Chapitre 12- Freya

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La transformation la laissait toujours un peu pantelante. Si la douleur ne martelait plus son crâne, sa respiration devenait saccadée. Sa poitrine se soulevait et s’abaissait à un rythme rapide. Freya cherchait de l’oxygène pour alimenter ses poumons. Son cœur jouait des castagnettes dans sa cage thoracique. Affalée sur le dos, son champ de vision s’étendait au plafond de la grotte. Quelques racines rigides perçaient la voûte nocturne. A chacune de ses mouvements, les grains de sable grattaient la peau de son dos. Le vent glacial de l’hiver caressa son corps nu. Elle frissonna. Mue par un réflexe, sa main se tendit pour attraper une couverture mais ses doigts se refermèrent sur le vide. A sa peau froide, elle devinait que plusieurs heures s’étaient écoulées.

–Cilanna ? Maleïka ?

Le rauque de sa voix la surprit. Sa langue glissa sur ses petites dents à l’extrémité plate.

–Je suis là.

–Moi aussi.

Freya se redressa avec difficulté. De nombreuses raideurs tiraient dans son bas ventre. Ses sœurs reposaient sur le ventre, nues elles aussi.

–Où sont les vêtements ?

–On n’a pas eu le temps de les planquer, répondit Cilanna.

Elle se redressa. L’effort lui arracha une grimace.

–On est censé rentrer à poil ? Tu parles d’un comportement royal…

–Arrête de râler, Maleïka. Je viens à la rescousse.

Chrysentia se plaça au centre de la grotte avec des robes et des manteaux de fourrures.

–Depuis combien de temps es-tu là ? Demanda Cilanna avec un doux sourire.

Le regard de Chrysentia erra sur son corps mais sa sœur l’ignora. Freya fronça les sourcils. Le coup d’œil de la sorcière lui paraissait déplacé. La guerrière se couvrit et referma ses bras sur sa poitrine pour éviter le même sort.

–Une vingtaine de minutes. La transformation a duré une heure et demie.

Cette fois, la magicienne capta son regard. Ce constat s’adressait uniquement à elle. La puissance de la louve qui sommeillait en son sein s’accroissait avec les mois passant et refusait que Freya reprenne le contrôle de son corps. Malgré tout son cœur s’allégeait ; l’état de bien-être dans la lequel la jeune femme se trouvait en témoignait. La Reine haussa les épaules, scruta les alentours. Hormis les feuilles, rien ne bougeait.

–Vous devez regagner le château rapidement, les avertit Chrysentia qui pivotait déjà sur ses talons. Le sortilège prendra fin dans une demi-heure.

Elle n’osait révéler ce qui se passerait si par mégarde les trois Reines restaient aux abonnés absents alors que le château se réveillerait. Les conséquences seront bien trop lourdes à assumer. Les sœurs se consultèrent du regard. Maleïka s’engagea la première sur l’étroit sentier.

–Faîtes attention aux ronces, leur cria-t-elle.

Cilanna la suivit, silencieuse. Les muscles de son visage se crispaient. Freya étira ses jambes avant de les rejoindre. Les courbatures rendaient ses mouvements moins souples, plus brouillons. Plusieurs branches craquèrent lorsqu’elle marcha dessus. Seule la sorcière l’attendait.

–Tout s’est bien passé durant notre absence ?

–Je n’ai rien à signaler.

Le froncement des sourcils de Chrysentia contrastait avec ses paroles. Parmi tous les défauts que Freya avaient, la simplicité d’esprit n’en faisaient pas parti.

–Depuis combien de temps sommes-nous amies ? S’enquit la Reine en la dévisageant du coin de l’œil.

–Quelques années, je dirais. Pourquoi cette question ?

–Il y a quelque chose que tu ne me dis pas.

Cette fois Chrysentia l’observa. Ni la colère ni la joie ne se lisaient sur ses traits. Avec un examen plus approfondi, Freya nota que le visage de Chrysentia exprimait une neutralité inébranlable.

–J’ai vu comment tu regardais ma sœur. Y a-t-il quelque chose de grave ? Est-elle malade ?

Un sourire étira les lèvres de la sorcière. Elle parut soulagée.

–Freya… Je suis étonnée que tu n’aies encore rien vu. Ta sœur et moi sommes ensemble.

