Chapitre 14 - Maleïka

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–Vos paroles son insensées.

Le conseil de guerre débutait il y a deux heures. Deux heures inutiles, perdues où seules des tensions apparaissaient. Chacun des seigneurs assis autour de la table allait de son point de vue sans qu’une solution unanime n’émerge de leur brouhaha. Pour une fois les trois sœurs étaient réunies.

Maleïka leva les yeux vers sa sœur. D’un hochement de tête, elle confirma ses soupçons. Chrysentia et Freya entourait la régente. Curieusement, Cilanna optait pour la chaise voisine de sa sœur ainée plutôt que celle de la sorcière. Leurs rapports se voulaient moins intimes. Sa sœur affrontait la situation mais Chrysentia baissait les yeux. Qu’avait-il bien pu se passer entre elles ?

–Je pense que le conte a raison, déclara le Marquis de Sard. A quoi sert-il d’attendre ? Il faut frapper et fort.

–Et avec quels hommes ? Toute mon armée est repartie sous vos ordres parce que vous manquiez d’hommes pour protéger les villes.

–Rappelez-les.

–C’est trop dangereux, intervint Freya. J’y ai moi aussi pensé. Nous ne savons rien de ce que Shagal prévoit de faire. Je rassemblerai mes hommes à la frontière et nous partirons avec une escouade et notre champion.

Le Marquis de Sard se rembrunit. Il refusait de laisser germer les plans du roi ennemi. C’est ce qu’il répéta.

–Nous ne savons rien de ces plans, reprit Maleïka. Ni même s’il en a.

–Vous croyez réellement qu’il va attendre votre arrivée la fleur au fusil ?

–Non, répondit Freya. C’est pour ça que j’ai envoyé mon meilleur guerrier les espionner. Il n’est pas encore rentré.

Le Duc de Sergni se pencha en avant et accorda un signe de tête au Marquis.

–Mes Reines, vous savez toutes à quel point je rechigne la violence. Mais pour une fois, je pense qu’elle pourrait nous être utile. Vous manquez d’hommes ? Reprenez vos gardes. Pensez aussi aux chasseurs, ceux qui savent se battre, les voyous des rues. Formez-les.

–Non, fit Maleïka. Je ne prendrai pas de décisions tant que mon espion n’est pas de retour. Lui seul pourra m’éclairer sur la situation.

–Et s’il ne rentre pas ?

–Il rentrera.

La grimace du Marquis le rendait menaçant. Avec ses épaules droites et son poing serré sur la table, il ralliait beaucoup d’hommes à sa cause. A tel point qu’il inversait presque les rôles de force. Les ordres des jeunes femmes étaient souvent contestés.

–Que pensez-vous qu’il y ait de l’autre côté de la frontière ?

–Personne justement. A deux mois du duel, il n’y a personne.

–Avez-vous déjà mené des armées, Marquis de Sard ? Intervint Freya. Avez-vous déjà mené des hommes à la mort pour une raison stupide ? Moi oui. Et je refuse de recommencer.

–Je prendrai le commandement si vous refusez de nous guider.

Maleïka regarda sa sœur.

–Le problème n’est pas la personne en tête des troupes.

–Vous préféreriez foncer dans la gueule du loup. Il nous attaquerons sans hésiter. Ce duel n’est qu’un prétexte.

–Je ne pense pas, dit la Régente.

Mais elle ne pouvait l’affirmer. Elle connaissait les plans de son ennemi bien qu’elle ne pouvait leur dévoiler ses sources.

–Vous n’en n’êtes pas sûre.

–Vous non plus.

Ce conseil ne servait à rien. Chacun restait campé sur ses positions et refusait de céder le moindre le moindre brin d’herbe dans cette bataille. Cilanna observait ses doigts cachés sous la table. Chrysentia avait l’utilité d’une tombe. Seule Freya s’obstinait. En réalité, les deux désiraient la même chose mais chacun employaient des manières différentes. La Reine recommandait la patience là où le duc réclamait le sang. La guerrière donna un léger coup de pied à sa sœur. Maleïka jubila. Joue tant que tu le peux encore, grande sœur. Dans peu de temps, je supprimerai tous les trônes inutiles de ce pays. Pour le moment, elle se contentait de jouer le jeu auquel Freya voulait qu’elle participe. Elle se leva et imposa le silence.

