New York 2001 : Peter

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Peter

En se levant ce matin là, il savait que ce serait une mauvaise journée. Du moment où le réveil avait refusé de sonner (parce qu'il avait encore eu la flemme d'aller acheter des piles au magasin d'en bas) sa mauvaise humeur avait pris le pas, multiplié par un mal de tête persistant depuis la veille. Trop de travail sans doute... Il ne se rappelait même plus à quelle heure il était rentré, très tard de toute façon. Ce dossier le hantait, il se demandait même s'il n'allait pas passer la main à un de ses collègues. Il était avocat, dans un grand cabinet, qui l'avait gardé après son stage de fin d'études. Il avait pris pour cas un dossier pénal, un homme qui avait tué sa femme et son amant. Dis comme ça, cela pouvait paraître comme une histoire banale, mais elle ne l'était pas. Le mari s'accusait du crime mais pourtant rien ne concordait. L'emploi du temps, ses aveux étranges et désordonnés. On aurait pu croire qu'il était heureux de se retrouver en prison. Il n'avait pris un avocat que parce qu'il y était obligé. Il ne souhaitait pas être défendu. Peter ne s'était jamais retrouvé face à une telle attitude et un tel dossier. Ce type risquait la peine de mort et il avait l'air de s'en moquer totalement. Cela lui donnait des sueurs froides.


Il trouva sa femme, en train de préparer son petit déjeuner, comme chaque jour depuis leur rencontre. Elle était si belle, même endormie et sans maquillage. Il avait mis un an à réussir à l'aborder, faire connaissance, il était bien trop timide. Elle l'intimidait, si sûre d'elle, si sereine. Ils s'étaient mariés dans l'intimité, avec le peu de famille qu'ils avaient et les amis les plus proches. Un beau mariage... Dix ans déjà, et dix ans sans enfant. Ce n'était pas faute pourtant d'avoir essayé, de longues années, tous les traitements possibles mais sans succès. Il voulait adopter mais elle était réticente, pour une raison qu'elle ne pouvait expliquer. Mais malgré tout leur amour cela les rongeait de l'intérieur, il en était bien conscient. Aussi avait-il décidé de l'emmener dans le meilleur restaurant de Manhattan et il avait même prévu une suite dans le plus beau palace pour finir cette magnifique journée. La bague qu'il voulait lui offrir et qu'il avait gravé de leurs deux prénoms entrelacés était précieusement enfouie dans son écrin dans la poche de sa veste. Il avait vraiment hâte de voir sa joie lorsqu'il lui offrirait pour le dessert.


Il l'embrassa sur le front, comme tous les matins et elle le retint par la main, indécise, comme si elle voulait lui dire quelque chose. Mais aucun mot ne franchit pourtant ses lèvres. Elle lui adressa son merveilleux sourire et il partit, sans savoir que c'était la dernière fois qu'il la voyait.

Il venait enfin d'arriver à son étage dans la tour 2, la tour sud, heureusement, ils n'habitaient pas très loin et salua tous ses collègues. Il venait juste de se reprendre un nouveau café lorsqu'un bruit d'explosion retentit à proximité, faisant trembler les murs et les bureaux. Le sens de l'équilibre rétabli, il se rua comme les autres vers les fenêtres et aperçut les flammes, les étages détruits. Il appela sa femme, alors tandis qu'un message d'alerte demandait à tous d'évacuer la tour. Il eut juste le temps d'entendre son" je t'aime".


Lorsque le deuxième avion frappa la tour sud, la sienne, il comprit que tout était fini. Il devait sauver le plus de monde possible, les aider à descendre mais son devoir à lui était de s'assurer que toute son équipe était saine et sauve.

Il était encore dans le seul escalier praticable, à soutenir son collègue blessé, lorsque la tour s'écroula. Sa dernière pensée fut pour sa femme bien aimée, et toutes ses belles années qu'elle lui avait offerte. Il était si cruel qu'ils n'aient pas eu plus de temps...

Il se revit à son mariage, heureux, en famille, avec les amis et sa femme si belle dans sa longue robe blanche. Il voulait à tout prix garder cette image en tête en ces derniers instants de vie.

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Elle aurait pu rester ainsi, toute sa vie, à se morfondre, à s'oublier dans les calmants et les somnifères, se contentant de pleurer sur son amour perdu.

Mais une visite, quelques temps après, changea tout.

Une jeune femme avec sa petite fille de quatre ans la contacta car elle avait un message de son mari.