–Ensemble ? Comme…

–Comme deux personnes qui s’aiment, oui.

Freya accusa le coup. Elle ne s’était jamais aperçu qu’un lien plus fort unissait sa sœur et sa meilleure amie. Son regard oscilla entre les deux femmes.

–Depuis combien de temps ?

–Huit ou neuf ans peut-être.

Les yeux de la Reine s’agrandirent. Avait-elle été aveugle ou absente ?

–Maleïka est au courant ?

–Depuis le mois dernier, confirma Chrysentia.

–Pourquoi ne nous avoir rien dit avant ?

–Aurais-tu envie d’être le sujet de tous les ragots du royaume ? Je sais que ni Maleïka ni toi ne voient cette relation comme un problème mais bon nombre de personnes risquent de s’insurger en apprenant que leur Reine préférée aime les femmes.

Freya acquiesça mais ne parvenait pas à se faire à l’idée. Les relations entre personnes de même sexe ne la dérangeaient pas. Elle s’en voulait surtout de n’avoir rien remarqué avant cette journée.

–Veille sur ma sœur. Rends-la heureuse, c’est tout ce que je te demande.

Chrysentia sourit et pressa ses doigts autour de poignet de la guerrière.

–Tu as ma parole.

**

Le ciel revêtait son manteau de feu lorsque Freya sortit des mannequins pour les placer à un mètre de distance dans la carrière. Leur champion devait apprendre à donner des coups mortels. La superficialité de ses attaques restait son problème majeur.

–Ce n’est pas avec quelques petites blessures à droite à gauche que tu arriveras à prendre le dessus. Eventre-les.

Tiyliu avisa les hommes de paille. Des sacs rembourrés constituaient les membres et la tête et des lacets fermement serrés indiquaient les articulations. Des cotes de maille protégeaient les bustes. Le jeune homme troqua ses hachettes contre un poignard. Longue et effilée, la lame percerait le baudrier. Le bras du champion s’élança pour terminer sa course dans la poitrine de sa victime. Une résistance empêcha la lame de pénétrer totalement le corps.

–Ton épaule agit comme levier.

Tiyliu contracta les muscles de son omoplate et son bras se propulsa contre le manche du couteau qui s’enfonça dans le mannequin.

–Tu dois encore gagner en force. Eventre-le maintenant.

Le couteau glissa le long du torse pour révéler les entrailles en paille.

–Bien. Vise le cœur maintenant.

Tiyliu s’exécuta et un nouveau coup perfora la poitrine.

–Taillade les jambes.

A chacune de ses attaques, le jeune homme conservait sa vitesse de frappe. AU bout d’une dizaine de minutes, le mannequin ne se résumait plus qu’à un amas de brins durs.

–Au suivant.

Pour les quatre premiers pantins, les coups portés restaient encore hésitants et démembrer cet adversaire demandait un travail acharné de plusieurs minutes. Le dernier fut réduit en charpie. Freya hocha la tête, satisfaite.

–J’aimerai voir comment tu réagis face à un adversaire vivant. Je vais chercher Zorak, nettoie-moi ça.

Elle désigna le fond de la carrière où se trouvaient les dix poteaux. De nombreux amas de pailles gisaient çà et là.

–Demande aux palefreniers une fourche et une brouette.

Tiyliu rebroussa chemin, les yeux brillants. Affronter Zorak devait être un honneur pour lui. Guerrier de la garde rapproché de Maleïka, il entraînait également les futurs chevaliers de sa sœur. Aussi loyal qu’Aggo, Zorak était leur deuxième homme de confiance.

Freya le trouva dans l’armurerie à réaliser l’inventaire des lames émoussées et ébréchées. Il tenait entre ses mains, rendues calleuses par le maniement des armes, une lance. Il examinait la pointe et de la pulpe de son pouce caressa les bords tranchants. D’un geste habile, il la lança à travers la pièce. La lance se ficha dans le mannequin, pile à l’endroit où se trouvait le cœur.

La jeune femme se racla la gorge pour annoncer son arrivée.

–Ma Reine, dit-il sans lui accorder une œillade.

Zorak ne s’agenouillait plus devant elle. Quelques nuits passées à découvrir l’intimité de sa souveraine lui ôtaient ce devoir.

