Chapitre 26-Cilanna

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Les cahin-caha de la route secouèrent la voiture dans laquelle Cilanna se reposait. Les roues chahutaient sur les pierres et à chaque tressautement, la douleur irradiait dans son bras. Quelle idiote ! Découvrir son bras ensanglanté après la transformation avait été un choc. Quelques excuses plus tard, elle embarquait pour Valgur Raal. Cilanna désinfectait la plaie plusieurs fois par jour, à défaut, la tenait propre. Comment expliquer à X le trou qui perçait son bras sans faire le parallèle avec les Agkars ? Des solutions, elle n’en possédait qu’une. Inventer un prétexte pour retourner chez elle le plus rapidement possible.

De temps à autre, elle repoussait le rideau qui recouvrait sa fenêtre mais les regards mauvais des paysans qui la dévisageaient la troublaient.

La voiture s’immobilisa. Le visage d’un palefrenier apparut dans l’entrebâillement de la porte.

—Votre cheval est prêt, madame.

Les sentiers qui amenaient au château étaient bien trop étroit et sinueux pour qu’une charrette puisse l’emprunter. Cilanna glissa son pied dans l’étrier et tira sur son bras droit pour se hisser sur le dos de sa monture. Le cheval s’ébroua, fit signe de son mécontentement en secouant la tête. La Reine aurait pu ajouter un commentaire futile à ses domestiques, comme de ne pas traîner en route avec ses bagages mais elle préféra donner un coup de talons dans les flancs de son destrier et s’élancer silencieusement.

Plusieurs chemins traversaient la forêt mais la jeune femme opta pour le plus plat, celui que nobles et seigneurs choisissaient pour leur suite. Malgré la neige, la monture progressait avec agilité et en moins d’une demi-heure, elle atteignit les grilles. A sa surprise, elles se dressaient, austères et closes devant elle.

Que s’est-il passé ici ?

—Hé, toi ! Héla-t-elle à un jeune garçon qui transportait des seaux.

Il fut pétrifié en découvrant la Reine enfermée à l’extérieur. Le domestique abandonna ses seaux pour se précipiter vers la manivelle. Quelques années en arrière, dix hommes étaient nécessaires pour ouvrir la grille. Son père trouva un système ingénieux pour y remédier : installer un contrepoids. Un homme de corpulence moyenne s’en sortait à merveille pour manipuler la herse.

—Va prévenir mes sœurs de mon arrivée.

Freya arriva la première, accoutrée telle une guerrière. Elle entraînait leur champion.

—Nous n’avons pas eu de lettre annonçant ton départ.

—Je n’en n’ai pas eu le temps. Je suis partie ce matin.

Sa sœur se pencha pour l’enlacer. Curieusement, elle fit attention à son bras gauche.

—Comment vas-tu ? Chuchota-t-elle. Nous savons ce qui t’es arrivé.

—Comment ?

—Je te raconterai plus tard.

Quelques minutes après, Chrysentia colla un cataplasme d’herbes sur sa plaie. Elle grimaça.

—C’est un beau trou, admit la sorcière. Heureusement, seuls les muscles ont été touchés. Avec du repos, la plaie cicatrisa.

Elle porta son attention sur Freya.

—Vous avez eu de la chance toutes les deux. Vous auriez pu perdre l’usage de votre membre.

—Tu ne mets pas un bandage ?

—Inutile, tu ne saignes plus. Les herbes sont surtout pour éviter une infection.

—C’est la première fois qu’il touche l’une d’entre nous, déclara Maleïka. Dans peu de temps, ils se mettront en chasse.

—Ils ont déjà commencé, bougonna Freya.

Cilanna observa tour à tour ses sœurs. L’une se voulait droite, imposante, majestueuse, la seconde aussi féroce qu’impitoyable.

—Des gens me dévisageaient. Ils avaient l’air en colère.

—Ils le sont. Tu es épuisée, petite sœur. Tu devrais d’abord te reposer.

Cilanna consulta Chrysentia du regard. Celle-ci hocha la tête.

—Nous en parlerons à notre réveil, promit Maleïka qui s’empressa de s’éclipser pour des causes « urgentes ».

—Qu’allons-nous faire ?

—Toi ? Rien.

—Elles me cachent quelque chose.

—Freya et Maleïka te l’annonceront ce soir. Toutes deux ont beaucoup à gérer. Ton retour prématuré et la découverte de la faiblesse des Agkars est un problème que nous n’avons pas besoin. Tu dois te reposer. Vous partez dans quelques jours et malgré ta blessure, tu devras les soutenir et les conseiller.

Cilanna s’éloigna de son amante. Se retrouver près d’elle ne favorisait pas sa concentration. S’abstenir de la toucher représentait une épreuve.

—Elles s’en sortent aussi bien avec que sans moi.

—Penses-tu ? N’as-tu pas senti la tension entre elles ? Que tu le veuilles ou non, tu es le pilier de ce royaume.

—Tu n’es pas doué pour redonner le sourire.

