35 – Tsadir : Retrouvailles

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L’entretien avec Alexander Donnart n’a pas donné grand-chose. Tsadir s’en doutait de toutes façons. Si elle pouvait être dans les colonies, ce serait tellement plus simple : la méthode de Trend – qui consiste à numériser l’esprit et à le donner en pâture à une IA spécialisée pour en extraire les souvenirs – demande tellement de puissance de calcul que ça ne peut pas être fait sur l’Akasha.

Après deux heures de questions et de non-réponses, la samouraï replace l’homme en hibernation. Durant tout ce temps, Feyn n’est pas sorti de l’infirmerie, restant aux côtés de la jeune femme. Sur l’interface en réalité augmentée, Tsadir constate que l’infection a commencé à régresser mais que les dégâts causés par le virus prendront du temps à se résorber.

Alice sourit. Après plusieurs années à effectuer des sauvetages, Feyn semble être devenu quelqu’un capable de détendre même la pire situation. La jeune fille examine Tsadir et lui demande : « Vous venez des colonies vous aussi ?

– Oui, confirme la samouraï. Enfin, je suis née sur Terre, il y a pas mal de temps déjà.

– Je pense te battre là-dessus, s’amuse Feyn.

– Ah ? 2026 pour moi, revendique Tsadir.

– J’ai plus d’un siècle Tsadir. 109 ans en fait, se vante le raton laveur.

– Sérieusement ? s’étonne la wardner.

– Et oui, s’amuse Feyn. Je suis l’un des premiers « immortels » si chers à Kurzweil.

– Qui ? Demande Alice.

– Un apôtre du transhumanisme qui faisait parler de lui au début du siècle, détaille Feyn.

– Ah… Vous vivez où dans les colonies d’habitude ?

– J’étais affectée à Elysium, sur Mars, répond Tsadir.

– Moi, je vis principalement à bord de l’Akasha, dans le système de Saturne, ajoute Feyn. Et toi ?

– Je viens de l’Ouganda. J’ai vécu la moitié de ma vie dans le programme de formation de Sol6, dans les quartiers privés de Kampala.

– Tiens, j’y suis passée, il n’y a pas si longtemps que ça à Kampala. », remarque Tsadir. Quelques fois, la nostalgie de son aventure sur Terre avec Ney l’étreint à nouveau. Un autre complot en relation avec l’ONU d’ailleurs.

Une alarme de l’Akasha la sort de ses songes : « Commandant, un vaisseau approche. Il ne diffuse pas son code transpondeur.

– Merde, jure Feyn. Quel type de vaisseau ?

– D’après les informations radar, il s’agit d’une corvette militaire terrienne.

– Passe-moi les analyses thermiques. », demande-t-il en sortant de l’infirmerie. Tsadir, fait un signe à la terrienne avant de sortir à son tour par l’ouverture du plafond.

Arrivant sur la passerelle, la wardner constate que Feyn s’est déjà harnaché à son siège et balaie d’innombrables images prises par les capteurs de l’Akasha et le réseau des drones. Sur la plupart des images, ce ne sont que des points mais l’antenne radar braquée sur l’appareil en approche montre un vaisseau qui pourrait bien être une canonnière.

« Merde, ils sont en train d’armer leur canon électrique, s’affole Feyn.

– Oh… », réalise Tsadir. Amarrée au Mona Lisa, l’Akasha n’est pas en mesure d’effectuer la moindre manœuvre d’esquive sans provoquer des dégâts cataclysmiques. Et même si le vaisseau parvenait à se détacher, l’accélération de l’Akasha n’est pas suffisante à cette distance. D’un réflexe, Feyn s’équipe de son casque et le fixe à sa combinaison d’intérieur. Mal préparée, Tsadir ne porte pas de tenue étanche et doit se contenter de prendre le respirateur. En cas de tir dans la passerelle, il lui faudra trouver et boucher les trous au plus vite.

« Qu’est-ce que… »

Les mots tombent de la bouche de Feyn, stupéfait. Sur l’imagerie radar un nuage de débris est éjecté depuis plusieurs points du vaisseau adverse : des tirs provenant de nulle part semblent avoir frappé le canon principal de la corvette. Sur l’imagerie radar, il n’y a rien de visible sur l’axe d’origine de ces tirs.

Sur le thermique, une forme angulaire surgit, relâchant ce qui devait être son camouflage thermique et irradiant de la chaleur qu’il retenait jusqu’ici.

L’assaillant initial tente de tirer une torpille vers l’Akasha, mais le réseau de défense de point du second inconnu l’anéantit quelques fractions de secondes après son largage. Sur les images radar, les tourelles de défense anti-missile de la corvette volent en éclats tandis que l’appareil furtif effectue d’impressionnantes manœuvres.