Sur le coup, elle prit peur,se demandant ce qu'il se passait. Son mari était mort, comment pouvait-il lui transmettre un message? Était-ce de ces voyants qui arpentaient les rues à la recherche de pauvres pigeons à plumer ? Elle en avait croisé un paquet près des murs de recherche et elle trouvait ça vraiment honteux de profiter ainsi de la douleur des gens.

Curieuse malgré tout, elle la rappela, lui fixant un rendez-vous pour le lendemain.


Elles se rejoignirent dans un café près de chez elle. Elle s'appelait Emily et sa petite fille Sarah.

« Je ne connaissais pas votre mari avant que tout cela n'arrive. Elliot, mon mari travaille... travaillait dans la tour 2, dans un cabinet d'architecte. Je lui avais rendu visite ce jour là exceptionnellement avec Sarah, qui n'avait école que l'après-midi. Nous allions descendre voir mon frère qui travaillait quelques étages plus bas, aussi nous avons pris les escaliers.

Lorsque l'avion a percuté la tour, une partie de l'escalier s'est effondrée et je me suis retrouvée la jambe coincée. Votre mari et un de ses collègues sont venus m'aider à me libérer et m'ont aidé à descendre. J'ai été prise en charge par les pompiers qui m'ont par la suite aidé à rejoindre le rez de chaussée. Mais votre mari et son collègue ont continué avec les pompiers pour les aider à libérer certains employés encore bloqués à certains étages.

Votre mari restera à jamais pour moi un héros. Nous n'aurions jamais réussi à descendre à temps pour se mettre à l'abri. Nous ne serions pas là aujourd'hui.

Il m'avait demandé de vous remettre cette lettre au cas où il ne s'en sortirait pas.

Je suis sincèrement désolée de votre perte et je la partage ayant perdu moi même mon mari et mon frère. Heureusement j'ai Sarah... J'espère que vous arriverez à vous reconstruire.

Si un jour, vous avez besoin de parler, je suis là. Vous pouvez me contacter. Je vous laisse mon adresse mail et mon téléphone, n'hésitez pas, ça me ferait vraiment plaisir. »


Alicia ne put lire le bout de papier, qu'une fois chez elle, devant la photo de Peter. Elle le déplia délicatement comme un trésor inestimable et pour elle, il l'était.


«  Mon amour, je sais que je vais mourir aujourd'hui. Le destin en a décidé ainsi. Ne sois pas triste, vis ta vie, sois heureuse, remarie toi, aies un enfant. Fais le pour moi. tu ne dois pas rester seule.

Ne m'oublie pas et peut-être qui sait, pourrons nous nous retrouver là haut ?

Avec tout mon amour,

A Jamais... »



Bien des dizaines d'années plus tard, après avoir fait un tour du monde et vécu à Paris, Londres, Tokyo, Sydney, eu trois enfants, grand-mère de six petits-enfants, elle retourna enfin chez elle, cet appartement que jamais elle n'avait eu le courage de vendre. Tout était resté dans l'état où elle l'avait laissé, les photos, les tableaux, ses vêtements, ses chaussures, sa tasse de café.

Elle avait fui mais dans ses dernières années de vie, elle voulait être là.

Près de son grand amour.

A jamais.


Un coup à la porte la fit sursauter. C'était une des petites filles de Tommy, Elena, qui habitait l'appartement de son ancienne arrière grand-mère.

- "Bonjour Madame, je suis désolée de vous déranger mais bien après votre départ, une personne est venue déposer ce paquet pour vous. Nous ne savions pas où vous vous trouviez alors mon grand-père l'a gardé pendant toutes ces années. Si vous avez besoin de quoique ce soit, n'hésitez pas à venir me voir.".

Elle la remercia et déposa délicatement le précieux paquet sur la table. Elle l'ouvrit non sans appréhension. Elle lut d'abord le mot:

"Nous avons retrouvé cet écrin lors des travaux du mémorial du World Trade Center, votre nom était marqué dessus."

Elle l'ouvrit comme si c'était la septième merveille du monde et à ses yeux, ça l'était. Une magnifique bague ornée d'un diamant et à l'intérieur, leurs prénoms entrelacés.


Pour la première fois, elle ne pleura pas, remerciant le ciel de ce merveilleux cadeau. La bague ne quitta plus jamais son doigt, éternel souvenir de celui qu'elle avait perdu et de leur amour intemporel.


Never Forget : 09/11/2001


















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