Chapitre 1

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Ma vieille Coccinelle Volkswagen toussotait de plus en plus. Après avoir perdu ses vitres, son pare-brise et la plupart de sa carrosserie, le moteur de ce vieux tacot arrivait finalement à bout. Ça irait pour le moment, on arrivait enfin au bout de cette route pleine de poussière et ma destination était en vue.

Le grand chapiteau semblait se dresser au milieu de nulle part, mais de nos jours c'était le cas pour à peu près tout. Il y avait trois voitures déjà garées, je me mis donc à côté d'elles.

Je fis claquer la porte de ma Coccinelle en sachant que c'était probablement la dernière fois. Après quoi, je tentai d'épousseter ma blouse. Ça faisait longtemps qu'elle était plus jaune que blanche, mais je refusais que cette satanée poussière ne la teinte en orange. J'étais médecin et je tenais à en garder l'apparence tant que je le pourrais !

Un homme sortit de la tente tandis que je me débattais avec mon habit. Il était petit, avec une moustache épaisse et son grand chapeau ridicule cachait mal le fait qu'il était en train de devenir chauve. J'aurais peut-être été moins dur son apparence si par-dessus ça il n'avait pas porté un fort embonpoint. De nos jours, ça n'était pas possible d'être aussi gras tout en étant quelqu'un d'honnête. Mais bon, ça voulait aussi dire que pour une fois j'avais un client qui avait les moyens de me payer.

« Ah ! Docteur Leclerc ! dit-il avec un fort accent du Sud. Content de voir que vous avez pu faire aussi vite ! Vous avez fait bon voyage ?

-Correct je dirais. J'espère juste ne pas m'être déplacé pour rien Monsieur Belépine.

-Ne vous en faites pas Docteur, vous allez vous plaire ici je vous le garantis. Venez, je vais vous faire visiter. »

Nous contournâmes le chapiteau et derrière je découvris un cercle de caravanes défoncées. Au centre un groupe de personnes jouait aux cartes sur une table de jardin en plastique. La troupe du cirque je supposai.

Belépine me présenta rapidement ses employés. Apparemment le groupe comptait un clown, un jongleur, un contorsionniste et un funambule, mais j'aurais été bien en peine de les distinguer les uns des autres. On était plus proches d'une réunion des alcooliques anonymes que d'un rassemblement d'artistes, même si j'étais mal placé pour les juger. Ils levèrent à peine la tête pour nous voir passer.

Il m'emmena ensuite vers une des caravanes, celle que j'allais occuper à partir de maintenant. C'était crasseux, mais au moins ça avait l'air de protéger du vent.

Enfin, il m'emmena dans les coulisses du chapiteau. Il y avait tout un tas de caisses, du matériel et une grande forme arrondie dissimulée sous un drap.

« Qu'est-ce qu'il y a là-dessous ? demandai-je.

-Rien de moins que la raison de votre présence ici Docteur.

-Je croyais que vous aviez besoin de quelqu'un pour s'occuper des membres de votre troupe.

-La bande de branquignoles dehors ? Oui, ils peuvent servir... Donc si vous pouvez faire en sorte qu'ils ne clamsent pas de sitôt ça m'arrangerait. Mais j'ai surtout besoin de vous pour ça. »

Il donna un coup avec le dos de son doigt contre la structure qui résonna avec un bruit métallique.

« Vous comprendrez mieux après le spectacle de ce soir, ajouta-t-il. Je vous ai réservé une place au premier rang pour votre première fois, mais n'y prenez pas trop goût, les prochaines fois, elle sera pour les clients. »

Il refusa de m'en dire plus après ça et me fit sortir du chapiteau tandis qu'il commençait les préparatifs de la soirée.

N'ayant que peu envie de me joindre aux joueurs de cartes, je choisis d'installer mes affaires dans ma caravane et de dormir jusqu'à l'heure du spectacle.

Je fus réveillé par le bruit des moteurs à l'extérieur. En sortant, je fus surpris par le nombre de voitures qui s'étaient garées devant le cirque. Ils n'allaient pas faire salle comble, mais c'était déjà plus que les trois pécores que je m'attendais à voir. Le clown qui était à présent maquillé avait même du mal à tenir le rythme de la billetterie.

Je ne comprenais pas vraiment l'engouement, pourquoi est-ce que tout le monde était si excité de voir une bande poivrots se donner en spectacle ?

Arrivé devant la billetterie, le clown me fit signe de passer. Je n'eus pas de mal à retrouver la feuille de papier avec mon nom dessus, là où j'étais censé m'asseoir.

Sous une lumière blafarde, Belépine fit son entrée au centre de la piste et prit la parole d'une voix forte.

« Mesdames et Messieurs ! Ce soir au cirque Belépine, comme chaque soir, vous allez assister à un spectacle exceptionnel ! Des talents incroyables seront là pour votre plus grand plaisir ! Et pour commencer, pour le bonheur des grands et des petits, Jojo le clown ! »

Je ne m'attendais pas à grand-chose et j'avais raison. Il se contenta de faire semblant de trébucher sur plusieurs obstacles au milieu de la piste sous les quelques rires polis du public. Après quoi passèrent le funambule qui pouvait marcher sur un câble si gros qu'il eut mérité le nom de poutre, un jongleur capable de lancer non pas une, ni deux, mais bien trois balles dans les airs et un contorsionniste capable de passer ses pieds derrière la tête.

L'auditoire ne tenait plus en place à présent. Visiblement, ils n'étaient pas là pour les gaillards d'avant. Belépine revint sur scène, un fouet à la main, tirant derrière lui, montée sur roulette, la mystérieuse structure toujours cachée sous son drap.

J'avais alors compris. D'une façon ou d'une autre, ce Monsieur Loyal de pacotille s'était procuré un fauve quelconque. Je pensais qu'ils avaient tous disparus après les événements, mais il semblait que certains d'entre eux avaient de la ressource.

Mais si c'était ça, Belépine pouvait aller se faire voir. J'étais médecin moi, pas vétérinaire. Il était hors de question que je risque ma peau à soigner un animal sauvage, peu importe la paie. J'avais déjà eu du mal à survivre jusqu'ici...

La voix forte de cet escroc interrompit le fil de mes pensées :

« Et maintenant, le moment que vous attendiez tous ! »

Et il tira le drap.

Le public retint son souffle.

Comme je m'y attendais, sous le drap se trouvait une cage aux barreaux épais. Mais merde... c'était pas un lion ou un tigre ça... Pendant quelques secondes je ne vis qu'une masse blanche et indistincte. Est-ce que c'était des plumes ? S'il pensait que j'avais traversé un désert de ruines pour m'occuper d'un putain de piaf...

Et puis Belépine fit claquer son fouet et la forme à l'intérieur de la cage commença à se redresser.

Deux ailes d'un blanc immaculé se déployèrent et derrière elle apparut un homme, ou bien une femme, je n'aurais su dire, qui cligna des yeux, ébloui par les projecteurs.

C'était...

« Un ange ! » s'écria une voix forte dans l'assistance. « C'est bien un ange ! »

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