Chapitre 31-Freya

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Tout ce que j’ai connu ou aimé mourra avec ces années de sommeil.

Freya n’était plus que l’ombre d’elle-même, un fantôme qui arpentait ce camp, un cadavre vivant. Nulle lueur n’éclairait ses yeux. Ses gestes se voulaient mécaniques, simples. Les gardes ignoraient si leur Reine se repliait dans ses ténèbres intérieures pour sauver son âme le peu de temps qu’il lui restait à vivre ou pour réfléchir. Freya ne s’exprimait que lorsque le besoin s’en faisait ressentir.

Le ciel s’éclaircissait les minutes filant. Les étoiles perdaient de leurs éclats alors qu’un fin nuage se teignait de rose à l’horizon. Freya fixait la ceinture de feu qui étreignait la voûte étoilée. La jeune femme scella son cheval. De ses naseaux, il tapota ses poches en quête de friandises.

—Tu n’as pas de problèmes de vie et de mort, toi.

Elle sauta sur le dos de son cheval, or une ombre pénétra dans l’enclos. En relevant les yeux, Freya découvrit le visage de Chrysentia et ses cheveux sans couleurs tant que mèches teintées lui barraient le visage.

—Puis-je me joindre à toi ? Maleïka n’a donné l’ordre de lever le camp que dans une heure.

La Reine haussa les épaules.

—Je ne peux pas t’empêcher de me suivre.

—Alors attends-moi.

Elle revint quelques instants plus tard en compagnie de la monture dont s’occupait Oron. La bête manifestait sa nette préférence pour la sorcière. Le chasseur n’était pas doué pour sa sympathie avec les animaux et la jeune femme ne cessait de s’étonner de cette aversion réciproque. Je ne ferais pas l’erreur de me lier avec l’un d’eux. Ils savent que je tue leurs pairs et craignent pour leur propre vie. Le cheval s’approcha de son compagnon qui le fouetta de sa queue.

Les deux femmes contournèrent l’enclos pour s’engager sur le chemin. Freya n’appréciait guère ce territoire ennemi où peu d’arbres maculaient le paysage. Les pleines enneigées se succédaient les unes après les autres avec une rythmique éreintante. Seule une ligne dans le lointain séparait le royaume des hommes et celui de la Déesse. Le moindre lapin –même blanc- était visible. Ils les observaient de son air ahuri, les oreilles dressées, la truffe frémissante, aux aguets Etait-il impressionnée par les grands chevaux ou les étranges créatures sans fourrures qu’ils portaient ?

—Nous atteindrons le château de Shagal avant midi, exposa Chrysentia les yeux sur la route. C’est demain qu’Oron décidera de l’avenir de la Reigaa.

Freya se contenta de hocher la tête. La Reine n’ignorait rien des affirmations de Cilanna. La date était imprimée au fer dans son esprit. Les chiffres tournoyaient sans jamais s’arrêter. Elle rêvait même de numéro. Le troisième du mois de la première saison de l’an 853.

—Peu importe. Si je ne meurs pas demain, je mourrais le mois prochain.

—Mourir ?

—Je suis condamnée, Chrysentia. Et dans ce pétrin, je suis plus seule qu’aucune de mes sœurs.

—Tu as tort.

—En quoi ? Maleïka ne s’attache à personne et tu assisteras au réveil de Cilanna. Je suis celle qui a le plus à perdre de cette situation.

Révéler ses peurs, les dire à haute voix ne lui procurait aucun réconfort. Cet acte n’agrandissait que sa douleur.

—Qui ?

—Mon armée, mes gardes, Aggo, Zorak, certains de nos domestiques. Oron aussi. Et moi, chuchota-t-elle après quelques secondes d’hésitation.

La jeune femme secoua la tête pour montrer son refus.

—Avec la louve, j’étais… Entière. L’Agkar connaissait les faiblesses de Freya et les transformait en qualité. Moi, je connais les faiblesses de mon Agkar car les deux ne font qu’un.

La grimace qui tirait ses traits témoignait de son conflit intérieur.

—Est-ce si immoral d’éprouver un sentiment de plénitude après avoir tué ?

Freya n’attendais pas de réponses mais Chrysentia lui en fournit tout de même une.

—Seule toi peux trouver la réponse à cette question. Que ressens-tu après une bataille ?

—Un mélange de joie et de défaite. Joie parce que je suis vivante et défaite car des hommes ont perdu leur vie pour protéger la mienne, d’autres pour un roi différent. Mérite-t-on de mourir pour des avis divergents ?

