III - Chapitre 4

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Bercée par le mouvement constant du carrosse, Fiona luttait pour ne pas s’assoupir. Dans un premier temps, le sommeil lui avait paru indispensable pour combler les longues heures de ce voyage, mais les fréquents soubresauts du véhicule n’avaient eu de cesse de la réveiller brutalement. Elle n’avait donc dormi qu’au rythme des pauses du cocher. Ce qui était peu.

Elle partageait l’espace avec sa vieille gouvernante, Hilde, qui serait également sa femme de chambre et sa dame de compagnie pour l’occasion. Il y avait également Ullric, une montagne de muscles et de cheveux blonds chargée de sa protection. D’après le peu que Fiona savait de lui, il s’agissait d’un ancien soldat devenu chasseur qui avait accepté une mission d’escorte pour gagner une belle somme sans trop de danger. Il faisait son travail dans le plus grand silence, sa hache posée à plat sur la banquette.

La gouvernante, elle, dormait à poings fermés, le nez collé contre le bois du carrosse. Elle avait demandé à ce que les rideaux soient fermés. Fiona avait donné son accord à contrecoeur. Elle aurait aimé pouvoir admirer ce nouveau paysage plus longtemps. C’était la première fois qu’elle voyait les vallées et les champs d’aussi près. Il neigeait beaucoup moins là bas que dans les montagnes. A quelques endroits, on pouvait encore voir des touffes d’herbes vertes alors que les arbres étaient nus. Les maisons aussi étaient différentes : les pierres étaient plus claires. Les gens d’ici devaient se sentir plus heureux, sans ces pierres noires qui avalaient la lumière.

Le paysage était maintenant limité à un simple filet vertical aux couleurs mouvantes. Comme il subsistait encore un peu de lumière, Fiona prit le livre de son mentor dans sa besace de cuir. Par réflexe, elle jeta un regard appréhensif en direction d’Ullric, craignant qu’il ne lui défende cette lecture. Mais le mercenaire ne s’en souciait pas le moins du monde. Il ne regardait même pas Fiona et semblait concentré sur tout autre chose. Soulagée, la jeune femme consulta l’herbier. Elle le connaissait par cœur, mais il était toujours utile de s’y replonger.

Au bout de quelques heures, le carrosse s’arrêta. Ullric posa une main sur le pommeau de sa hache. La gouvernante était plongée dans un sommeil trop profond pour remarquer un changement. Intriguée, Fiona écarta le rideau de la fenêtre : ils étaient face à un grand mur. Beaucoup plus grand que celui des postes frontières.

Elle entendit le cocher descendre, puis les bruits indistincts d’une conversation formelle. Les voix se rapprochèrent, puis elle vit un homme vétu d’une armure d’acier et d’une cape bleue se pencher vers la fenêtre. L’homme, qui était certainement un garde, la salua d’un geste de la main et d’un sourire timide.

Fiona leva la main pour signifier à Ullric qu’il n’y avait aucun danger, puis elle ouvrit la porte du carrosse, à la surprise du garde.

- Ah… je pensais devoir vous ouvrir mais… euh… B… Bienvenue à la cité royale ! Puis-je voir votre invitation ?

- Bien sûr, répondit Fiona d’une voix chaleureuse, afin d’alléger le malaise flagrant du garde. Donnez moi juste un instant.

Elle fouilla dans se besace et en sortit le message envoyé par la reine. Elle le tendit au garde qui reconnut immédiatement le sceau.

- Je vous remercie, dame… Von Trotha, lut-il brièvement avant de tendre le papier à nouveau. Tout est en ordre. Je vous souhaite un excellent séjour !

Fiona récupéra l’invitation et remercia le garde avec un sourire. Elle referma la porte, entendit le bruit des rouages de la porte de la ville s’actionner, puis sentit le carrosse avancer à nouveau. Elle inspira un grand coup. Elle y était.

***

Au mépris du sommeil de la vieille gouvernante, Fiona laissa le rideau ouvert. Elle ne voulait manquer sous aucun prétexte l’occasion de contempler cette ville étrangère. Les bâtiments étaient si hauts qu’ils donnaient le vertige. La cité de son père était composée de petites maisons, toutes pourvues de sous-sols, permettant de s’y réfugier rapidement en cas d’éboulement. Les habitants de la cité royale n’avaient pas à s’en soucier et profitaient de cette absence de risque pour s’élever jusqu’au ciel.
Le bâtiment le plus haut et le plus spectaculaire paraissait toucher les nuages. Fiona devina à l’énorme rosace qu’il s’agissait du Temple de l’Ordre Céleste. Sa magnificence exerçait une certaine fascination sur la jeune femme, mais les mauvais souvenirs que lui évoquaient l’Ordre l’empêchait de l’apprécier totalement. Elle pensait que son père, lui, aurait certainement pleuré de révérence.

Un autre élément différenciait la cité royale de la ville ducale : le bruit. Même dans les quartiers nobles, il y avait une multitude de sons constants et intenses qui couvraient le roulement du carrosse sur la voie pavée. Les nobles de la cité royale n’hésitaient pas à sortir se divertir ou à se rencontrer, même si le temps n’y était pas propice. Dans la ville ducale, à la même periode, les gens de haute naissance ne se risquaient pas à affronter l’extérieur. Il y avait bien trop de neige. De plus, peu d’entre eux aimaient passer leur temps à se rejoindre, hormis pour parler affaire. Les gens de la cité royale semblaient plus chaleureux. Fiona ne savait pas si elle devait s’en réjouir ou s’en préoccuper, étant elle même habituée à adopter une attitude réservée la plupart du temps.

