3 – Gloria : Alice

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Douleurs, migraine, fatigue, misérable… Le réveil de Gloria est interrompu plusieurs fois. Seule la voix, étrangement amicale, d’une petite fille lui permet de s’accrocher à la réalité. Le sens lui échappe mais le ton semble empreint d’une grande gentillesse.

Malgré la faible lumière, ses yeux peinent à faire le point, comme éblouis. Ses vertiges l’embrouillent, comme incapable de décider si elle est allongée ou debout. Ses mains tremblent comme emprise de fièvre.

Peu à peu, le calme revient, accompagné de la lucidité. La voix enfantine continue de lui parvenir. L’enfant est proche, mais la voix semble provenir de si loin. Le son d’un avion de chasse met fin à ses errances. Émergeant finalement de sa torpeur, Gloria réalise enfin pleinement sa situation.

La salle est sobre et son mobilier lui rappelle celui d’un garage. Elle est allongée au sol sur une sorte de paillasse. Seulement une lumière déclinante passe à travers l’ouverture du toit et éclaire la salle par réflexion. Donc ce mur donne sur l’est déduit la rescapée. À côté d’elle une enfant essore une éponge avec soin au-dessus d’un petit bac à eau qui s’est coloré du sang perdu. Elle porte une grande ecchymose sur son visage et, lentement, gloria réalise qu’il s’agit de l’enfant qui s’était interposé. Quelques éraflures sur ses bras témoignent de sa réception sur le sol.

« Bonjour », ose Gloria en anglais. L’enfant la regarde quelques instants, surprise : elle ne s’était pas aperçue que la vieille femme s’était réveillée. Posant son doigt sur ses lèvres, la petite lui intime le silence. Se concentrant, Gloria perçoit deux hommes discutant en swahili. Cette langue était la principale langue de l’alliance africaine au début du siècle et est même devenu un symbole des opposants aux corporations et donc de Sol6. La prisonnière regrette alors de ne pas en avoir plus appris que quelques mots, trop habituée à l’omniprésence de l’anglais dans l’enceinte de Sol6.

Le bruit d’un vieux loquet qui se débloque résonne, et la porte s’ouvre sur un grincement pénible. Deux hommes entrent et l’enfant se lève immédiatement avec un regard d’appréhension fugace. Le premier, avec une chemise bleue et son pantalon kaki semble la disputer avec violence. L’enfant baisse les yeux plusieurs fois et leur répond dans le même créole, alternant des mots anglais et des expressions swahilies. Gloria réalise alors l’intelligence de la petite. Elle parvient à lui glisser quelques mots noyés dans le flot d’explication et d’excuses : « grandma », « dormir », « Sol6 », « chercher ». Faire la morte est sans doute le mieux à faire.

Les yeux à nouveau fermés, elle entend les pas lourds de l’un des hommes qui s’approche. Après quelques secondes, il semble poser de nouvelles questions à la gamine qui lui répond. Le seul mot que comprend la prisonnière est « médicament ». L’homme lui répond dans un ton mélangeant le dépit, la colère et la résignation.

Finalement, les deux sortent. À nouveau, le verrou émet ce son caractéristique et leurs pas s’éloignent. L’enfant lui prend la main délicatement et lui murmure dans un anglais correct : « Je suis désolée qu’ils t’aient fait du mal.

– Ce n’est pas ta faute, répond Gloria à voix basse.

– Comment tu t’appelles ? demande l’enfant.

– Gloria, répond-elle en toussant un peu. Et toi ? Tu as l’air très intelligente.

– Je m’appelle Alice, mais je suis pas intelligente, précise-t-elle. Je suis stupide, c’est à cause de moi que tu es là.

– Mais tu m’as sauvé la vie ! », s’exclame la prisonnière d’une voix plus forte qu’elle ne l’aurait souhaité.

