Chapitre 15- Freya

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Tandis que Freya désarmait Tiyliu, des applaudissements se firent entendre. Le garçon ramassa son poignard et la pointe traça un sillon dans le sable. Chrysentia s’adossait à la rambarde, ses yeux posés sur le voyou.

–Le garçon s’améliore.

–Il est prometteur, confirma Freya. Les chances sont à égalité.

Le sourire de la sorcière s’effaça.

–Leur champion est particulièrement doué. Très agile à ce qu’il paraît.

–C’est un combat à mort, pas un tournoi de danse (Elle se tourna vers Tiyliu). Tu peux aller te reposer. Nous nous retrouverons demain à l’aube. Echauffe-toi si j’ai un peu de retard.

L’ancien voleur s’inclina, une main sur la poitrine et se dirigea vers les écuries.

–Ce n’est pas bien de mentir.

–Tu préfères que je lui dise qu’il a une semaine de congé parce que je vais me changer en Agkar ?

Un sourire fendit son visage.

–Je plaisante. Tu es en retard.

La transformation approchait. Le soleil se couchait et les raideurs caractéristiques crispaient ses muscles.

–Je tiendrai.

Dans peu de temps, elles ne seraient plus supportables. Très vite son échine se courberait et elle n’aurait d’autre choix que je gagner leur cachette à quatre pattes tant la douleur la handicaperait.

–Ne te laisse pas avoir par le temps si tu veux encore filer à l’armurerie. La dernière fois, nous avons dû improviser parce que ta louve venait trop vite.

–Je la sens quand elle vient. Pour l’instant elle ferme sa gueule. J’ai encore une vingtaine de minutes avant moi.

Freya escalada la barrière pour se laisser glisser aux côtés de son amie.

–Je vous rejoindrai une fois que j’aurai déposé mes armes.

La Reine vouait aux lèvres serrées de Chrysentia qu’elle ne partageait pas son avis.

–Où sont Maleïka et Cilanna ? Tu es toujours avec elle avant la Transformation.

–Etais.

Soudain, la guerrière se rappela les paroles de sa sœur la semaine dernière.

–Tu nous as caché notre histoire. Il est normal qu’elle prenne les choses plus à cœur que nous puisque tu es sa compagne. La trahison est plus amère pour elle.

–Maintenant je le regrette.

–Oui, maintenant. Le but de cette séparation est que chacune comprenne ses torts. Laisse-lui du temps et elle reviendra vers toi.

La sorcière hocha la tête.

–Au fond de moi je le sais mais…

–Il y a toujours ce mais. Je ne connais pas grand-chose aux relations amoureuses mais je sais ce que ressent ma sœur. Elle t’aime mais ne sait pas si vous pourriez être ensemble pendant plusieurs décennies.

–A t’entendre, j’ai l’impression que tu ne m’en veux pas.

–A quel propos ?

–Le fait que je t’ai caché ton histoire.

Freya haussa les épaules.

–A vrai dire, cette révélation m’importe peu. Que ma mère était d’abord un animal ensuite un humain… Oui, c’est d’abord une douche froide et puis je me suis dit que ça n’a plus aucune importance puisqu’elle est morte et que je suis en vie.

–Je ne comprends pas pourquoi ta sœur l’a si mal pris.

–Je ne pense pas que ce soit ce cas en particulier mais plutôt le secret de trop.

Devant l’arche ses sœurs attendaient.

–Vas-y. Je vous rejoindrai.

–Il ne te reste qu’une quinzaine de minutes avant que le sortilège n’agisse.

–C’est l’affaire de quelques secondes.

Chrysentia recouvrit ses cheveux de son capuchon brun. Impossible de la reconnaitre sous la couche de brume qui se levait. Freya se dirigea d’un pas rapide vers l’armurerie. Elle constata que le château était désert hormis les quelques ombres qui vacillaient aux fenêtres. La Reine baissa la tête afin que ses cheveux couvrent son visage. Dans la morne lueur du crépuscule, le ronge se confondaient en brun. La guerrière se glissa sous les nombreuses arches avant de pénétrer d’un pas silencieux dans l’armurerie. Elle jeta un coup d’oeil circulaire par-dessus son épaule mais le brouillard avalait tous les éléments à sa portée. Avec un sourire, la guerrière s’enfonça dans la réserve d’armes.

Soudain elle vit Zorak se poster près d’un pantin de paille.

Oh non, qu’est-ce qu’il fiche là lui ?