—Non, probablement pas.

—Alors je suis mauvaise.

La Reine ordonna à son cheval de s’arrêter. Ses abducteurs tiraillaient ses cuisses à force d’être en selle. La neige gémit lorsque ses bottines la tassèrent. Dans ce désert blanc, la moindre difformité attirait le regard. Que dire de deux cavalières et d’un campement dans le précédent vallon ?

Chrysentia la dominait de toute sa hauteur.

—Sortir du camp me fait du bien. Les nobles m’excèdent avec leurs questions idiotes.

—Cilanna n’occupe pas les commères ?

—Ils veulent l’avis du l’entraîneuse du champion, mais que puis-je leur dire hormis : « je ne vois pas le futur ? »

—Rien sans doute. Ils auront assez à faire en minaudant devant Shagal pour ne plus trainer dans tes pattes d’ici demain.

Demain. Ce mot sonnait tel un compte à rebours. Dans une journée se déroulerait non plus le plus sanglant des combats mais celui qui mettrait fin aux rixes entre la Reigaa et Veilà.

—Tu n’es pas obligée de dormir pendant une centaine années si tu ne le souhaites pas.

La Reine redressa la tête, les yeux ronds.

—Que dis-tu ?

—Je n’ai pu te le révéler plus tôt à cause de Maleïka. Freya, toi seule a le choix.

—Lequel ?

Son myocarde se contractait avec plus de rapidité et le sang qui se diffusa dans son visage réchauffa ses joues.

—Tu peux choisir entre l’Agkar et les cent ans. Une croyance stipule que si une personne considère sa malédiction principale comme une bénédiction, elle peut refuser la deuxième.

L’espoir qui brillait dans les yeux de la jeune femme serra la poitrine de Chrysentia.

—En es-tu sûre ?

—Oui.

Freya ne lui demandait pas d’où elle tenait ces informations, elle s’en fichait.

—J’ignore comment évoluera la malédiction mais il es probable que tu continues de vivre sous cette forme, Agkar à un quart.

Le visage de la Reine s’assombrit.

—Tu ignores si je resterais humaine ou louve ?

—Tu ne seras plus humaine, Freya. Plus en totalité en tout cas. Je te l’ai dit, j’ignore de ce qu’il va advenir de ton corps et de ton esprit. Il n’y a eu que très peu de cas exploitables et les sources ne sont guère fiables.

—Que disent-elles ?

—Là non plus, elles ne s’accordent pas. Peu de malédiction de ce genre passent par le sang. En tout cas : un seul point commun les unis. La malédiction change, en bien ou en mal, c’est un risque à ne pas négliger. De plus, tu devras dire Adieu à tes jumelles. Plus jamais, vous ne vous reverrez. C’est là aussi un sacrifice, en es-tu consciente ?

Freya resserra les rennes autour de ses gants.

—N’as-tu aucune idée, même vague de la direction que prendra la malédiction des Agkars ?

—Non, répondit Chrysentia avec patience. Peut-être que tu te transformeras souvent, peut-être tueras tu plus, peut-être te changeras-tu en hybride, c’est au lancé de dés que se prennent de telles décisions.

—Comment pourrais-je prendre ma décision le moment venu ?

—Si tu acceptes sont sort, sans le moindre regret ni remords et seulement si ton cœur acceptes la louve, la partie animale qui est en toi, alors la deuxième malédiction te jaugera mais ne te touchera pas. Trouve un défaut que tu ne peux supporter de l’Agkar ou acceptes les tous sans concession et ton choix sera scellé.

—Tu causes comme une devineresse, sorcière.

—De vieilles habitudes qui ont la peau dure, répliqua-t-elle en riant. Nous devrions rentrer au campement. Les chevaux ont encore besoin de repos, surtout toi, mon grand lascar. Oron doit se demander où tu es passé.

Elle flatta l’encolure de l’animal qui s’ébroua. Il semblait comprendre qu’un changement de propriétaire, en sa défaveur, l’attendrait dans l’heure. Freya esquissait de grandes enjambées dans la neige pour se maintenir à sa hauteur. La Reine aimait la brûlure dans ses cuisses et sa monture appréciait une promenade matinale sans personne sur son dos.

Alors que les rangées de tentes se déployaient devant elles, les derniers mots de Chrysentia flottaient encore dans son esprit : toi seule peux choisir.