Attendant quelques instants que le silence se rétablisse, les deux se regardent quelques instants. Alice possède cette peau noire propre à cette région du monde, mais ses yeux sont d’un brun si clair qu’ils passeraient pour de l’ambre. Quant à ses cheveux, difficile de dire : elle a été tondue récemment. Ses vêtements, un t-shirt rouge et un pantalon jaune, semblent en bon état bien qu’assez sales. Elle n’a curieusement pas de chaussure.

L’enfant reprend : « Ils te cherchent tu sais ?

– Qui ça « ils » ? interroge Gloria.

– Les gens de Sol6, Tachyon, tout ça, explique la petite. Il y a plein d’avions qui passent en ce moment et je les ai entendus dire que des soldats bloquaient les routes.

– Tu sais pourquoi ils m’ont capturée ? Ce qu’ils veulent ? demande l’ingénieure.

– Je leur ai dit que tu étais quelqu’un d’important, que c’était pour ça que tu avais ton nom sur l’étiquette de ta chemise, détaille l’enfant. Ils pensent que Sol6 paiera très cher en échange de toi. Mais je leur ai menti et ils vont te faire du mal.

– Je serais morte sans toi… Vraiment, tu ne devrais pas t’en vouloir. Les enfants ne devraient jamais à avoir à s’en vouloir.

– Mais je n’arrive pas à penser autrement, s’entête-t-elle. Des fois, j’ai l’impression que les grands voient pas les conséquences de ce qui se passe.

– Tu dis que des avions passent souvent ? demande Gloria pour passer sur un sujet moins inconfortable.

– Oui, pourquoi ? s’interroge l’enfant.

– Ce sont sûrement des avions de reconnaissance, explique l’ingénieure. Ils filment tout ce qui se passe au sol.

– Ils peuvent voir les gens ? Ils volent haut pourtant.

– Ils ont des caméras vraiment très puissantes. Un ami qui travaille chez Tachyon m’a dit qu’ils étaient capables de retrouver quelqu’un au milieu d’une foule. Ils ont aussi des tas de petits drones, qui peuvent survoler les villes à basse altitude.

– Ils font quoi en vrai chez Tachyon ?

– En vrai ? Ils s’occupent de la sécurité chez Sol6. Ce sont des pompiers, des policiers et des soldats.

– S’ils savent que tu es là, ils viendraient te sauver ?

– Oui. », conclut Gloria.

Et ça sera un massacre alors. Tachyon est la première force militaire du pays… Et ils en sont bien conscients. À tel point qu’ils sont aussi tristement réputés pour leur accommodation avec les dommages collatéraux.

L’enfant assise regarde ses mains quelques instants, puis son regard revient sur la femme. Elle lui demande alors : « S’ils te trouvent et te ramenaient chez toi, est-ce que je pourrais venir avec toi ? »

La requête déstabilise Gloria qui hésite un moment avant répondre : « Oui. Mais tu n’as pas de famille ici ?

– Ils m’ont prise quand j’étais toute petite, explique l’enfant avec une pointe d’abattement.

– Oh… Mais qu’est-ce qu’ils font de vous ? s’étonne la prisonnière. Pourquoi enlever des enfants ?

– Les garçons, ils leur font jouer à la guerre et après ils deviennent comme eux. Les filles… On est là pour qu’ils s’amusent avec nous, explique-t-elle en appuyant ses mots avec des guillemets invisibles.

– Je suis désolée, déplore la femme.

– Ce n’est pas ta faute, défausse l’enfant. Mais si j’ai raison, on sera toutes les deux sauvées.

– Qu’est-ce que tu as en tête ? demande Gloria intriguée.

– Ils voient dans le noir tes avions ?

– Oui, pourquoi ?

– Tu me prêtes ta veste ? J’ai un plan et il va faire nuit. », termine Alice dans la pénombre grandissante de la nuit qui approche. Décidément, cette enfant est pleine d’attention et de surprise.

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