Le maître d’entraînement n’avait jamais été présent à cette heure. S’il la voyait, il se poserait des questions. Elle s’aplatit contre le sol et avança prudemment, sollicitant ses muscles pour avancer le plus rapidement et silencieusement possible. Heureusement la dalle où elle cachait ses armes se trouvait près de la sortie. La guerrière ne rampa que quelques mètres et de Zorak ne discerna que le haut de son crâne. Elle s’accroupit, ignorant la douleur qui irradiait dans son corps. Freya devait agir vite.

Ses articulations la handicapaient mais le pire fut la pression qui broyait ses jambes. Ses talons semblaient être pris dans les mâchoires d’un étau qui plantaient ses dents avec fermeté dans ses os. Pourquoi la souffrance était-elle à chaque fois si soudaine ? Il ne lui restait que quelques minutes. Au bout d’une dizaine de mouvements lents et laborieux (ses ongles s’effritaient sur les dalles rendant sa prise difficile et mal assurée) la Reine extirpa du sol un sac où elle glissa son poignard, son épée, son arc et ses flèches. Elle ne prenait jamais le risque de les emporter avec elle.

Du coin de l’œil elle surveillait Zorak qui ne semblait pas avoir remarqué sa présence. Elle y avait aussi veillé en se déplaçant le plus lentement possible. Elle reboucha le trou et lança un caillou dans la direction opposé. Zorak cessa un instant ses mouvements mais resta immobile au lieu de se rendre à la source du bruit.

Allez ! Bouge-toi !

Après une dizaine de secondes qui lui parurent aussi longues que des minutes Zorak partit. Elle se glissa dehors et courut. Malgré toutes ses précautions, Freya ne vit pas l’ombre du chasseur raser les murs.

Elle pénétra dans la forêt. Les hauts sapins aux branches touffues la protégeaient. Elle avait l’espoir vain de retrouver ses sœurs sous sa forme humaine.

Soudain, elle fut projetée en avant. Sa colonne vertébrale venait de se briser. La jeune femme tendit les bras pour se réceptionner mais ses humérus craquèrent dans un bruit sourd. Son myocarde se contracta, expulsa tout le sang dans son être. Sous sa chair, la louve ondulait. Sa peau se craquelait, se fissurait révélant les secrets les plus profonds de sn anatomie. N’ayant plus aucune prise, ses ongles tombèrent. Freya planta fermement la pointe de ses pieds dans le sol et rampa s’aidant de ses épaules et de sa tête. La vérité la heurta de plein fouet : elle ne se transformerait pas avec ses sœurs. Qu’importe, elle les rejoindrait sous sa forme d’Agkar. Si la Reine étouffait ses cris pendant de longues minutes, elle n’y tint plus.

Le hurlement qui s’échappa de sa bouche aurait eu assez de puissance pour rompre les cordes vocales d’une humaine. Son bras droit se ressouda entrainant l’apparition de muscles gros et ronds ainsi que d’une peau nouvelle recouverte de poils noirs et drus. Son nez et sa bouche s’allongeaient. Ses gencives roses cédèrent la place à une chair foncée et des crocs pour l’instant immaculés.

Brusquement, alors que son corps était à mi-chemin entre la bête et l’humaine, une douleur indicible perça son flanc gauche. Une souffrance due en rien à la métamorphose. Freya baissa les yeux et découvrit une lance qui traversait son corps. Le bâton disparaissait sous sa chair avant de réapparaitre sous la forme d’une flèche enduite d’un liquide visqueux. Son odorat lui permis de l’identifier. Du poison.

Avec ses griffes, elle tenta de déloger l’arme mais ses mains la fascinèrent. Hideuses, boursoufflées et flétries à deux-trois endroits pour laisser apparaitre des poils rugueux. La transformation s’interrompit brutalement.

–Bonsoir, Ma Reine.

Elle reconnaissait cette voix. La tête d’Oron apparut dans son champ de vision. Freya retroussa ses babines, cracha avant que sa tête ne retombe sur le sol. La guerrière haletait, ses doigts- griffes ou quelques choses que ce fût- s’enroulait autour de la lance.

–Enlève-moi ça.

Ses yeux exorbités semblaient prêts à roulet hors de ces orbites.

–Non.

Freya siffla- ou produit un son qui s’apparentait à un sifflement. Elle tenta de lui asséner un coup meurtrier mais ces gestes étaient lents et maladroits. Oron l’évita facilement. Son regard erra sur la créature gémissante à terre ; ni femme ni loup mais un cruel mélange entre les deux. Sa gueule dépourvue de poils ressemblait à celle d’une de ces terrifiantes bêtes mais son crâne conservait la rondeur caractéristique des humains.

Oron s’agenouilla assez loin de Freya pour éviter de potentiels coups de patte. Pour l’instant, l’hybride se tenait tranquille, agonisant l’effet du poison qui engourdissait ses membres.