Quelques minutes plus tard, ses sœurs se voutèrent pour s’assoir dans la voiture. Oron la rejoignit, en selle. Son cheval n’était guère heureux de retrouver son maitre. Il le toisait de haut en bas tel un palefrenier débutant sans aucune compétence ou savoir équins.

—Même des dorakkars m’apprécieraient plus que ce canasson ! Grommela le chasseur.

Au même moment, le cheval coucha ses oreilles et immobilisa ses jambes comme s’ils comprenaient l’insulte. Malgré ses taloches, la bête demeura stoïque.

—Tu devrais lui en être reconnaissant de te porter sur son dos. Peu d’animaux accepteraient.

—C’est un coup bas, ronchonna-t-il.

—Respecte cette bête. Les hommes ont besoin des animaux et non l’inverse. Pour lui, tu es un fardeau. Sans toi, il pourrait courir avec ses proches dans une horde, libre mais il a été voué à la servitude pour que des êtres humains puissent le monter, ne l’oublie pas.

En serrant les genoux et après un léger coup de talon dans le flanc droit, le hongre de Freya s’engagea sur la route. Nul bruit, autre que celui de la troupe ne perturbait la plaine. La Rein avait conseillé à Oron de se laisser conduire pour ce dernier jour même si celui-ci rechignait à dresser l’animal. La jeune femme régla son allure au pas.

—Tu as l’air préoccupé. Remarque : je le serai aussi si une malédiction planait au-dessus de ma tête.

—Je ne suis pas obligée de dormir, chuchota Freya.

Elle lui expliqua tout, n’épargnait pas ses sentiments et les difficultés qu’imposaient ce choix.

—J’ignore à quoi je ressemblerais si je refusais de dormir. Un loup, un humain, un hybride…

—Vous n’êtes pas obligée de vous décider de suite.

—Non mais j’ai peur de le faire. La malédiction va sonder mon cœur, mon âme, ma raison. Il n’y aura plus aucune barrière, aucune protection, rien. Je dois être sûre de ma décision.

Oron ne se laissa pas démonter aussi facilement.

—Tu pourrais venir avec moi, suggéra-t-il de la voix faible qu’on utilisait pour avouer les hontes.

—Où ?

—Peu importe. Nous pourrions vivre ensemble durant quelques temps.

—J’ignore tout de ma future apparence, Oron. Voudrais-tu te coltiner une femme qui hésite entre le monde humain et animal ? C’est impossible, je ne t’infligerai pas ce dont personne ne voudrait.

—Qu’en sais-tu ? Répliqua-t-il, mauvais.

—Rien, tu as raison mais je sais ce que je ne veux pas : être un fardeau. La malédiction va me transformer, c’est une certitude. En quoi ? Là est la véritable question.

—Nous pourrions au moins essayer…

Freya le fit taire d’une œillade sévère.

—Tu aimes une femme qui dans un mois ne sera plus, quel que soit mon choix. Si j’accepte de dormir, tu seras mort bien avant que je ne me réveille. Dans le cas contraire, je tiendrai plus de l’animal qu’aujourd’hui. Tu es tombé amoureux d’une femme pas d’un animal.

Devant son air peiné, Freya se radoucit.

—T’ai-je déjà raconté l’histoire de mes parents ? La Déesse doit particulièrement nous détester pour que notre famille soit l’objet de tant de malédictions. Mon père aussi en fut l’objet, jadis. Ma mère n’était pas une Agkar mais une vraie louve, de la race de ceux que tu chasses dans les bois. Tout chasseur a entendu parler des Louves Fauves. Les légendes disent qu’aucun mâle ne survit à cette race. Pour une fois, elles disent vraies. Après s’être accouplées avec des loups normaux, les mères tuent les petits mâles et la plupart des femelles héritent de la fourrure brun-rouge. Arrives-tu à deviner le rester ?

Oron fronça les sourcils et écarquilla en même temps les yeux. Une image qui aurait pu être drôle, sortie de son contexte.

—Une idée me vient mais elle est si… Dégueulasse. Ta mère était vraiment une louve ?

Freya hocha la tête, froidement.

—Ton père a couché avec un animal ?