Le bruit incessant eut raison du sommeil de la gouvernante, qui sursauta suite au rire tonitruant d’une femme trop proche du carrosse. Elle se mit à fixer Fiona qui lui sourit avec douceur.


- Tout va bien Hilde. Nous sommes dans la cité.


- Oh, très bien, chevrota la gouvernante en posant une main sur son cœur. Sommes nous loin du palais ?


Ullric haussa ses épaules massives. Fiona scruta l’extérieur à la recherche d’un bâtiment pouvant s’apparenter à un château, mais l’horizon était couvert par les habitations.


- Nous sommes entrés il y a seulement quelques minutes, expliqua Fiona, je pense que nous sommes encore un peu loin.


Hilde hocha la tète. Elle se pencha vers Ullric. « Pourriez vous me réveiller quand nous serons arrivés, je vous prie ? », demanda-t-elle sur le ton de la confidence.

Le mercenaire haussa d’abord les sourcils, puis hocha humblement la tète. Immédiatement après, la gouvernante replongeait dans un profond sommeil.

***

Elle n’eut pas l’occasion d’en profiter très longtemps : une vingtaine de minutes plus tard, le carrosse s’arrêtait devant une nouvelle muraille. Fiona reteint son souffle : elle allait enfin entrer dans le palais.

De nouvelles vérifications eurent lieu, durant lesquelles Ullric dut céder son arme à contrecœur. Le cocher gara le carrosse dans un des rares espaces libres, puis les passagers purent sortir.

Fiona descendit la première avec beaucoup d’empressement. Ses jambes étaient comme comprimées dans un éteau à force d’être restées immobiles, mais cette douleur passagère fut largement compensée par l’émerveillement que la vue du palais faisait naître en elle. Il s’agissait de l’inverse exacte du château de son père : les pierres étaient claires, les toits d’une argile bleutée qui évoquait le crépuscule, des tentures bariolées flottaient contre les murs et la cour était parsemée de plantes et d’arbustes de toutes sortes. Fiona n’avait jamais imaginé qu’un château, pourtant sensé remplir une fonction militaire, pouvait être aussi agréable à l’œil.

D’autres carrosses étaient garés dans la cour. Beaucoup d’entre eux étaient superbes, construits dans des matériaux précieux et parfois ornés de joyaux. D’autres, plus modestes, avaient tout de même de quoi rendre le carrosse de Fiona aussi peu présentable qu’une charrette. La jeune femme en ressentit une certaine honte qui l’étonna elle même. Les autres prétendantes avaient tout misé sur l’étalage de leur fortune. Le duché de son père ayant connu des jours meilleurs, il lui avait été impossible de faire de même.


- Bien le bonjour, Mademoiselle !


Fiona sursauta et se retourna brusquement. Derrière elle se tenait une femme d’une cinquantaine d’années aux cheveux serrés dans un chignon. Elle s’inclina devant elle.


- Bienvenue au château royal ! Avez vous fait bon voyage ?


- Eh bien, oui, je… commença Fiona.


- Par-fait ! La coupa la femme, qui devait être l’organisatrice de la cérémonie. Vous me voyez navrée de vous brusquer, mais nous devons faire vite : vous faites partie des dernières arrivées et certaines chambres ont été réclamées à la dernière minute par des invités imprévus ! Je dois vous prévenir, il a des chances pour que vous deviez partager votre lit avec une autre jeune fille… Mais, attendez… Quel est votre rang ?


L’organisatrice avait prononcé ces phrases à une vitesse ahurissante. Fiona n’en avait compris que quelques bribes. Toutefois, elle se rendait bien compte que la femme en face d’elle était en train d’évaluer son importance : elle lançait un regard dédaigneux vers le carrosse, vers Ullric et Hilde, ce qui eut le don d’agacer la jeune femme.


- Je suis la fille du Duc Harald Von Trotha, répondit Fiona en levant le menton.


Aussitôt, l’organisatrice eut l’air bouleversée.


- Une duchesse ! Ciel… je vais devoir dire à une marquise ou je ne sais quoi de quitter les lieux. Je suis tellement navrée…


Fiona pouffa intérieurement. Lui aurait-elle demandé de coucher dans la cuisine si elle avait été de rang inférieur ? Sa fierté lui disait d’aggraver l’embarras de cette femme, mais sa bonté lui conseilla de faire preuve de clémence.


- Cela ne me dérange pas de partager mon lit, s’il s’agit de la seule solution qu’il vous reste.


- Oh, vous me sauvez ! C’est parfait ! Veuillez me suivre avec votre servante, je vous prie !


Hilde s’avança tandis qu’Ullric la suivait derrière. L’organisatrice eut une moue de dédain.


- Juste une chose, chuchota-t-elle à Fiona. Ce… personnage est il obligé de vous suivre partout ?


La jeune femme haussa les sourcils, puis offrit un regard compatissant à son garde du corps. Celui ci comprit que sa présence n’était plus désirée.


- Je vais chercher un lit à la caserne, dit-il en tournant les talons.


L’organisatrice parut soulagée. Elle se dirigea vers le donjon en s’assurant qu’elle était bien suivie. Fiona poussa un soupir de déception, désormais convaincue qu’elle ne partait pas gagnante.

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