–Beaucoup d’armes sont à changer ?

–Un peu moins de la moitié.

Zorak ne l’aimait pas. Il convoitait secrètement Maleïka mais sa sœur ne s’intéressait pas à l’amour. Mieux valait coucher avec une pâle copie de la femme qu’il aimait plutôt que passer la nuit à ruminer son chagrin. De son côté, Freya venait d’atteindre ses dix-huit ans et rêvait d’offrir sa virginité. Ils continuèrent leur relation basée exclusivement sur le sexe trois mois durant avant qu’elle ne parte en guerre. Ils décidèrent d’un commun accord de cesser de se voir. Freya baisait de temps à autre des hommes mais de ces nuits, elles ne conservaient comme souvenir que le désir charnel. Jamais l’amour.

–Je veux que tu combattes Tiyliu. J’aimerai constater l’évolution de ses progrès.

Seulement sept années d’écart séparaient les deux jeunes gens mais avec la fatigue qui creusait ses cernes, Zorak paressait plus vieux encore. Plus proche de la quarantaine que de la trentaine.

–Tout de suite ?

–Oui. Tu continueras l’inventaire après.

Le jeune homme soupira mais rangea la lance. Il replia le morceau de papier qu’il glissa dans son pantalon. Lorsqu’il releva sa chemise de toile, Freya constata que Zorak était toujours aussi musclé. De nombreuses nuits durant, elle avait caressé son torse alors qu’il la prenait. Elle se demandait s’il imaginait coucher avec sa sœur et si ses gémissements lui étaient destinés.

–Prends un bouclier et une épée.

–Il a toujours ses hachettes ?

–Oui.

Maintenant, elle comprenait pourquoi il ne la désirait pas. Ils s’entrainaient souvent ensemble. Zorak la considéraient comme une camarade, une amie, un homme dans un corps de femme. Maleïka possédait l’anatomie et l’esprit de la gent féminine, elle tenait le pouvoir entre ses mains. Aux yeux du peuple du moins. Ses sœurs suscitaient l’intérêt et le désir pour les plus téméraires. Pour d’autres, elles répondaient au nom d’usurpatrices.

Zorak la dépassa. Elle le suivit, le regard fixé sur les va-et-vient de sa queue de cheval. Rasé sur les côtés, il conservait une épaisse crinière noire au sommet de son crâne.

–J’ai vu cet homme te tourner autour.

–Tu te préoccupes de mes conquêtes maintenant ? Lui lança-t-elle malicieusement.

Zorak cessa un instant de marcher. Sa tête pivota de sorte à ce qu’il puisse la voir du coin de l’œil.

–Il n’est pas une de tes conquêtes. Il est dangereux mais je ne sais pas jusqu’à quel point.

Freya ne le savait que trop bien. Une fois que ses patrouilleurs seront de retour, il partirait avec eux et jamais elle ne le reverrait. Elle espérait le baiser avant son départ. Cul et sexe la motivait, pourtant en-dessous de ces sensations primaires elle discernait quelque chose d’autre, un sentiment plus complexe qui l’attirait vers Oron.

–Comment pourrait-il être dangereux ? Un mot et sa tête quitte ses épaules.

Zorak haussa les épaules et repartit vers la carrière.

–Je suppose.

Freya enjamba la clôture et entortilla ses chevilles autour de la planche de bois. Les poteaux où les mannequins de paille étaient accrochés disparaissaient. Tiyliu ressortait de la grange, il retroussa ses manches sur ses avant-bras. Ses hachettes pendaient à son pantalon de toile et oscillaient à chacun de ses mouvements. Les rayons du soleil ricochaient sur les lames. Le jeune homme escalada la clôture pour atterrir à pieds joints sur le sable. Sa silhouette fine et élancée contrastait avec la musculature de Zorak. Des yeux non avertis pourraient miser sur Zorak rien qu’en observant son corps.

–Je n’ai pas le droit à un bouclier ?

–Non.

Sans moyen de défense, le garçon se verrait obliger de choisir une technique d’approche et d’évaluer ses chances de réussite selon des angles d’attaque.

–Mets au moins ça, lui dit Zorak en lui tendant une côte de maille.