—Au peu de gens que nous le racontons, tous semblent penser la même chose. Mon père est tombé amoureux de ma mère sous sa forme de loup. Une sorcière l’a changé en humaine quelques jours par mois. S’il partageait des sentiments avec l’animal, il n’a eu des relations sexuelles qu’avec l’humaine. Elle pensait qu’elle resterait une louve cependant ma mère s’est transformée en Agkar. Lorsque nous sommes nées, nous n’étions pas des bébés roses aux joues rebondies mais de petits louveteaux grotesques. Nous avons appris récemment que nous n’étions pas trois mais quatre. Il n’y a rien d’étonnant. Les loups ont rarement une portée s’un seul rejeton. Le seul ennui est que le quatrième était un mâle. Notre mère l’a aussitôt tué et mangé pour retrouver des forces pour nous allaiter.

Freya racla sa gorge et jeta un coup d’œil au-dessus de son épaule : les charrettes les talonnaient. Au loin, la Reine craignait d’apercevoir les tours du château de son ennemi. Cette vision mettrait un terme à leur voyage.

—Notre famille est maudite pour des raisons qui sont assez longues à narrer. Il semblerait que la déesse ne nous tienne pas en haute estime. Mon père fut condamné à aimer un animal. Nous pensions que la nôtre était liée à ces créatures assoiffées d’horreur. Avec ces cents prochaines années, je dois avouer ignorer celle qui succède à la zoophilie de notre père.

Oron ne répondit pas de suite, méditant avec calme ce que lui révélait sa Reine.

—Tu dis toutes ces choses pour que je renonce à toi.

—Non, c’est mon histoire. Mes origines ont poids si écrasant qu’ils laissent la femme que je suis dans les ténèbres. Je n’ai pris aucune décision et tu dois savoir à quoi t’en tenir. De plus, j’ignore si je resterai avec toi sous ma nouvelle forme. Peut-être que les sentiments que j’ai pour toi s’effaceront, peut-être pas. Je ne peux rien te promettre.

—Tu admets donc avoir des sentiments.

—Je pensais avoir été clair à ce sujet. C’est même toi qui a défini la zone dans laquelle je me trouvais. Avec le temps, peut-être parviendrai-je à en sortir.

—J’espère que tu ne changeras pas.

Curieusement, son cœur se serra. Elle savait qu’il s’agissait d’un des derniers moments volés avec le chasseur.

—Descends de ton cheval.

—Tu comptes me faire marcher ? J’ai déjà ….

—S’il-te-plait.

C’est la première fois qu’elle ne lui donnait pas un ordre lorsqu’il répliquait mais une supplication. Quelques minutes de tranquillité, c’est tout ce qu’elle demandait.

—Ton animal rebroussera chemin. Mes domestiques s’en occuperont.

Les jambes de la jeune femme se resserrèrent autour des flancs de sa monture et après quelques pas, elle s’immobilisa.

Oron glissa à terre et dirigea le cheval vers la foule qui les suivait. Freya tendit sa main.

—Monte.

Le chasseur agrippa ses doigts et s’assit sur la coupe du cheval, les mains enroulées autour de la taille de sa Reine.

—Si tu avais été meilleur cavalier, je t’aurai peut-être laissé les rennes. Comme j’ai encore besoin de toi demain, je vais prendre les commandes.

Freya poussa le cheval au trot et pressa son dos contre le torse du chasseur. A cet instant, la jeune femme s’ouvrir au monde, avide de sensations qui lui seraient interdites d’ici un mois. Les sabots heurtant le sol résonnaient dans son corps, les longues enjambées de sa monture dans la neige, le vent qui chantait à ses oreilles, la bise qui mordait ses joues, la chaleur des mains d’Oron qui traversaient les couches de ses vêtements pour brûler sa peau. Le menton de l’homme se nichait contre ses tempes. Son cœur ne bondissait pas dans sa poitrine mais elle se sentait bien entre ses bras. Non pas protégée et en sécurité comme le désiraient la plupart des femmes. Un sentiment d’égalité envahit son être. Une fois à distance convenable, l’équidé ralentit.

—Pourquoi ? Chuchota Oron.

Même un murmure semblait bruyant dans cette plaine de silence.

—J’essaie d’avoir un aperçu de ce que je pouvais vivre en restant à tes côtés.

Aucune réponse ne franchit ses lèvres et Freya n’en fut que plus heureuse. Les rennes qui retombèrent sur la croupe et ses mains qui enveloppaient celles du chasseur. Voilà tout ce dont elle avait besoin. Sérénité et oubli. La jeune femme ferma les yeux tandis que sa tête s’appuyait contre la mâchoire de son compagnon.