« Je ne vois pas comment un équipage peut survivre à ça… », s’exclame Feyn, alors que les vecteurs d’accélération de l’inconnu indiquent des valeurs proches de quarante G.

Estropié, le vaisseau privé de son armement effectue une manœuvre d’évasion et commence à fuir, prenant son accélération maximale. L’engin furtif semble ne pas chercher à pourchasser son adversaire et se place sur une position que les maigres connaissances en matière combat spatiale de Tsadir supposent défensive.

« Il s’est placé en position d’escorte et continue à évacuer une quantité de chaleur impressionnante. Depuis combien de temps est-il là dans l’ombre ? », s’inquiète Feyn. Akasha intervient alors : « Commandant, je reçois un signal laser : c’est une communication entrante provenant de l’appareil non identifié.

– Il ne risque pas de s’infiltrer dans le réseau du vaisseau ? se soucie Tsadir.

– Bah, s’il nous voulait du mal, il n’aurait qu’à nous envoyer une volée de balles, se résigne l’astronaute. Akasha, ouvre la communication.

– Bien commandant, confirme l’IA.

– Akasha, on peut dire que vous avez eu chaud, nargue la silhouette bleutée.

– Mahertis ! intervient Tsadir. Mais que fais-tu ici ?

– Bonjour Tsadir, salue l’IA manifeste. Je vais vous expliquer. De toutes façons, tu es une Solar Wardner maintenant et ma présence a été révélée.

– Je te laisse avec notre sauveur, je vais aller rassurer notre passagère. », indique Feyn en rangeant son casque avant de se détacher.

Mahertis reprend : « Depuis l’attentat du Meerk, Aesir mène une enquête pour remonter à la source de l’attaque. L’état de délitement de Vranberg-Lytan est devenu assez préoccupant et nous pensons qu’une cellule dissidente de la corporation est active sur Mercure. Une équipe, un escadron entier en fait, est actuellement en orbite et effectue des opérations de surveillance. Quand vous êtes arrivés, Marth elle-même a demandé à ce qu’une de nos corvettes soit affectées, officieusement, à votre protection. Comme je te connais mieux que les agents déjà sur place, je me suis téléversé à bord de cette corvette et vous suis depuis déjà plusieurs orbites. Et quand le vaisseau onusien est arrivé et qu’il a commencé à charger son canon électrique, je suis intervenu. ».

L’explication claire de Mahertis ne convainc Tsadir que partiellement, mais elle a déjà travaillé avec l’IA et si on pourrait lui reprocher des tendances interventionnistes, il considère toujours les conséquences avec grande attention. Et puis, elle ne fait plus partie d’Aesir désormais, aussi ne la tient-on plus au courant des secrets de la corporation.

Tsadir relance la discussion : « Vous avez appris des choses ? J’ai quelques informations qui vous seraient peut-être utiles.

– C’est possible, oui, confirme Mahertis. Mais je ne suis pas habilité à transmettre plus d’information. En revanche, je peux vous donner quelques contacts en orbite. J’imagine que vous devrez probablement rapporter cette épave quelque part, par exemple Otessa Orbitals qui est l’une des rares stations avec une cale sèche libre autour de Mercure. Il y a des gens très sympathique là-bas. Par exemple, l’ingénieur Kim Bun’Ki est une personne particulièrement compétente et très charmante.

– Je vois, acquiesce la wardner. Que vas-tu faire maintenant ?

– Je vais profiter de la couverture du Mona Lisa pour vider mes accumulateurs de chaleur et ensuite, qui sait, peut-être aurez-vous encore un ange gardien ?

– Mahertis… soupire Tsadir. J’imagine qu’on se reverra alors. Ah si… Pourquoi avoir laissé la canonnière s’enfuir ?

– Parce que détruire les vaisseaux d’autrui est un bon moyen pour débuter une guerre, ironise l’IA. Et il se pourrait aussi qu’ils aient une petite poignée d’émetteurs « soigneusement rangés » dans leur blindage. »

Si l’idée amuse Tsadir, cette action réduit aussi le risque que les Nations Unies découvrent les opérations d’Aesir sur Mercure. Si l’épave d’une corvette, transformée en râpe à fromage, était retrouvée, il serait difficile d’ignorer l’affaire. Pour le moment, et parce que l’IA a non seulement sauvé leurs instances mais aussi offert quelques informations utiles, Tsadir compte bien garder le secret.

Mais au fait, où en sont les forces de soutien promises par Sol6 ?

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