Cette dernière scintillait dans la pâle lumière de la fin d’après-midi. Tiyliu l’enfila et dénoua les lacets qui retenaient ses hachettes. Les deux hommes se positionnèrent face à face. Le guerrier expérimenté cachait son torse et son visage derrière son bouclier. Sa lance reposait sur le bord de l’arme. Un rapide coup d’œil permis à Freya de constater qu’une épée reposait sur sa cuisse. Zorak attaqua le premier. Aussi vif qu’un serpent la lance jaillit pour frapper Tiyliu au ventre. Le garçon pivota sur ses talons mais ses chausses se prirent dans le sable et ralentirent sa course. Il ne put éviter la pointe acérée qui effleura sa côte de maille dans un cliquetis. Zorak reprit sa position, les jambes légèrement fléchies. La mâchoire serrée, Tiyliu l’attendait. Il s’abaissa de manière à ce que la pointe danse au-dessus de sa tête. Sa hachette se fracassa contre le bâton. Le bout de métal retomba à ses pieds tandis qu’il se redressa avec un sourire vainqueur. Zorak profita de cette occasion pour lui administrer un coup de bouclier. Seule sa rapidité sauva le garçon d’un œil au beurre noir. L’entraîneur tira son épée et visa le ventre. Déjà aux prises avec le bouclier, Tiyliu attrapa les bords, le porta au-dessus de sa tête et tourna tel un danseur entrainant le bras de Zorak dans son étrange valse. Le guerrier ne cria pas mais la grimace qui tirait son visage révélait la douleur qu’il cachait. Il dût lâcher les courroies du bouclier, sans quoi Tiyliu serait vainqueur. Zorak feinta, mima une approche désespérée de front avant d’esquiver et d’envoyer son genou dans le bouclier qui rebondit contre la figure du garçon. Désorienté, il fit l’erreur d’exposer son flanc gauche. Zorak en profita pour le faucher et retirer ses hachettes. Le futur champion gisait à terre, vaincu, l’épée de son adversaire pointé sur sa gorge.

–Très joli le coup du bouclier. Tu aurais pu me déboiter l’épaule si je n’avais pas lâché à temps.

–C’était l’idée.

–Où as-tu appris cette technique ? Intervint Freya.

–Dans la rue.

Un sourire fendit son visage.

–C’était un beau duel. La prochaine fois, n’oublie pas de protéger tous tes points vulnérables de ton corps. Je pense qu’au bout de trois mois, tu peux être prêt.

Un mois de passé déjà. La Reine divisait les journées d’apprentissage en deux. Les exercices d’entraînement musculaire, de souplesse se déroulaient le matin. Freya réservait l’Après-midi pour les combats et le maniement des armes.

–J’espère que tu n’auras pas trop de lances à enlever de ton inventaire, Zorak. Positionnez-vous.

La Reine claqua ses mains et le combat reprit.

–C’est costaud.

Tiyliu fronçait les sourcils lorsqu’il reposa son verre.

–Tu n’as jamais bu de bière ?

–Pas aussi concentrée.

Freya but son gobelet cul-sec.

–Qu’est-ce qu’ils te servent comme pisse dans ton village ? Hé, serveur ! Fais m’en une autre.

La jeune femme était une habituée de l’auberge. Elle se saoulait, cherchait de la compagnie. Beaucoup de regards mauvais persistaient même si la Reine les ignorait la plupart du temps. De nombreux hommes n’admettaient pas que de vulgaires souillons les dirigent, ni elles ni d’autres femmes.

Dans la Reigaa, le nombre d’alliées excédaient de peu celui des ennemis. Plus d’une fois, le couteau trouvait le chemin vers sa gorge. Ce pauvres idiots ne tardaient pas rejoindre ses prédécesseurs quelques pieds sous terre.

–Je n’en n’ai jamais bu, avoua Tiyliu.

–Heureusement que je t’ai choisi. Tout le monde devrait goûter de la bière. Et la meilleure bière de Naarhôlia se trouve justement ici, à Valgur Raal.

Le gamin l’impressionnait, ses progrès étaient remarquables. Très vite, il trouvait comment allier les conseils de sa Reine et ses prouesses de sa vie d’avant. S’ils disposaient de plus de temps, Freya aurait été fière de le compter parmi ses guerriers.

–Je pense recruter mes futurs chevaliers avec des tournois dès l’automne prochain, révéla la jeune femme. J’espère dégoter de nouveaux talents.