—Que vont penser tes sœurs en nous voyant prendre la poudre d’escampette ?

—Mes sœurs… peuvent penser ce qu’elles veulent. Dans un moi, je ne serai plus là. Plus en tant que femme, du moins. J’essaie de grappiller les derniers instants qu’il me reste de cette vie.

—N’avez-vous jamais été proches ?

—Non, jamais.

Il n’y avait rien de plus à en dire et le chasseur le comprit.

—Puis-je ?

Dans un premier temps, Freya ne comprit pas. Les mains du chasseur se resserrèrent autour de sa taille pour rendre leur étreinte plus intime. La jeune femme appréciait son avant-gardisme, sa timidité lorsqu’il s’agissait d’évoquer des sentiments plus ambiguës qu’une simple attraction sexuelle.

—Si nous nous étions rencontrées en des conditions différentes, toi chasseur, moi, marchande ou paysanne, nous aurions pu vivre ensemble.

—Si tu faisais parti des gens du communs, vous ne seriez pas telles que vous êtes aujourd’hui. Ton éducation à la guerre, ton habilité aux armes, ton franc-parler… Tu as hérité de ce comportement grâce à ton rôle de Reine.

—Tu n’apprécies donc en moi que ce qui est dû à mon rang.

—Je parle d’éducation. Nous avons tous des caractères plus ou moins prononcées à notre enfance, qui sont encouragés ou non par les épreuves que nous subissons depuis notre enfance. M’aurais-tu seulement jeté un regard si j’avais été le fils d’un seigneur, parés de vêtements dignes dont j’ignore jusqu’au nom ? Si j’avais été assis à côté de toi à l’un de ces interminables repas, m’aurais-tu remarqué ?

Il lui donnait matière à réfléchir. Que répondre à ces questions ? Oron ne lui laissa pas le temps d’élaborer une réponse.

—Qu’as-tu pensé de moi lors de notre rencontre ?

—Un danger. Ton but était de nous tuer.

—Un sentiment fort, d’urgence même. Si je m’asseyais à table, te servais un verre de vin et parlais de la neige qui ne cessait de tomber, je t'aurais probablement ennuyé. Tu vois toujours une menace et c’est sûrement l’unique chose qui t'attire en moi.

—A t’entendre, nous sommes tous les deux des escrocs.

—Pas des escrocs mais des débutants. Nous nous rattachons à un point de la personnalité de l’autre avant de découvrir un autre trait de caractère meilleur encore chez un partenaire. Pourquoi n’es-tu pas restée avec Zorak et pourquoi je n’aime aucunes putes que j’ai baisées ? Nous aimons la flamme qu’ils attisent en nous mais nous n’aimons pas leur personnalité.

—Et tu penses aimer la mienne ?

—L’affirmer, ce serait mentir. J’ai dépassé le premier stade, toi non. Tu restes toujours sur le danger. Et ça t'attires.

Freya se renfrogna. Elle se rappela qu’il ne pouvait la voir alors elle se raidit.

—Ta soudaine philosophie de vie n’interfère pas dans mon choix, lui rappela-t-elle.

—J’aurai au moins essayé, ricana-t-il.

Le coude de la Reine s’enfonça dans son ventre.

—J’admets l’avoir mérité, celle-là.

Freya ne pouvait en dire autant. Ses paroles la hantaient. La jeune femme cherchait à comprendre, à démêler le vrai du faux mais ces mots avaient l’accent de la vérité et d’une compréhension du monde qu’il s’efforçait de décrypter. Pour la première fois, la Reine comprit que ses exigences visaient plus que la chasse, le sexe et les discours embarrassants. Tous détenaient des secrets à partager pour peu que le chercheur se montre humble de les accepter. Oron était de ceux-là.

—As-tu peur pour demain ?

—N’importe qui serait paralysé de terreur.

—Sauf toi ?

—Moi en premier. Reconnaitre la peur, c’est la maîtriser.

—Je n’ai pas été inutile si tu as retenu mes enseignements. N’oublie pas que…

—Ne dis rien. Oublions le duel pour l’instant.

Freya se tut. Tous deux se laissèrent bercer par le silence, les murmures d’un faible vent à leurs oreilles, les muscles du cheval qui s’animaient sous leurs corps, la neige qui s’aplatissaient en arc de cercle sous les sabots. La jeune femme imprimait ses sensations, ses visions dans son esprit. Bientôt, elle mourra et oubliera. Bientôt, elle renaitra.

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