–J’ai pris ma décision. Nous attendrons.

–Sottises. Vous nous condamnez tous.

–Un peu de tenu, s’il-vous-plait, Marquis de Sard. Je suis la Reine, mon ordre fait loi.

Les poings de l’homme se crispèrent.

–De la tenue alors que vous condamnez votre peuple à la mort ? Nous avons des familles, des enfants qui veulent vivre.

–Et ils vivront si vous suivez mes ordres.

Sa main se leva mais resta figée avant de retomber bruyamment sur la table, signe de son exaspération muette.

–Vous avez tort, ma Reine.

–Seul l’avenir vous le confirmera, compte de Rondall.

L’intention première de Maleïka était de couper court à cette conversation des plus déplaisantes.

–Des mots qui n’ont aucun sens. Tout comme vos ordres.

La régente braqua sur un lui un regard dur et froid.

–Sachez restez à votre place.

–Ma place ? S’énerva-t-il. Ma place est dans mes terres auprès de ma femme. Je suis venu à Valgur Raal parce que vous aviez convoqué un conseil de guerre. Nous pensions tous que vous établiriez un plan d’attaque contre Shagal. Au lieu de ça, nous restons le cul collé à notre chaise à écouter des femmes parler.

-Des femmes ? Oui, nous sommes des femmes qui commandent et vu la misère de laquelle nous avons tiré la Reigaa par le passé, heureusement que nous sommes des femmes. Je vous excuse pour cette fois. Quant au plan d’attaque, nous en avons un. Freya se charge de le former. Le champion fait des progrès remarquable ; de jour en jour sa force croît, sa stratégie guerrière s’aiguise.

Le compte refusait d’en rester là. Derrière ses yeux, Maleïka vit le feu qui embrasait son âme entière. Il se leva, tapa son poing sur la table.

–Sottes. Vos actions prouvent que les femmes ne sont que des faibles, des putains sans cervelle. Vous menez la Reigaa à sa perte en restant cloitrée derrière les murs de votre château. La fuite n’est pas une option. C’est ça que vous voulez comme dirigeant, nobles seigneurs ? C’est ça que vous voulez comme Roi ? (Son attention se reporta sur ses compères suspendus à ses lèvres) Des bonnes femmes qui se croient des hommes parce qu’elles portent un pantalon et des couronnes ?

Le silence suivit son interrogation. Les hommes se consultèrent du regard mais n’osaient parler. Quelques-uns regardèrent Freya. Un couteau était mystérieusement apparu entre ses doigts.

–Avez-vous terminé ? Lança Cilanna.

Le regard rivé sur l’homme, Maleïka tendit la main.

–Le poignard.

Personne ne devait rester impuni après un tel crime. Insulter les Reines dans leur demeure, rallier les autres vassaux à sa cause sous leurs nez. Elle devait supprimer ce danger et s’assurer de la loyauté de ses sujets.

–Continuez, Compte. Je vous en prie.

Maleïka repoussa sa chaise et contourna la table. Son regard mauvais, ses traits tirés la rendaient terrifiante.

–Je vous ordonne de parler !

Son cri résonna dans la pièce, rebondit sur les murs, les vitraux et les armures. Elle le gifla avant d’agripper son menton.

–Parlez.

Sa voix n’était plus qu’un murmure mais tous l’entendirent. Plus effrayant encore que son hurlement, il promettait à cet homme une mort brutale dans un futur proche.

–Je… Les mots ont dépassé ma pensée.

Un sourire hideux étira les lèvres de la Reine.

–Non. C’est exactement ce que vous vouliez dire. Si vous étiez chevalier, vous n’auriez plus eu suffisamment de temps pour réitérer vos paroles mensongères. Mais je ne suis pas ma sœur. Je ne vais pas vous tuer tout de suite. Je veux que vous soyez un exemple. Vous serez pendu dans quelques semaines.