Seuls les fils de seigneurs, de nobles et d’artisans qui gagnaient correctement leur pitance se formaient à l’art de la guerre. Le coût versé à la couronne ne convenait pas aux mendiants et aux voleurs. Si beaucoup choisissaient de rester – car mourir pour ses Reines et son pays est un honneur- leur nombre ne suffisait pas pour former l’armée que Freya désirait mener. Elle rêvait d’une mer d’homme qui engloutissait autant montagnes et plaines que chevaliers ennemis.

–Ce serait une nouvelle formidable.

Freya acquiesça avant de boire une gorgée de son breuvage. La fraicheur du liquide anesthésia sa gorge en feu.

–As-tu une femme ?

Tiylui grimaça, signe qu’elle heurtait un point sensible.

–Pas encore. C’est pour cette raison que j’ai besoin de la récompense.

–Une fille aisée, je suppose.

–En quelque sorte.

Il but une gorgée et reposa brutalement le verre. Pour se donner du courage présuma Freya.

–J’ai deux sœurs trop jeunes pour travailler et une mère trop vieille. Je suis le seul qui peut ramener de l’argent mais mon salaire ne suffit pas à nourrir quatre personnes. Alors je volais. Et puis, il y a eu cette annonce. Si je gagner ce combat, je pourrai trouver une maison où nous pourrions vivre et je serai assez fortuné pour l’épouser.

Freya comprenait sa peine, les difficultés qu’imposait la vie. Ses sœurs refusaient d’ouvrir les yeux sur les cruautés du peuple. La Reine assimilait facilement le mot famine et la sensation du ventre creux à ses jeunes années. Vivre comme un guerrier, chercher sa nourriture, dérober de l’argent, elle connaissait intimement tous ces mécanismes que la survie exigeait. Jamais pourtant, Freya n’en voulait aux nobles aux nombreux privilèges. Eux aussi survivaient. Un mauvais pas et leur fortune s’évanouissait comme neige au soleil.

–Si tu gagnes ce duel, peut-être pourrai-je convaincre mes sœurs d’augmenter la récompense.

Le gamin resta muet de surprise. Sa sœur appelait cet acte un investissement. Freya y voyait plutôt un acte de charité.

–Je t’offre la tournée ce soir. Commande ce que tu veux. Bois, mange, baise, peu m’importe mais sois prêt à l’aube.

Quelques pièces roulèrent sur la table et la jeune femme prit congé de son protégé. Elle s’enfonça dans la foule lorsqu’elle reconnut Oron avec une jolie blonde sur les genoux et une brune qui tripotait sa queue, la main dans son pantalon.

–J’ai le droit à vos services, moi aussi ?

La main de la pute s’immobilisa lorsqu’elle reconnut sa Reine. Le chasseur lui offrit un sourire de loup mais ses doigts caressaient toujours le creux des reins de la putain.

–Je vous ai posé une question.

Une lueur mauvaise dans son regard contrastait avec son ton doucereux. La brune attrapa sa comparse par le poignet pour l’attirer à l’écart.

–Relace ton pantalon, chasseur.

Elle ne tenait pas à ce que sa vue la distraie. Il s’exécuta, toujours avec un sourire en coin. Ces filles donnaient leur corps pour de l’argent sans le moindre sentiment pour leur proie pourtant une colère fugace l’envahit lorsqu’elle vit la brune chez un autre homme. Si elle s’écoutait, la pute ne reverrait plus jamais sa main.

–C’est donc à ça que te sert la paie que les couronnes te versent. De l’alcool et des putes.

–Un paradis pour certains, Ma Dame. J’espère qu’après ma mort, je pourrais encore trouver le confort dans un bar à putains.

Il s’approcha de Freya, les coudes sur les genoux.

–J’ai l’impression que ces filles vous dérangeaient.

Il cherchait à la pousser dans ces retranchements. De nombreux hommes testaient leur pouvoir de séduction lorsqu’elle n’était qu’une adolescente, unique femme dans un camp d’hommes.

–Je n’ai jamais eu de désir pour les femmes. J’aurai l’impression de me baiser moi-même.

–Vous n’y avez jamais songé ?

-–l y a toujours eu assez d’hommes sans que je n’aie besoin de m’auto-satisfaire.

