Chapitre II : Gentille ou vilaine Marie ?

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L'inspecteur Leroux, comme il l'avait annoncé à Chambart, était allé rendre visite au père Gervais, le desservant de la paroisse et également le confesseur de la morte. Il fut reçu directement par le prêtre. Le policier ne pouvait s'empêcher de penser à monseigneur Myriel, l'évêque de Victor Hugo, tant l'ecclésiastique paraissait simple et bon. C'est devant un verre de pinot des Charentes – le père Gervais était originaire de là-bas – que les deux hommes s'entretinrent.

Le père Gervais était choqué de ce qui était arrivé et ne pouvait croire que la pauvre Marie ait une quelconque responsabilité dans ce drame. Si elle était introuvable, cela devait être à cause de la panique : être témoin de l'assassinat de sa bienfaitrice, il y a de quoi perdre les pédales.

– Mais comment avez-vous connu la dénommée Marie ?

– Oh ! Toutes les rencontres se font dans mon église. Je suis là et les gens viennent à moi ! La première fois que j'ai vu Marie, elle priait en attendant de se confesser. Bien sûr, je tairai les tristes choses qu'elle m'a avouées, le secret de la confession... vous comprenez. Mais j'en ai eu la larme à l'œil. Elle était si misérable, qu'après l'avoir entendue, je lui ai remis quelques pièces. Oh ! Moi je ne suis pas riche mais madame Le Braz me laissait toujours un petit pécule pour « mes » pauvres. La pauvre enfant est revenue plusieurs fois car je lui avais promis ma protection.

– C'est vous qui avez présenté Marie à la veuve Le Braz ?

– Si je ne l'avais pas fait, cela se aurait eu lieu tout seul. Les deux femmes venaient prier au même moment. Madame Le Braz donnait déjà quelques pièces à Marie avant que je ne recommande la pauvre enfant à celle qui allait devenir sa protectrice.

– Pourquoi cette recommandation, mon père ?

– Madame Le Braz n'était plus toute jeune et sa vue semblait fortement déficiente. Vivre toute seule dans ces conditions n'est guère bon. Alors je lui ai dit : « Vous serez bénie du Seigneur si vous prenez chez vous cette pauvre Marie et quelle sécurité pour vous ! ».

– Et elle a accepté !

– Oui. Le lendemain, Marie arrivait chez madame Le Braz.

– Cela se passait bien ?

– Oh oui ! La Dame en vert, excusez-moi, voilà que je parle comme les gens du quartier. Oui c'est ainsi qu'ils ont surnommée madame Le Braz car elle est toujours vêtue de vert. Donc je disais qu'elle était enchantée car Marie était une bonne chrétienne ; elle lui faisait la lecture et se décarcassait pour la distraire. Marie était vraiment aux petits soins pour sa bienfaitrice. Aussi vous comprenez que j'ai du mal à croire à la culpabilité de cette pauvre enfant. Il est certain que l'homme de Dieu que je suis ne voit que le bien qui existe dans tout être humain.

– Nous avons trouvé une énorme caisse dans l'appartement, êtes-vous au courant ?

– C'est le piano... sûrement ! Marie avait écrit à son père pour qu'il lui envoya le piano dont elle jouait autrefois.

– C'est une musicienne ?

– Oh non ! Mais elle a reçu une très bonne éducation et ses parents lui ont payé des leçons de chant, de musique et même de danse malgré que ce soit une famille modeste. Son père, je crois, est maître menuisier. C'est lui qui a dû construire la caisse !

– Pourquoi n'est-elle pas retournée chez elle plutôt que mendier ?

– Je ne devrais pas vous dire cela, le secret de la confession, mais tant pis : la malheureuse s'est enfuie avec un lieutenant qui lui avait promis le mariage et puis il y a eu cet affreux accident ! Une soirée un peu trop arrosée... un punch enflammé... une de ses longues anglaises a trempé dans le liquide de feu... vous imaginez la suite...

– Effectivement, ça ne pardonne pas. Mais ce sera plus facile pour nous de la retrouver !

– Oh ! Non... Croyez-moi, monsieur l'inspecteur, elle n'y est pour rien. Elle ne connaissait personne à Paris. Pendant des semaines, elle est restée à l'hôpital et son fiancé en a profité pour la quitter. A sa sortie, apprenant que son régiment était à Paris, elle y est venue. Non, croyez-moi, ce n'est qu'une pauvre enfant meurtrie par le destin !

– Vous savez où habitent ses parents ?

– Non, je ne sais même pas son nom de famille.

Leroux quitta le père Gervais. L'entretien avait été intéressant et le pinot des Charentes plus que généreux en bouche !

La journée était belle et il décida de pousser jusqu'au faubourg saint-Antoine ; cette caisse, c'était vraiment de la belle ouvrage, cela ressemblait à du travail exécuté par le Polak, un menuisier amoureux et respectueux de son métier qu'il exerçait avec art. Bref, le Polak aurait pu être une personne très fréquentable si justement ses fréquentations à lui l'eussent été un peu plus !