—Personne n’attend de moi le rôle d’un fou. Je suis celle qui donne la vérité. C’est pourquoi j’ai le droit de dormir dans ce château. Pourquoi souris-tu ?

—Ça fait du bien de retrouver ton franc-parler.

Cilanna le trouvait belle avec ces cheveux d’une couleur indéfinie. Elle se remémorait les moments où elle les caressait distraitement, savourant leur douceur et leur odeur. Plus que jamais, la jeune femme doutait de son choix.

—Repose-toi.

La Reine ne protesta pas. La sorcière souhaitait partir, elle le pouvait. Cilanna n’était pas sa geôlière. Elle attendit le cliquetis de la porte lui annonçant son départ pour sombrer dans un sommeil sans rêve.

—Qu’en penses-tu ?

Cilanna s’immobilisa, ses doigts à mi-chemin entre l’assiette et sa bouche.

—Tu souhaites pendre cet homme ?

—C’est la raison pour laquelle il est encore en vie.

—C’est au peuple que je pense. Ne vont-ils pas considérer cette mise à mort comme un affront ?

—Peu importe ce qu’ils pensent. Là n’est pas le but.

—Quel but veux-tu donner à une pendaison ?

Maleïka l’observa, une lueur étrange animant ses yeux.

—Retrouver notre force d’antan. Ils n’auraient jamais dû saper notre autorité, venir au château pour critiquer notre règne. Personne ne devrait se dresser contre nous. Notre rôle est de maîtriser cette rébellion avant qu’ils ne viennent nous tuer dans notre lit.

—Es-tu d’accord ?

Cilanna s’adressait à Freya qui se contentait d’écouter et de picorer des graines de tomates.

—Oui.

—Nous l’avons gardé en vie pour cette raison précisent. Les hommes méprisent les femmes. Si nous en tuons un, ils nous respecteront.

Cilanna soupira, malgré elle convaincue.

—Quand comptez-vous le faire ?

—Dans une dizaine de jours.

—Comment ? Nous n’avons pas de présentoir.

—Pour la pendaison, un seul instrument est utile. Une corde.

—Où l’accrocherais-tu ? A un arbre et tu ferais asseoir le prisonnier sur un cheval ?

Maleïka éclata de rire. Elle couvrit la bouche de sa main.

—Tu es celle qui torture ces monstres que nous enfermons et tu proposes les méthodes que notre arrière-grand-père utilisait ? Par la Déesse, un peu d’innovation.

Cilanna constatait l’engouement glaçant de sa sœur pour cet événement.

—Te souviens-tu de la poulie que notre père a placée sur la tour des Dames ? Nous y accrocherons une corde et précipiterons le duc du haut d’une fenêtre.

—Un saut de l’ange ?

—Exactement. Le clou du spectacle est le saut qu’il exécutera de son plein gré. Nous ferons passer ça pour un engagement envers la Reigaa, le royaume qu’il soutient même dans la mort.

—Souhaites-tu que je prenne la parole en public ?

—Non, je tiens à le faire. J’ai déjà commencé mon discours.

Maleïka saupoudra sa viande d’herbes.

—Que souhaites-tu leur dire ?

—Qu’une ère nouvelle pour la Reigaa commence. Les femmes auront autant de droits que les hommes peu importe leur ordre de naissance et que chacune sera libre de se marier ou de choisir le célibat.

—Penses-tu qu’ils accepteront ?

—Ils n’auront pas le choix.

Maleïka se refroidit.

—Ils ne l’ont encore jamais accepté.

—Cette fois, ils l’accepteront au risque de passer pour traitre. Tuer un homme qui ne respecte pas ses engagements sous leurs yeux les motivera peut-être.

—C’est possible, acquiesça Cilanna.

—S’ils refusent toujours d’appliquer mes ordres, toi tu les convaincras, mais seulement en dernier recours.

—N’est-il pas plus juste de faire l’inverse ? Dans un premier temps parlementer ensuite passer à l’acte.

—Certainement pas ! Pesta-t-elle.

Sa voix était plus froide encore que les vents qui hurlaient en hiver. Sa sœur lui fit presque peur tant elle s’emportait. La jeune femme n’avait jamais vu Maleïka ainsi, si sûre d’elle, si réactive, si prompte à agir. Dommage qu’elle parle d’un meurtre.

—Nous nous sommes rabaissées, siffla-t-elle. Nous avons été manipulées, influencées. Il n’y a qu’un seul moyen pour que le peuple nous respecte et nous traite avec l’honneur qui nous est dû. Je reprendrai ce qui m’a été dérobé.

Maleïka foudroya sa sœur du pouvoir.

—La régence ne t’intéresse pas, ce n’est pas mon problème. Nous sommes devenus faibles et je reprendrai ce qui m’appartient de droit. Ne t’avise pas de te mettre sur mon chemin, petite sœur.

Sidérée, Cilanna ne put qu’observer sa sœur, à court de mots. Elle ne reconnaissait plus celle avec qui elle avait grandi. Qu’était-elle devenue ? Freya aurait dû voir ça, songea-t-elle avant de peler une orange. Pourquoi part-elle toujours avant que cela ne devienne intéressant ?