–Pourquoi…. attends-tu , grogna-t-elle. Tue…moi et…. fais-le… vite.

Le chasseur partit d’un éclat de rire, rejeta sa tête en arrière en se gaussant.

–Vous tuer ? Ce serait manquer à ma paroles. Je vous ai promis un cœur d’Agkar et vous en aurez bientôt un. Si j’ai réussi à vous piéger, combien de temps me donneriez-vous pour que j’attrape vos sœurs adorées ?

–Laisse-les… En dehors….. de ça.

Elle devait les protéger. La Reine avait fait l’erreur de l’amener à la cour pour l’éloigner mais le chasseur l’avait pris de de vitesse. Son pire cauchemar lui faisait face. Oron fit de larges mouvements des bras.

–Vous sentez comme c’est jouissif ? Vous tenez le pays et je vous tiens. Je peux faire de vous ce que je veux.

–Tu…. N’es… Rien.

–Chht. Taisez-vous (Il plaça un doigt en travers de ses lèvres) Laissez-moi savourer cette sensation encore un peu.

Il inspira une goulée d’air, un sourire d’extase sur le visage.

–Je ne suis pas un chasseur. Je vous ai menti.

Freya n’en n’avait cure. La douleur l’insupportait et elle ne pouvait rien faire pour se soulager.

–Kayla n’a jamais existé ni mes parents riches. Ils gagnent leur vie honnêtement en échangeant du gibier contre des outils et des vêtements. Toute cette mascarade n’était qu’un mensonge pour vous approcher et rentrer dans l’élite de vos chasseurs pouilleux. Vous engagiez les pires pour ne pas vous faire démasquer, pas vrai ?

La Reine montra les crocs.

–Il y a cependant un léger problème. Trois fois rien cela dit. J’ai une excellente résistance à la magie. Votre sorcière n’a pas réussi à vous protéger tout compte fait.

Son derrière retomba sur le sol, il resta allongé quelques instants. Freya ferma les paupières. Ses pensées cherchèrent ses sœurs. Où étaient-elles ? La guerrière espérait qu’elles étaient partie vers une lointaine contrée inconnue d’Oron.

–Trêve de bavardage. Je ne vous ai toujours pas expliqué pourquoi je ne vous tuais pas. C’est simple ; je rêve de gloire, d’adulation. Je veux devenir votre champion. Qu’en dîtes-vous ? Je sauve la Reigaa et la vie de vos sœurs ? L’autre option est un peu moins favorable pour vous. Tuer les Agkars me donnera toute la puissance et la richesse que je convoite. Le seul problème est je dois assassiner deux personnes supplémentaires, des Reines qui plus est. Le pays sera plongé dans l’anarchie s’il n’y pas de successeurs et puis vous m’êtes sympathique. Donc je préférerais la première solution mais c’est à vous de décider.

Le jeune homme releva son buste et d’une de ces jambes. Freya distingua à travers ses yeux entrouverts une gourde.

–Vous avez raison ; la bière de Valgur Raal est l’une des meilleures que j’ai pu goûter. Peut-être même la meilleure.

La douleur s’estompait petit à petit. Ce n’était pas le poison qui la provoquait mais la fin de la transformation. Si Oron n’avait pas surgi des ombres, son corps serait déjà celui d’un monstre. Ses membres s’engourdissaient, la substance nocive l’immobilisait lentement.

–Je connais déjà votre choix, Freya. Tout le monde le choisirait cela dit. Il faut être fou pour refuser une telle offre. Alors, quelle est votre décision ?

–J’accepte, répondit-elle sans cérémonie.

–Formidable !

Oron se redressa, sortit un couteau et trancha la lance. Il lança à la Reine un es lambeaux de tissu de son ancien pantalon.

–Mettez ça dans votre bouche avant de rameuter tous les environs. Le plus difficile reste à venir.

L’hybride cala le morceau entre ses mâchoires et enfonça ses griffes dans la terre. Oron s’assit à califourchon sur ses jambes déformées. Cette position l’aurait excité si elle avait été humaine –enfin si elle pouvait encore éprouver quoi que ce soit pour ce traître- mais le désir sexuel et sentimental n’existait pas chez les Agkars. D’un geste, le chasseur retira le bout de bois qui traversait son visage. Le métal taillé en pointe dansait devant ses yeux.

–Il vous faudra quelques heures avant de pouvoir bouger normalement. D’ici-là, je vous souhaite une excellente nuit.