L’accusé blêmit. Maleïka enfonça le couteau dans son ventre. Elle fut étonnée de la facilité avec lequel il perçait la chair. Elle n’entendit même pas le son de sa voix lorsqu’il cria à son tour. Maleïka focalisa son attention sur le sang qui s’écoulait de la plaie pour imbiber son habit de rouge. D’un geste, elle retira le poignard. La lame blanche était maculée du liquide poisseux et des gouttes tombèrent avant de s’accrocher à la robe de la jeune femme.

–Cautérisez la plaie, ordonna-t-elle. Et qu’on l’enferme au cachot.

Freya lui lança un tissu pour essuyer le couteau.

–La séance est levée.

**

Dans leurs appartements privés, Cilanna et Freya se confinaient. La première traçait des cartes tandis que la guerrière s’entraînait au tir à l’arc avec le pantin. Il oscillait à chacune des flèches qu’elle décochait. Maleïka se laissa tomber sur un sofa. Des coussins amortirent sa chute. Seule Freya conservait ses vêtements de journée : bottes et baudrier de cuir. Sa tenue était dépourvue de corset. Seul un bandage retenait ses seins. Pendant les premières minutes, seuls les bruits sourds de l’impact de la flèche dans la paille troublèrent le silence.

–Drôle de journée, commenta Maleïka.

–Ca devient de pire en pire, confirma Cilanna. Ils remettent notre place en doute juste parce que nous sommes des femmes.

–Les accusations qui courent derrière notre dos ne me dérangent pas. Nous insulter publiquement… Il a franchi une frontière.

–Si encore ce n’était que lui, rétorqua Freya. Tous se mettent à croire que nous sommes des incapables.

–Juste parce qu’ils ont des couilles et nous des seins.

Maleïka sourit.

–Au début, j’ai même pensé les lui couper. Un eunuque à la cour comme à l’ancien temps.

Freya rit.

–Au moins s’il ne se reproduit plus, il ne pourra plus transmettre sa connerie, plaisanta-t-elle.

–De toute manière, il n’engendrera plus. J’ai prévu de le pendre.

–J’espère seulement que le message passera bien.

Elle n’en doutait pas même si elle devait le formuler à voix haute afin que ses sœurs ne soupçonnent pas une altération de sa personnalité mais plutôt un acte de bravoure.

La guerrière acquiesça avant de décocher une flèche. La corde crissa lorsqu’elle tendit l’arc.

–Je veux qu’il soit un exemple pour le reste des seigneurs. Voilà ce qui les attend s’ils ont des propos déplacés. J’espère que tu ne m’en voudras pas, Cilanna, de vous priver de votre jouet.

Sa sœur ne fit pas mine d’entendre et continua à tracer des symboles.

–Cilanna ? Répéta Maleïka.

Enfin, elle releva les yeux.

–Pardon ?

–J’ai dit que je comptais tuer cet homme. Vous devrez encore attendre Chrysentia et toi avant de trouver une nouvelle victime.

Le regard de Cilanna se voila comme à l’annonce d’une mauvaise nouvelle.

–J’ai décidé de prendre mes distances avec Chrysentia. Enfin, de rester seule quelques temps.

Maleïka haussa les sourcils. Freya enlaça le cou de son pantin et porta son poids sur une jambe.

–Une dispute ?

–Pas vraiment. Une divergence d’opinions.

–C’est temporaire ?

–Je n’en sais rien. J’aimerai répondre que oui parce que je l’aime réellement mais…

–Mais ?

Cilanna se massa les tempes comme prise par de soudains maux de tête.

–Elle m’a caché beaucoup de choses. Pour me protéger qu’elle disait. Un ou deux j’aurais accepté mais c’est toute notre naissance qu’elle tenait pour secret.

–Notre naissance ?

Cilanna soupira et ses bras retombèrent sur la table. Elle paraissait lasse, usée.

–Que savez-vous exactement ?

Freya et Maleïka se consultèrent du regard.

–Les éléments importants ; que notre mère est une Agkar, que nous avons hérité de sa malédiction.

–Non. Peu de choses sont vraies.

Elle leur déballa tout ce qu’elle savait. L’origine de leur mère, la malédiction de Daxar, sa pause avec Chrysentia. Un silence suivit son annonce.

–Notre mère était une louve ? J’ignorais que notre père avait des tendances zoophiles.