–Le gamin là-bas, c’est votre champion ?

Tiyliu conversait avec une femme. La pute posait la main sur son bras pour tenter de lui voler les quelques sous que Freya lui laissait. Elle tentait de l’attirer à l’étage d’où des hurlements et des gémissements de plaisir se faisaient entendre.

–Oui c’est lui.

–Il n’a pas l’air âgé.

–Dix-neuf ans mais redoutable. Il pourra nous sauver. C’est option qui reste envisageable.

L’annonce d’un futur duel ébranlait la Reigaa et de nombreux commérages courraient. Le regard d’Oron s’assombrit mais son sourire s’agrandit, effaçant pas la même occasion le peu de charme qu’il lui restait. Sa figure semblait défigurée.

–A quoi vais-je passer ma soirée maintenant que vous avez fait fuir mes conquêtes ?

–Il y a assez de femmes ici.

–Avec mon physique, je ne risque pas de ferrer grand-chose. J’ai passé cinq bonnes minutes à convaincre ces jeunes demoiselles de tenter un plan à trois. Je leur ai promis qu’hormis mon visage, le reste de mon corps est plutôt beau, de mes tablettes de chocolat à mon âme en passant par ma queue, comme vous avez pu le constater.

La jeune femme ricana. Son gobelet trembla dans sa main.

–Comment êtes-vous arrivé à…

Elle désigna son visage.

–Beaucoup de fractures d’enfance qui n’ont pas guéris correctement. J’étais un peu turbulent quand j’étais gamin.

Freya but sa bière avant de reposer le gobelet sur la table.

–J’ai eu une longue journée et je me lève à l’aube demain. Je rentre au château. Venez avec moi.

Le ton indiquait qu’il ne s’agissait pas d’une question. Oron leva la tête et étira ses bras. Sa chemise se souleva de quelques centimètres et Freya constata que pour une fois, son argument tenait la route. Elle prévint Tiyliu de son départ en s’enfonça dans la nuit. L’air frais qu’il s’invitait dans ses poumons la réveillait.

–Où étiez-vous la semaine dernière ?

Freya fit appel à toute sa force pour ne pas s’immobiliser.

–La semaine dernière ? Répéta-t-elle comme une automate.

Leur transformation datait de plusieurs jours. Comment s’était-il douté de leur absence ?

–Oui, vous n’étiez pas là.

Elle ne devait en aucun cas céder à la panique. Le sort de Chrysentia se voulait suffisamment puissant, pourquoi n’agissait-il pas comme tel ?

–Nous avons dû partir en catastrophe.

–C’est curieux. Tout le monde semblait croire que vous étiez là. J’ai d’abord cru à une farce avant de me rendre à l’évidence. Vous, une Reine, qui me faites une cruelle plaisanterie à moi, pauvre chasseur. Ca n’avait pas de sens.

Elle ignorait la raison exacte pour laquelle le sortilège se révélait inefficace avec Oron. Une chose l’inquiétait, un pas de plus et il découvrirait la vérité sur les Agkars. Toute l’attirance qu’elle ressentait pour l’homme s’évanouit telle une flamme étouffée par un souffle glacial.

–Ces affaires ne vous concernent pas chasseur. Un conseil : sachez garder vos distances.

–Pourquoi tous les domestiques étaient-ils persuadés que vous étiez là ? Certains disaient même avoir eu un entretien avec vos sœurs.

Cette fois, elle pivota sur ses talons et d’un geste furtif, elle se retrouva à agripper les épaules d’Oron, un poignard pressé contre sa nuque.

–Ne m’oblige pas à me répéter. Ce sont les affaires de la couronne. N’oublie pas cet avertissement : au moindre de mes mots, je pourrai te faire mourir.

Les paroles de Zorak refirent surface dans son esprit. Il savait. Freya en était presque certaine à présent. Zorak soupçonnait-il aussi la double personnalité de ses Reines ? La lame glissa contre sa peau. Une ligne rouge apparut et quelques gouttes de sang roulèrent sur sa chair. Un court instant, le désir d’y poser sa poser sa bouche la tenaillait. La seconde d’après, l’Agkar disparut.

–Ne fouine plus. Sinon tu verras rapidement si le paradis est fait de putes.

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