Chapitre 1 - "...une fois..."

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...une fois…

Ton origami est apparu dans cette voiture.

Celui qui a échappé aux flammes.

Tout est embué autour de moi. Je roule sur Main Street, en direction de nulle part, mais je ne m’en rends pas tout de suite compte. J’ai pris le volant pour rouler, alors qu’il est 2h42 du matin, il fait très noir dehors, une fine pluie commence à tomber. Je sais que l’orage va bientôt éclater, mais je m’en fous, je m’installe sur mon siège alors que je l’entends encore hurler depuis le palier. Ta mère. Je claque la portière d’un coup sec, enclenche le moteur et sors la voiture pour me retrouver là, sur Main Street, à la sortie de la ville. Je m’arrête sur le bas côté car les larmes inondent mon visage. Je ne vois plus rien à part un amas flou et informe de bleu et d’orange : la pluie glaciale et les lumières chaudes des lampadaires qui s’étendent tout les trois mètres. Tu me manques terriblement et cette sensation me tue littéralement.

Ta mère. Elle ne pouvait pas comprendre. Pour elle c’était inhumain. Ne pas oublier, est-ce inhumain ? Comment fait-elle alors pour gérer cela ? J’aimerai le savoir. En tout cas eux ils m’ont compris. Cette entreprise. J’ai trouvé leur prospectus en attendant à l'hôpital, y a de ça un an, avant que tu t’en ailles. J’ai lutté, lutté, mais j’ai fini par les appeler. Comment résister ? Il fallait que je fasse quelque chose. Ta mère… Elle n’aurait pas pu comprendre. Alors j’ai caché ce que j’avais l’intention de faire.

Combien de temps tout cela a-t-il duré ? Difficile à dire. Ils m’ont demandés de tenir un journal, d’être aussi précis que je pouvais l’être. Mais j’ai tout gardé en tête. Comme au boulot. Pourtant je sais que j’aurai dû les écouter. Je ne sais pas vraiment à quel moment je me trouve, car tout se mélange dans mon esprit. J’aurai dû tenir ce foutu journal. Pour m’y retrouver.

Ils m’ont aidé en tout cas. Pendant un temps. Je ne sais plus vraiment comment, je ne me souviens presque pas dans ce fouilli de souvenirs. J’ai même du mal à discerner la réalité. Un effet secondaire d’après leur technicien. “Ne restez pas accroché à ce que vous verrez. Apprenez à vous détacher. C’est important.” J’aurai dû écouter. Mais est-ce réellement arrivé ? Ou est-ce sur le point d’arriver ? Mon seul point de repère c’est cet instant, dans cette voiture, là, sur le bas côté, ces lumières oranges s’étalant devant moi, tandis que j’active accidentellement les essuis-glaces. Leur grincement m’apaise. Mes larmes ne cessent de couler, je sais que je ne devrais pas faire ce que je vais faire. C’est comme si tout était déjà arrivé. “Ne restez pas accroché à ce que vous verrez.” C’est trop tard, j’en suis persuadé. Je colle mon front contre le volant, mon visage chauffe à mesure que mes pleurs se transforment en sanglots. “Apprenez à vous détacher.” Je ne peux pas, je n’ai jamais pu, je ne pourrai jamais. “C’est important.”

Alors que je croise mon visage dans le rétroviseur embué, voilà que je saigne du nez.

Je m’essuie, remet en place le rétro et sur le siège gauche arrière je le vois.

“Jamais vous ne pourrez changer le passé monsieur Jenkins.”

Un de tes préférés.

“Mais nous pouvons concentrer ces mémoires en un point ou un objet que vous nous apporterez.” Ton origami. “C’est ça, notre boulot. C’est tout le principe de notre société MEMO.”

Ton dernier origami. Je me retourne donc, tente d’essuyer ces larmes et sors par la porte que je claque. J’attends un instant dehors, la pluie se joignant à celle de mes pupilles. Ce mélange chaud et froid. Ta mère. Elle ne comprendrai pas. Elle n’a pas compris. Elle ne comprendra pas.

“Un origami ? C’est merveilleux monsieur Jenkins. C’est...celui qui a été retrouvé au milieu des flammes ?”

J’ai des bribes de ce qui s’est passé. Ou bien est-ce déjà arrivé ? Cela va peut-être arrivé. Parce que je m’apprête à le faire. J’aurai dû tenir ce journal. Pour m’y retrouver.

“Lorsque vous toucherez pour la première fois son objet Source, en d’autre terme un objet qui a une signification profonde pour vous et vos souvenirs.”

Pour pouvoir contrôler.

“Notre technicien vous l’a dit, n’oubliez pas de noter ce qui vous arrivera. C’est important.”

Mais j'ai préféré me perdre dans ces mémoires.

“L’objet source sera ici cet origami.”

J’ouvre la porte arrière et je le vois.

C’est un éléphant. Un origami à la forme d’éléphant. Les larmes chaudes se mêlent plus intensément à la pluie orageuse. Je suis toujours penché au-dessus de cette merveille qui me rappelle déjà combien sa symbolique avait eu - ou aura ? - son importance. Ta mère… Ce jour-là, au zoo, tu me dit que l’éléphant est ton animal préféré. Je tends la main. Je vois déjà ton visage. C’est comme si je n’avais pas - ou plus - besoin de ces objets pour revivre ce qu’on a vécu - ou allons. Je suis conscient des conséquences de mon geste. Ta mère. Ne comprenait pas, ne pourra comprendre. Quel que soit l’instant où je me trouve maintenant, je me dis que rien n’est plus beau que lorsqu’on était ensemble. Avant l’accident. Le carambolage. Je me dis que rien n’est plus beau que tous ces instants avant…

Apprenez à vous détacher monsieur Jenkins...”

...avant ta mort, ma fille.

Alors laissez-moi vivre ces instants…

“...c’est important.”

Voilà que je touche l’objet Source, pour rejoindre ces instants vécus - ou pas encore. Même les plus mauvais. Puis, je me laisse aller...

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