9 – Gloria : Les pieds sur Terre, les yeux dans les étoiles

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Son appartement lui parait plus petit désormais. Avec la venue d’Alice, sa salle d’étude s’est changée en chambre et elle travaille, en dehors des horaires réglementaires, sur la table du salon. La grande baie vitrée qui donne sur le majestueux lac est partiellement obscurcie pour réduire la chaleur. Quelque part au-dessus de l’eau, un avion vole avec sa petite enfant à son bord.

Alors qu’Anton fait le point sur son adaptation, Gloria s’inquiète : « J’ai un peu peur qu’on aille trop vite. Je veux dire, lui faire suivre le programme d’entraînement d’un astronaute, à 9 ans, c’est excessif !

– Ne t’en fais pas, il y a un peu d’exagération dans les promesses du programme, indique-t-il en soulignant les mensonges des commerciaux. Là elle va simplement faire une dizaine de vols avec un passage de huit minutes en 0 g. C’est très amusant en vrai.

– Oh, je n’en sais rien, à mon âge on évite ce genre de chose tu sais, rigole-t-elle. Mais à quoi ça sert ?

– Oh, le but c’est de les habituer aux changements de pesanteur, à l’apesanteur, la perte des marques spatiales qui viennent avec la gravité, explique l’homme.

– Dit comme ça, c’est pas vraiment rassurant, indique Gloria exprimant son sentiment.

– Rassure-toi, tout ça ressemble à des jeux pour eux, explique Anton avec amusement. Elle va revenir en s’étant vraiment éclaté. Tu sais que pas mal de personne paient très cher pour pouvoir vivre ce genre d’aventure ?

– Oui. Quand j’étais plus jeune, j’aurais aimé en avoir les moyens, s’amuse Gloria.

– Tu pourrais venir l’accompagner, non ? propose Anton.

– Oh, tu sais, depuis l’incident, mon médecin me conseille d’éviter ce genre de chose… Je ne suis plus très jeune ! », lui fait-elle remarquer.

Un silence embarrassant s’installe. En réponse, Anton lui demande : « Comment se passe l’adaptation à ta nouvelle vie ?

– Tout ça s’est passé tellement vite, dit-elle avec un ton porteur de quelques regrets.

– Quelque chose ne va pas ? s’inquiète son ami.

– Si, mais… Alice a certainement une bien meilleure vie maintenant et elle m’apporte aussi beaucoup. Je suis une solitaire : les hommes, les femmes… Ça n’a jamais été mon truc. Mais avec sa présence, je me sens moins seule. C’est marrant, avant elle, je n’avais pas l’impression d’être seule, rigole-t-elle.

– Qu’est-ce qui te dérange alors ? Ce n’est pas moi quand même ? plaisante l’homme.

– Non, bien sûr que non. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser à la façon dont Sol6 s’approprie aussi naturellement tout ce qui l’intéresse.

– C’était le meilleur choix pour elle, et pour toi, non ? fait-il remarquer.

– Oui, mais c’est justement le truc : tout est mécanique ; personne n’est à blâmer ; chaque décision était la meilleure à faire et chacun décide individuellement. Et pourtant tout continue de converger sans cesse vers les intérêts de la corporation, dénonce-t-elle.

– Je pense comprendre ce que tu veux dire. Mais des intérêts convergents ne sont pas un problème, si ?

– Non, évidemment que non, se rétracte-t-elle. Mais quand je vois ce ramassis de journalistes qui résument les corporations à des systèmes inhumains qui dévorent les gens pour le bénéfice des actionnaires… J’ai un sentiment partagé.

– Tu sais, je pense que les corporations, enfin au moins Sol6, doivent être vu comme une structure émergente, expose Anton. Tu sais, comme quand tu prends des centaines de milliards de neurones et que tu obtiens quelque chose de conscient.

– Sauf que les neurones, objecte Gloria, on en perd tout le temps et personne ne s’en émeut.

– Oui. Mon exemple n’est pas très bon, concède-t-il.

– Enfin, j’ai souvent l’impression que notre société a atteint un point où il n’est plus vraiment nécessaire de disposer d’un quelconque libre arbitre, déplore-t-elle. Quelque chose a changé, à un niveau organique : un peu comme si la société elle-même était devenue consciente… non, intelligente, et qu’elle nous place dans des situations où on fera les choix qui lui importeront.

– Ce serait inquiétant, c’est vrai, rigole Anton. Mais que veux-tu ?

– Je ne sais pas. Autrefois, je ne m’en serais pas inquiété : j’ai rejoint Sol6 de mon plein gré et j’en ai tiré beaucoup de bénéfices, explique Gloria. Mais avec l’arrivée d’Alice ; son intégration aussi rapide ; cette nouvelle routine qui semble presque artificielle… J’ai des doutes Anton : est-ce que faire un « mauvais » choix vaudrait le coup pour garder sa liberté ?

– Toi, tu te découvres mère et tu as plein d’inquiétudes pour ton enfant ! C’est pas grave Gloria… Attends, je viens de recevoir un message urgent. », coupe-t-il.

Anton observe le contenu du message rapidement et allume l’écran du salon. Passant sur une chaîne d’information en continue, une engeance de la société moderne pour Gloria, l’image montre le hall de l’antenne de l’Organisation des Nations Unies à Rio. Aujourd’hui devait se tenir un sommet pour établir la base des négociations entre les nations et les corporations. Sauf que le hall est pratiquement désert. En dehors des émissaires de Sol6 et des responsables onusiens, il n’y a personne.

Anton s’exclame : « Merde… Ils n’ont pas osé ?

– Qu’est-ce qui se passe ?

– Suan, Waylanders et Vranberg-Lytan ont rejeté l’invitation et nous ont laissé seul, explique-t-il avec colère. Avec l’ultimatum de la semaine dernière…

– Ça va être la guerre, complète-t-elle… Au moins Sol6 est venue.

– Vingt ans qu’ils l’attendent cette guerre, comment peuvent-ils être aussi cons pour la vouloir ? », s’indigne Anton. Gloria rejoint l’avis de son ami : une guerre est bien la dernière chose qu’elle pouvait souhaiter pour Alice. Pourvu que Sol6 soit épargnée.

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