–Ca n’a rien de drôle.

La plus bouleversée par cette annonce était sans conteste leur sœur.

–Nous n’aurions jamais dû naitre.

–Que nous sommes légitimes ou non, maintenant nous sommes là. Alors autant en profiter.

–Je suis plutôt de l’avis de Freya, renchérit Maleïka.

Elle lui sourit. Ne t’y habitue pas.

–Qu’est-ce que tu dessines ?

–Une carte avec les pièges. J’ai eu une idée la nuit dernière. Avant de vous en parler, je voulais vois si c’était réalisable.

–Alors ?

–C’est dangereux mais on peut s’en sortir.

Toutes deux s’approchèrent de la table.

–Chaque case représente un piège. J’ai étudié l’endroit pour qu’ils soient cachés et que nous puissions facilement les repérer.

Maleïka hocha la tête. Les lieux tromperaient les villageois mais les Agkars les éviteraient sans difficulté.

–En quoi consistent les pièges ? Demande Freya.

–On demande aux paysans de creuser un trou dans le sol. Ils plantent des piques au fond et recouvrent le tout d’un filet et de feuilles.

–Comment est-ce qu’on le reconnaitra ?

–L’odeur humaine.

Les trois sœurs pouvaient le sentir sous leur forme normale. Celui des Agkars se développaient nettement lors de leur transformation.

–Est-ce qu’on pourra les différencier d’un vrai humain ?

–Je pense. Ce sera un mélange de bourbes, de feuilles et d’hommes. Assez reconnaissable.

–Tu penses où tu en es sûre ?

Cilanna fronça les sourcils mais ne répondit pas.

–Tu places nos vies sur des hypothèses ?

–Tu as mieux à proposer ?

–Pas pour l’instant.

–Alors il faudra s’en contentera.

**

–Quand veux-tu que je reparte ? Demanda Cilanna à sa sœur.

–J’ai quelques réserves à t’y envoyer. J’ai passé plus de la moitié de la nuit à m’interroger si les festivités à l’EST auront lieu. Tu aurais dû séjourner chez le duc de Guilzir. C’est un ami du compte de Rondall mais j’ignore où il se place dans cette guerre silencieuse.

Silencieuse car seules les paroles s’utilisaient, les épées restaient dans leurs fourreaux. Ces guerres étaient la conséquence directe de plusieurs pensées pour gouverner un pays.

–Je ne sais pas. Ce départ me parait prématuré mais je n’ai aucune envie que le peuple se sente en danger si tu ne te déplaces pas. Ils nous en veulent déjà car nous ne capturons pas les Agkars.

Sans tous ces seigneurs, la salle du conseil paraissait deux fois plus grade. Les rois de jadis désiraient que cette pièce représente la neutralité. Peinte en gris, elle dégageait une atmosphère oppressante accentuée par le brouillard qui se pressait contre les vitres. L’unique touche de couleur fut le rouge de sa robe.

–Qu’est-ce que tu en penses ?

–Je dois y aller, répondit-elle du tac au tac.

Soudain, la porte s’ouvrit. Le grincement résonna dans la pièce. Freya apparut suivi d’Aggo Il avait franchi la plaine qui entourait le château ce matin. Les Reines lui avaient offert un repas chaud avant qu’il ne fasse son compte-rendu.

Ses traits tirés révélaient la fatigue qui l’avait poursuivi durant son voyage mais ses yeux brillaient.

–Raconte-nous ce que tu as vu, Aggo.

–Rien, justement. Je suis allée jusqu’à l’endroit où devrait se dérouler le duel mais je n’ai rien vu. Il n’y avait pas d’armées, pas d’escouades. Rien.

Freya fronça les sourcils avant d’effectuer quelques pas.

–Je pensais vraiment qu’il avait posté ses gardes. Cette absence ne le rend que plus dangereux, il faudra redoubler de vigilance.

Maleïka acquiesça et remercia Aggo qui s’inclina avant de disparaitre.

–Ca ne me plait pas. Que mijote-t-il ?

La régente s’arc-bouta sur la carte.

–Nous le saurons bien assez tôt. Je vais entraîner notre champion.

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