Sous les yeux médusés de la Reine, il s’allongea à quelques mètres d’elle, s’enveloppa dans manteau sans même se préoccuper de Freya et s’endormit. Elle voulait l’étrangler, entendre le craquement dans sa nuque annonçant sa mort. Pour le moment, elle dut se contenter de se blottir contre un buisson et un tapis de feuilles mortes, Oron étant trop éloigné. Au moins le poison lui laissait la liberté de quelques petits mouvements.

La nuit fut fraîche mais supportable pour la jeune femme ; son corps à moitié animal ne ressentait pas la morsure du froid. Elle utilisait ses cheveux pour couvrir le peu de sa nudité humaine. Le chasseur ronflait, les chouettes ululaient et ses sœurs, parties. Elle devait renvoyer Tiyliu qui comptait sur cette récompense. Argent que la couronne ne possédait pas.

La chasse appelait. Son être entier vibrait en réponse mais le poison était long à disparaître. C’est dans cette confusion que se déroulèrent les prochaines heures. Elle brûlait de le tuer, fixant sur lui un regard avide. Malheureusement l’aube le réveilla et Freya commençait lentement à se défaire de cette emprise malsaine. Ses gestes étaient plus sûrs, plus rapides, plus habiles mais ses membres demeuraient faibles. Elle s’agitait mais ne parvenait à se relever. Elle fixa Oron, babines retroussées sur des crocs pointues. Vision écœurante pour un réveil.

–J’ai… Faim.

Anatomiquement, sa bouche ne pouvait plus former de mots. Délier sa langue pour créer des sons humains demandait une concentration intense.

–J’ai des biscuits si tu veux.

–Le loup… Faim.

–Ne pas te nourrir ce serait comme te laisser crever sur place, hein ? Tu es plutôt du genre renard ou lapin ? Laisse-moi deviner (il la parcourut son corps d’un regard étrange, presque… intéressé), je dirais rongeur. Ne bouge pas.

Ces mots ne voulaient plus dire grand-chose. Son esprit se focalisait sur son estomac qui se nouait. Un serpent semblait se tordre dans son ventre. Le chasseur revint quelques instants plus tard, une fourrure blanche dans les mains.

–J’ai trouvé le lapin et le renard mais manque de chance, je n’ai eu le prédateur. Il faudra t’en contenter.

Il jeta le corps inanimé devant la figure de sa Reine qui dévora le canidé en quelques bouchées. Ses griffes s’enfoncèrent dans la cuisse du renard et sa gueule déchiqueta le ventre. Ses os craquèrent sous la pression de ses crocs, le sang macula ses babines dépourvues de poils. Enfin, son estomac se calma acceptant la piteuse offrande du chasseur.

Lorsque l’Agkar releva la tête, la moitié de son visage teinté d’écarlate, elle ne put que grogner pour le remercier. Quelle ironie, songea-t-elle. Oron s’adossait à un tronc et grignota quelques biscuits.

Malgré quelques tiraillements, Freya put se lever quelques heures plus tard. Le chasseur s’était assoupi. Ignorant la protestation de ses muscles, la louve avança jusqu’au jeune homme, les crocs découverts. Elle l’enjamba et colla sa gueule à son nez. Un filet de bave coula de sa langue sur le nez d’Oron. Il grimaça et sursauta tandis que ses yeux rencontrèrent ceux de l’hybride. L’ambre de ses iris lui rappelait les flammes d’un bûcher auquel il avait failli être condamné quelques années auparavant. Cruel et mortel. Elle n’avait qu’un mouvement à faire et s’en serait fini de lui.

La langue de l’Agkar caressa la courbe de sa mâchoire. Longue et bifide, elle puait la mort. De la salive dégoulinait toujours de sa gueule mouillant le manteau du chasseur. Ses griffes –aussi noires que le plus sombre des nuages précédant l’orage- transpercèrent la chair de ses épaules. Pourtant seule une infime partie disparaissait sous sa peau. Un cri lui échappa. Elles glissèrent sur son bras. La créature se baissa pour renifler avant de chuchoter d’une voix rauque, inhumaine, rendue presque inaudible par des grognements gutturaux :

–Sang… Poison.

Elle ouvrit la gueule pour la referme sur la gorge d’Oron. Sa langue gouta les perles de sang qui roulèrent dans sa bouche. Le frémissement des feuilles sur le sol la surprit ; aucun vent ne soufflait. Du coin de l’œil, elle vit une forme dans les bois, trop éloignée pour qu’il l’aperçoive. De mauvaise grâce, elle s’éloigna du chasseur après un dernier coup de dents dans sa chair. Aussi discrète qu’une ombre, elle s’éclipsa laissant le chasseur plus vivant que mort.

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