Chapitre 35- Cilanna

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La Reine se détourna du feu qui brûlait le corps de Maleïka. Ses hurlements d’agonie lui déchireraient le cœur. Elle l’avait ordonné. Cilanna tuait sa sœur et était incapable de regarder son crime. Ses yeux s’humidifièrent. Ce voyage décidait de leur venir mais pas de leur mort, et encore moins par les moins des jumelles. Cilanna frotta ses paumes contre ses yeux. La fumée, se persuadait-elle tandis que Maleïka braillait son nom, la maudissait et l’injuriait. La jeune femme n’écoutait pas ce qu’elle racontait. Ses paroles, aussi venimeuses que le poison d’un mamba noir, les avaient ensorcelées. Maintenant que le charme se volatilisait, Maleïka se révélait aussi hideuse que les Harpies des Montagnes.

—J’ai tué Maleïka. J’ai tué notre sœur.

Elle ne s’adressait à personne en particulier. Légèrement redressé, Freya observait la scène d’un œil vide. Cilanna refusait de retourner mais elle imaginait sans mal la peau calcinée sur les os de Maleïka.

—Comment vas-tu ? J’ai mal.

C’était une voix sans émotions qui s’exprimait.

—Elle voulait me garder en vie.

—Je sais.

Les jambes de la jeune femme se dérobèrent ; elle tomba à genoux devant sa sœur. La souffrance pressait les larmes des couler et malgré quelques réticences, Cilanna abandonna la lutte. Les sanglots recouvrirent ses épaules de tremblements et la Reiguienne cacha son visage entre ses mains.

—Je m’efforce d’être forte mais je n’y arrive pas, renifla-t-il. Elle est morte. Morte. C’était l’unique chose à faire. Elle voulait me vendre, te torturer.

—Si tu… ne l’avais pas fait… je m’en serai… occupée.

—C’était notre sœur. Il y avait d’autres solutions que… ça. Si je la tue à mon tour je ne vaux pas mieux qu’elle.

—Tu as des remords, c’est ce qui te différencie de Maleïka, répondit Chrysentia. Ne pas tuer, c’est un luxe dont peur de gens peuvent se vanter. Tu as agi comme l’aurait fait la justice.

—Il y a différence entre tuer un meurtrier et sa sœur ! Protesta Cilanna.

—Nous n’aurons jamais été tranquille avec Maleïka vivante. Elle aurait pu charmer un garde, convaincre de sa bonne cause et t’égorger dans son sommeil.

—Cilanna jeta ses bras autour du cou de Freya.

—Elle est devenue folle. Comme avons-nous pu laisser faire une chose pareille ?

Chrysentia l’arracha de sa sœur.

—C’est toi la Reine le temps que Freya se remette. Brûle les cadavres, demande aux anciens et nouveaux Reigiiens de se rassembler ici. Explique-leur ce qui s’est passé et ce que tu comptes faire. Rassure-les. Gardes ! Aidez-moi à la conduire dans sa chambre.

Quelques hommes accourent pour la soulever.

—Elle n’a que des os brisés, expliqua Chrysentia. Aussi long et pénible qu’est le traitement, les os se réparent.

—Et les marques de poignard ?

—Aucun organe vital n’a été touché.

La sorcière pressa sa main sur le bras de Cilanna dans un geste de soutien et de réconfort.

—Je serai toujours là pour t’épauler.

La Reine acquiesça, mordit sa langue pour ne pleurer. Dépassée, elle l’était mais le peuple s’en fichait de son état. La nature humaine s’inquiétait en priorité de qui la concernait plutôt que reconnaitre la faiblesse d’une personne de pouvoir. La jeune femme se força à inspirer, contrôler ses émotions, érigea une bannière autour de son cœur.

—Aggo, cherche les domestiques et les nobles. Ordonne à tous ceux que tu vois de se rendre sans tarder sur le terrain des champions.

—Si vous avez besoin d’aide pour…, commença le guerrier.

—Plus tard, je dois garder les idées claires.

Le moindre élan de compassion la bouleversait. Le doyen du le comprendre car il s’éclipsa. Cilanna s’obligea à poser les yeux sur le bûcher. Elle s’ordonnait chaque geste et y obéissait et de manière mécanique. Sa sœur n’était plus qu’os noirs et chairs carbonisées. Les cordes qui retenaient manière ses poignets avaient disparues, dévorées par les flammes prédatrices.

—Détachez-là.

—Ma Dame… Le feu est bien trop grand pour que nous nous y risquions. De plus, il ne reste plus grand-chose de votre sœur.

—Alors, entassez les autres cadavres sur le bûcher. Le terrain doit être dégagé lorsque les nobles arriveront.

Cilanna se retourna vers le cadavre d’Oron. Elle devait garder un objet de l’ancien champion pour sa sœur. Il ne portait sur lui qu’un mince bracelet de cuir tressé, bijou que portaient beaucoup de chasseurs. La Reine défit les liens qui le retenaient à son poigne, coupa une mèche de ses cheveux sombres.

—On peut l’prendre, lui aussi ?