Encore troublée par son altercation avec sa sœur, Cilanna opta pour consulter Zorak. N’étant rentrée depuis quelques heures, il n’avait guère eu le temps de lui faire son rapport. L’armurerie fut le premier endroit où elle le chercha. Comble de malchance, il ne s’entrainait pas.

—Que la peste soit de lui, maugréa-t-elle.

Le comportement de Maleïka l’inquiétait. Trop pour qu’elle abandonne ses recherches. Elle parcourut le château, se rendit dans les cuisines puis se décida pour sa chambre. Il ne s’y trouvait pas. La Reine attendit quelques secondes entre chaque coup mais la porte restait clause. De dépit, elle retourna à l’armurerie. Cette fois, Zorak examinait les lances.

—Je t’ai cherché.

—Personne ne m’en a informé, déclara le guerrier en s’inclinant.

—Que s’est-il passé durant mon absence ?

—Vous êtes déjà au courant des Rébellions Villageoises.

—C’est ainsi que vous les appelez ? C’est un beau titre. En ce qui concerne ma sœur, avez-vous entendu quelque chose de suspect ?

Zorak détourna le regard.

—Je vais te rappeler notre dernier échange, susurra-t-elle. Une Reine a dit à un homme que s’il lui mentait encore une fois, ses tripes découvriraient le monde qui se cache au-delà de ton ventre.

Cilanna s’avançait lentement tandis que le pouvoir des mots l’envoutait. Elle chercha d’un coup d’œil circulaire un couteau mais n’en trouva aucun. Au lieu de la pointe taillée d’une épée, la jeune femme utilisa son index et traça une ligne imaginaire sur le torse du chevalier.

—Je préfère commencer par le haut.

Elle posa son doigt sous ses pectoraux.

—Ici, j’enfoncerai le poignard. Je le glisserai comme ceci.

La Reine joignit le geste à la parole.

—Tu as tué plus de gens que moi, tu devrais savoir comment se vide un être humain.

Si Zorak tuait vite, seule la vie comptait. Cilanna adorait contempler le sang qui maculait les jambes de l’homme, ses boyaux se déverser telle une cascade rouge. Lorsque l’envie lui prenait, Cilanna fourrageait à l’intérieur de sa cavité abdominale pour extraire l’estomac ou la rate. Son travail était minutieux, propre, harmonieux. Il l’inspirait.

—Raconte-moi ce qui s’est passé.

Elle détachait chaque mot, s’amusait à utiliser une voix grave et menaçante. Zorak fléchit et avoua. L’homme lui livra ses confidences.

—… Alors elle m’a remis une lettre pour Shagal.

—Tiens donc ? Que voulais-t-elle lui raconter ?

—Elle ne m’a rien dit, juste de la lui apporter.

—Qu’as-tu fait ?

—J’ai obéi.

—Tu es un bon petit soldat, Zorak. Elle t’a bien dressé.

Il la foudroya du regard.

—Ne me regarde pas comme ça. Tu ressembles au porcher, celui qui louche. Tu es vilain ainsi.

—Vous agissez comme elle.

—Je ne t’ai jamais demandé à être mon ami. As-tu accepté d’ailleurs ?

—Oui.

—Que dit cette lettre ?

—Ce sont les affaires de votre sœur ! S’écria-t-il outrée qu’elle ait pu penser une telle conduite de lui. Je n’ai pas à lire ce courrier.

Cilanna pinça son menton, geste qui prouvait un effort de concentration.

—Elle n’avait aucune raison de lui envoyer quoi que ce soit. Oron se débrouille-t-il si mal ?

—Depuis que votre sœur a tenu à troquer son épée contre un double faux, il peut avoir ses chances.

—Peut-être renégociait-elle les termes du contrat.

Elle n’était pas convaincue.

—Trouves-tu que son caractère ait changé ?

—Oui, il parait plus enjoué depuis quelques temps. J’ignore pourquoi.

Maleïka ne tenait pas à ce que cette idée de pendaison s’ébruite.

—Je ne l’ai jamais vu aussi heureuse.

—C’est bien ce qui me fait peur, grommela-t-elle. Depuis combien de temps est-elle ainsi ?

—Deux ou trois jours.

Cilanna était parte plus de deux semaines. La réponse de Zorak coïncidait avec les Rébellions Villageoises. Pourquoi être mort enchantait-elle autant Maleïka ?

—As-tu entendu quelque chose de suspect ?

—Non, Ma Dame. J’ai été occupé à entrainer le champion.

—Tu es meilleur bretteur qu’espion, hein.

Il rougit.

—Informe-moi au moindre soupçon même s’il te parait insignifiant sinon je serai obligée de mettre mes menaces à exécution (elle se pencha, sa voix devint murmure). Peut-être que mon couteau et tranchera par mégarde ce que tu caches sous ton abdomen. N’oublie pas ta promesse et tu sauveras la virilité se précieuse aux hommes.

Maleïka leur cachait quelque chose. Une information, un élément crucial. Pis encore, Cilanna manquait de temps pour le découvrir.

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