dont le tissu recouvrait sa poitrine et son cou. Ses longs cheveux bruns étaient noués dans une natte au tressage complexe, rehaussée par des fils d’argent. Fiona fut instantanément frappée par sa prestance. Elle dégageait une force de caractère comparable à celle de son père : tous deux semblaient tenir à leur dignité plus qu’à leur propre vie.

Après s’être assurée de l’attention de tous les invités, la Reine commença son discours, un sourire poli aux lèvres.

- Mes jeunes amies, je vous souhaite la bienvenue au château Royal. Certaines d’entre vous sont familières à la cour, d’autres ont fait un long voyage en des terres inconnues pour arriver jusqu’ici. Je vous remercie toutes de votre présence. C’est une grande fierté pour moi de vous acceuillir et de raviver les liens d’amitié qui unissent nos familles. Il s’agira pour nous d’une rare opportunité d’apprendre à mieux nous connaître et, je l’espère, de forger des liens durables de respect et de fidélité mutuelle.
Mon fils, le prince Théandre, se fera un plaisir d’aller à la rencontre de chacune d’entre vous durant votre séjour. Il ouvrira le bal dont vous pourrez profiter ce soir. Je vous souhaite de passer d’excellents moments en sa compagnie. Que le Ciel vous apporte la Joie.

Suite à cette dernière phrase, tous posèrent la main sur leur coeur et s’inclinèrent. Il s’agissait de la formule d’usage des fidèles de l’Ordre Céleste. Fiona se plia à cette coutume, même si cela lui paraissait hypocrite. Elle ne tenait pas à se faire remarquer de manière négative.

Son discours achevé, la reine repartit. La jeune duchesse avait été fortement impressionnée par sa diction et son timbre de voix, assez grave et fort pour remplir le grand Hall. Son attitude corporelle était impeccablement maitrisée, lui ayant permis de convaincre son auditoire. Cependant, Fiona doutait que qui que ce soit dans cette salle ait pris ses mots au pied de la lettre. Tout le monde savait qu’une seule de ces jeunes nobles pourrait bénéficier d’une alliance durable, mais il aurait été trop brutal d’annoncer les choses ainsi.

Cette première rencontre le confirmait : si cette cour était une pièce de théatre, la reine Mathilde en était la meilleure actrice. Il restait à voir si son fils avait hérité de ses talents.

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