Ce n’était pas un garde mais un jeune garçon qui leur prêtait main forte.

—Oui.

Ainsi Oron disparut lui aussi en 983.

—Que s’est-il passé ? Demandèrent les premières femmes en arrivant sur le terrain.

—Où sont les Reines ? Où est notre Roi ?

—Pourquoi y a-t-il un bûcher ?

Cilanna attendait que tous prennent place. Quelques gardes l’entouraient mais le plus gros de ses forces encadraient le feu afin qu’aucun curieux ne soit le début d’une tragédie. Que morts témoignaient l’horreur de la journée. Inutile d’en créer d’autre. Lorsque le flot des nobles se tarit, Cilanna commença son discours.

—La rivalité entre nos deux peuples est enfin révolue.

Il eut dans l’assemblée quelques tristes sourires, un pour cinq nobles. Tous attendaient la suite. L’anxiété était palpable.

—Quatre hommes et une femme ont rejoint le Royaume de la Déesse. Les deux champions sont morts comme vous avez pu le constater.

Cilanna titillait leurs souvenirs. Aucun bruit ne parcourut l’assemblée. Contrairement aux Simples, les nobles apprenaient dans leur plus jeune âge à écouter ceux de plus haute naissance, même ennemi.

—Le champion Reiguiien a expiré dans les bras de ma sœur, Freya ;

—Quel royaume a gagné ?

—Aucun. Je me dois d’être avec vous. Une tragédie a eu lieu alors vos yeux étaient tournés. La troisième victime est Kashi, le magicien de Shagal qui a voulu m’assassiner. Freya l’a tué pour l’empêcher de me faire du mal.

Silence. Le sorcier n’était pas particulièrement apprécié mais la mort restait un sort cruel.

—Kashi s’est emparé de l’esprit de notre champion. Vous avez pu observer son comportement étrange. C’était là l’œuvre du sorcier. Il y a eu tricherie. C’est pour cette raison que nous ne tiendrons pas compte de ce duel corrompu.

Les nobles les plus expressifs acquiescèrent. La décision était juste.

—La quatrième victime est Shagal.

Plusieurs hoquets de stupeur résonnèrent dans l’assemblée.

—Je partage votre chagrin car ma sœur est mêlée à sa mort. Je n’ai pas à vous le cacher même si mon cœur saigne. Ma sœur, Maleïka l’a tué. Votre roi n’a pas souffert. Il est mort sur le coup.

—Qui gouvernera le pays de Shagal ? Demanda un homme.

—J’y viens. Ma sœur est la dernière victime qui s’ajoute à ce tableau, assassinée sous mes ordres. Mon avons entassé les corps sur le bûcher. Vous avez dû voir mon ainée, portée par quatre gardes accompagnés de Chrysentia, notre conseillère. Maleïka a tenté de mettre fin à sa vie alors qu’elle pleurait près de notre champion.

Devant cette macabre image, peu eurent une réaction. Le choc de l’annonce les abrutissait.

—Elle souhaitait gouverner seule la Reigaa. Nous étions des obstacles sur sa route. Tuer Freya lui est venue naturellement.

Même si elle promettait d’être honnête, révéler que sa sœur serait torturée à lui était impossible.

—Elle menaçait de se débarrasser de moi à l’aide d’un mariage. Shagal était le principal prétendant. Malgré l’horreur que cette histoire vous inspire, un roi est nécessaire à son pays. Les filles de Shagal n’ont aucune ambition et je ne vais pas le leur imposer. Je revendique votre royaume pour agrandir la Reigaa et en serai la Reine. Je n’aurai pas d’enfants, la Déesse m’ayant jugé indigne de connaitre les joies de la maternité. A ma mort, ce nouveau pays n’aura pas d’hériter de mon sang. La Ligné de Shagal prospéra pendant de nombreuses dizaines d’années et les prétendants mâles seront nombreux à désirer monter sur le trône de la Nouvelle Reigaa. Choisissez-en un et poser lui la couronne sur la tête.

Le marché était équitable et les nobles l’approuvèrent. Une Reine digne de ce nom n’aurait abandonné une terre qui doublait son royaume. Une fois son existence achevée, certes longue, les descendants de leur ancien souverain règneraient sur la moitié du continuent de l’Andürin. Beaucoup s’estimaient satisfaits. Sur cette bonne note, les nobles s’inclinèrent et partirent. Cilanna s’épongea le front de la main bien que nulle goutte de sueur perlait sur ses temps. Il ne lui restait que des lettres à écrire pour conclure cette affaire.

—Nous partirons au matin, décréta Cilanna en cachetant l’avant-dernière lettre.

Freya dormait, abrutie par le mélange des feuilles de pavot et passiflore que la sorcière concoctait. De nombreuses attelles tenaient ses os droits. Sa respiration paisible berçait Cilanna. Chrysentia remplaça un morceau de bois taillé lorsque la Reine lui dit part de l’imminent départ.

—Freya prendra la calèche. Je monterai à cheval.