Et si ce boulot n'était pas son œuvre, le Polak étant assez élastique avec la morale et confondant souvent « homme d'honneur » et « homme donneur », l'inspecteur aurait quelques tuyaux !

C'est dans le passage du chantier que se trouvait l'atelier du Polak, un solide polonais qui avait fui son pays, quelques années auparavant, pour des raisons inconnues.

Le Polak était là, jouant de la varlope sur une pièce de bois.

– On dégauchit, le Polak ?

– Ah ! Commissaire... c'est vous ?

Le Polak aimait flatter les policiers en enflant les grades.

– Ça fait bien longtemps qu'on ne s'est vu ! C'est vrai que maintenant je suis entré dans le bon chemin. Honnête qu'il est le Polak ! Le travail, rien que le travail...

– En parlant travail, tu n'aurais pas eu ces derniers temps une commande spéciale ?

– Toutes mes commandes sont spéciales, Commissaire ! Je me plie aux désirs de mes clients ! Et y en a des biscornus !

– Une caisse solide pour un piano...

– Qui s'ouvre de l'intérieur ?

– Par exemple...

– Je vous interromps tout de suite ! J'ai refusé de la construire... ça m'a paru louche, une caisse qui s'ouvre de l'intérieur... surtout pour un piano ! J'ai refusé ! Pas d'ennui, je suis un gars honnête !

– Qui te l'avait commandée ?

– Un bourgeois... inconnu... oh ! Une bonne allure, ma foi... on aurait dit un député ! Et qui dit député... dit...

Leroux lâcha un léger sourire. Le bougre n'avait pas totalement tort !

– Donc tu es sûr de ne pas le connaître ? Rappelle-toi !

– Non ! Non ! Inconnu au bataillon ! Et puis le mitan bouge beaucoup ! Ça va, ça vient ! Désolé commissaire ! mais une question, commissaire...

– Oui ?

– C'est de la si belle ouvrage que vous ayez pensé à mezigue ?

– Tu peux le dire ! s'exclama l'inspecteur. Une caisse faite pour durer des siècles... Qui a pu la fabriquer d'après toi ?

– un artiste... un menuisier, disons, peu regardant !

– Qui ?

– Palermo... ou bien le grand Jo... ou aucun des deux !

Peine perdue, les deux ateliers étaient fermés. Palermo était au chevet de sa « mama » en Sicile et le grand Jo en « villégiature » à la Santé pour quelques peccadilles !


-oOo-


Le lendemain, le père Ronchonnat qui était « revenu » de sa guerre était dans le bureau du commissaire Simon. En présence de Leroux, il expliqua comment la « vilaine Marie » l'avait piégé.

– J'étais sur le pas de la porte à fumer tranquillement ma pipe. Quand tout à coup, vlà ti pas que Marie vient vers moi et d'une voix toute penaude me dit : « Msieu Ronchonnat, j'aurais besoin d'un peu d'aide. ». Faut savoir que Hyppolyte Ronchonnat est toujours prêt à rendre service surtout aux dames même si Marie est horrible à regarder, on s'aperçoit rapidement qu'elle a été jolie !

– Abrégez ! Abrégez ! s'écria le commissaire Simon ; on ne va pas y passer le réveillon !

– Bien ! Bien ! Moi je disais ça... Donc Marie m'explique que sa patronne est souffrante et qu'il lui faudrait une tisane mais qu'elle ne pouvait attraper la boite en hauteur car elle perdait l'équilibre si elle montait sur la chaise. Aussitôt demandé, aussitôt accordé ! Je me précipite dans la cuisine de la veuve Le Braz et là !...

Le concierge s'arrêta et repris son souffle.

– et... firent à l'unisson Simon et Leroux.

Le concierge reprit son discours d'une voix outragée :

– A peine grimpé sur un tabouret que la porte se referme et que j'entends la clé tourner dans la serrure. Faut dire que il y a des serrures à toutes les portes dans cet appartement...

– Donc vous vous êtes retrouvé enfermé dans la cuisine. Marie était seule ? demanda l'inspecteur.

– Je n'ai vu qu'elle mais je l'ai entendu dire : « Ronchonnat est bouclé ; filons avant qu'il n'ameute tout le quartier ! ». Heureusement que j'avais mon « pliant » sur moi – je ne m'en sépare jamais – ; j'ai bricolé la serrure de la cuisine mais, après, impossible de sortir de l'appartement, alors j'ai crié ! Et pis... il y avait la morte...

On frappa à la porte du bureau.

C'était un planton :

– Un certain Monsieur Delaseine voudrait s'entretenir avec l'inspecteur Leroux

– Delaseine... Delaseine... ce n'est pas celui qui vend la tour Eiffel aux gogos ? interrogea le commissaire étonné. Pas encore à la Santé cet olibrius ?

– Filou mais très bon cafard ! Alors je le ménage !

Allez voir ce qu'il a à dire, moi je vais terminer avec cet excellent monsieur Ronchonnat.

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