La sorcière acquiesça distraitement et palpas le bas de la cuisse de la blessée.

—Il y en aura pour plusieurs moi.

—Elle n’a pas plusieurs mois.

—Moi non plus. Je dois prévenir les seigneurs de la mort de Shagal et de la nouvelle gouvernance. Je m’inquiète de ce qui se passera lorsque nous dormirons.

—Tu penses à des Rébellions ?

—La cadette de Shagal a deux filles. Elle ne laissera pas tomber le trône aussi facilement.

Les filles de son ancien ennemi n’avaient jamais manifesté une quelconque envie de s’emparer du pouvoir mais Cilanna ignorait si ce choix relevait de la docilité à suivre les ordres de leurs père ou par inintérêt de gouverner.

—Les femmes n’ont pas le droit de régner chez eux.

—Si je le fais, pourquoi pas elles ? La cadette a deux arguments de poids : ma malédiction et la lignée assurée de Shagal. Un fils naîtra bien un jour. Je suis une étrangère venue en ennemi. Je passe pour une conquérante, pas une Reine pacifiste.

—Ce ne sera pas à toi de le gérer.

Cilanna soupira. Pourquoi tout lui tombaient dessus ces derniers mois ? Ses neurones surchauffaient.

—Je n’ai reçu aucune nouvelle sur le gouvernement provisoire d’Aggo.

—Moi si. Plusieurs personnes siègeront au conseil. Aggo et moi seront les membres principaux et nous chercherons des candidats qui s’intéresseront à la politique, sans trop d’ambition, pensent au peuple et clairvoyant dans leurs décisions.

—Des éléments rares, donc. Tu veux des nobles dans ton conseil. Ça ne me plait pas.

—Ils ne détourneront pas l’argent. Nous souhaitons incorporer à ce groupe deux Simples. Un pour les artisans et un autre pour ceux qui vivent plus précairement, de chasse, de leurs terres.

La Reine pinça son menton.

—L’idée n’est pas mauvaise mais comment sélectionnerez-vous ces personnes ?

Le sourire de Chrysentia se fit malicieux.

—Nous avons envoyé quelques-uns de nos hommes prévenir les Simples. Ils se mêleront aux villageois et nous fournirons une liste de noms. Le conseil les triera avant de prendre une décision. Pour les nobles, seuls Aggo et moi serons concernés.

La sorcière délaissa son travail pour masser les épaules de sa Reine.

—Tu n’as pas à t’en inquiéter.

—Facile à dire ! Je m’en vais pour une centaine d’années, ricana la jeune femme.

—Ce que je veux dire, c’est que chaque candidat sera examiné de long en large. Nous ne prendrons aucune décision à la légère. Profite de ce dernier moi de l’année 983. La prochaine fois que tu te réveilleras, ce sera en 1083.

—Je n’aurai même pas trente ans et me voilà centenaire.

Un filet de cire coula sur l’enveloppe.

Les filles de Shagal deviendront des seigneurs. Elles diviseront en deux le royaume de leur père. Les lois de la Reigaa devront être appliquées. C’est à débattre pour les leurs. La seule que j’exige est qu’ils conservent la régence dans leurs lignées après ma mort.

—Je ne pense pas qu’il s’agisse là d’un problème.

—Le véritable enjeu politique interviendra après mon entrée en sommeil. C’est à ce moment-là que vous devriez faire le plus attention.

—Cilanna, je te le répète. Il n’y a aucun souci à se faire. A plusieurs, nous arriverons à gouverner la Nouvelle Reigaa.

—Ma Dame, je me dois de vous offrir ceci.

Leur suite se préparait à partir. Cilanna supervisait ses troupes du haut de sa monture. Freya et la sorcière, installée dans la première voiture attendaient son ordre. La Reine baissa les yeux sur une jeune femme à la chevelure emprisonnée en une longue tresse retenue en chignon qui dévoilait un cou élancé parsemé de taches brunes comme si la pluie marquait sa propriété sur sa peau. Dans ses mains, un torque. Le bijou ressemblait à une corde plongée dans de l’or liquide, arrondi pour s’adapter à la courbure de ses épaules.

—Pour notre peuple, cet objet représente la royauté et seul le roi peut le porter.

—Je suis une Reine.

—Un homme seul peut s’asseoir sur notre trône mais nul texte ne justifie que ce collier doit subir le même traitement. Vous êtes notre Reines à tous désormais. Pour espérer obtenir le salut des miens, vous devriez le porter. Ce n’est que grâce à lui que les hommes les plus puissants vous reconnaitraient comme supérieurs.

—Je vous remercie pour ce présent, Lady…

—Scylla, votre majesté. Lady Scylla.

Cilanna dégagea sa nuque de ses cheveux pour y glisser le torque .Le métal froid et lourd était inconfortable, gênait ses mouvements mais c’est avec ce poids qu’elle salua les nobles.

—Ce duel n’aura pas eu l’effet escompté mais une période de paix s’ouvre devant nous.

Le poids des mots ne justifiait pas celui des actes et la jeune femme espérait cette fois faire exception à la règle.

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