Chapitre 6

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Quelque chose siffla au loin. Une flèche à la pointe dorée vint se ficher à quelques centimètres de mon pied et me fit sursauter. J’en cherchai la provenance du regard. Rien. Le noir silencieux me faisait face. Je tournai sur moi-même, scrutant l'absence apparente d'ennemi.

Un rire s'éleva derrière moi. Je fis volte-face et découvris un homme, ou plutôt un garçon, de type asiatique. Il devait avoir seize ou dix-sept ans, de taille moyenne, bien bâti. Il arborait un sourire carnassier qui laissait entrevoir de belles dents blanches et solides. Ses mains étaient agrippées à une hachette dont la lame semblait faite de bronze.

— Alors voici donc la grande Syrine !

— En chair et en os. À qui ai-je l'honneur, enfant ?

— Tu ne crois pas si bien dire, je suis Taï de l'Ordre des Descendants d'Eren.

— Taï ?

— La puissance, ignorante.

— Tu es bien irrespectueux pour un gamin. La puissance ne vaut rien sans la maîtrise de soi, le savoir, l’expérience...

— Oh, ne t'inquiète pas pour ça. Mes frères et moi sommes… complémentaires.

J'avais la vague impression d'avoir déjà entendu parler des Descendants d'Eren, mais je ne savais pas où. Le dénommé Taï ne semblait pas vouloir encore bouger, il m'observait simplement.

— On m'a beaucoup parlé de toi.

— Qui « on » ?

— Tu le découvriras bien assez vite.

— Et que me veux-tu ?

— À vrai dire, je voulais te rencontrer. Je connais ta vie par cœur ! Et puis, je t'ai observée parfois, depuis un an en fait.

Ses courts cheveux noirs étaient si raides que le vent, même s'il commençait à fortement souffler, ne les faisait pas bouger.

— Que c'est touchant, mon premier fan…

— Te rencontrer n'est pas la seule raison de ma présence à vrai dire. Je dois également te tuer. Ce n'est pas contre toi, vraiment. C'est juste que… Tu dois mourir. Mais, si tu te laisses faire, ça ira très vite. C'est une promesse.

J'éclatai de rire, me parant d'une assurance que je n'avais pas réellement sur le moment.

— Comme tu veux Syrine, si tu choisis la manière forte, je respecte ton choix.

— Je suis très touchée. Mais que comptes-tu faire contre moi ? Tu es encore un novice. Je vois dans tes yeux une âme jeune, sans expérience véritable. Tu es peut-être la puissance, mais cela ne suffira pas.

Il renifla ostensiblement.

— Alors il est temps que je te présente mes deux frères.

Il se déplaça sur ma droite et, à ce moment précis, deux hommes surgirent de l'ombre. Le premier possédait un visage pâle et inexpressif, mis à part ses deux grands yeux noirs pétillants. Il était petit et maigre, presque famélique. Ses deux mains étaient gantées et, sur chacun des gants, un cercle argenté était finement tracé. Il avança d'un air absent et se plaça sur ma gauche.

Il était certainement le plus vieux, mais je n'arrivais pas à déterminer son âge. Le deuxième, plus élancé, plus félin, se planta devant moi. C'était visiblement le plus beau des trois, celui qui avait le plus de prestance.

Ses cheveux s'arrêtaient en mèches éparses et inégales au niveau de sa mâchoire, son sourire était presque naïf. Il dégageait quelque chose de sympathique. Dans son dos, un carquois rempli de flèches dorées, et dans sa main un magnifique arc du même matériau.

— Syrine, je te présente Shin, l'esprit, et Gi, l'équilibre.

L'homme ganté me fit un signe distrait, puis l'archer se courba légèrement devant moi.

— Pourquoi vous en prenez-vous à moi ?

— Disons que notre plus chère amie a désiré s'occuper de la mission te concernant. On doit avouer que c'est elle qui a soumis ton nom à la liste. Mais que veux-tu ? Même les Descendants d'Eren peuvent être mus par leurs sentiments !

Gi avait pris la parole. Sa voix était profonde et claire.

— Elle a un nom votre amie ?

— Taï te l'a déjà dit, tu le découvriras bien assez tôt.

— Ne dois-je pas mourir ce soir ?

— Logiquement, si. Mais pour une raison obscure, cette amie ne croit pas en notre réussite. Sache que nous ferons tout pour la faire mentir.

— Cela va de soi. C'est vous qui avez visité mes souvenirs hier ?

Gi fit une grimace, évitant soigneusement les regards de ses comparses qui s'étaient tournés vers lui. Ils semblaient désappointés. Puis Taï éclata de rire et reprit la parole à son frère qui avait viré à l'écarlate.

— Tes souvenirs nous importent peu ! Quoi qu'il en soit, tu seras ravie d'apprendre l'identité de notre amie.

— Tu fais durer le suspense ? C'est pathétique. Crache le morceau.

— Viens le chercher, ma belle !

Gi et Shin reculèrent d'un bond et, du coin de l'œil, je perçus le mouvement rapide de Taï. La lame de sa hachette frôla mon visage, son bras gauche passa devant mes yeux. Il avait un serpent tatoué, enroulé autour du poignet. Je pivotai et lui lacerai un biceps avec ma rapière. Il ne cria pas. Il n'avait même pas l'air d'en souffrir.

Ses deux frères nous observaient, un peu à l'écart. Je ne pouvais pas croire que ce garçon n'avait pas encore dix-huit ans. Ses traits étaient si jeunes, et pourtant son regard était dur et douloureux. Ces yeux auraient dû appartenir à un vieillard, pas à un adolescent ! Qu'est-ce qui avait pu marquer sa vie au point de le rendre si fort à l'âge où il aurait dû être tendre et innocent ?

Ma dague s'enfonça dans la cuisse de mon adversaire, mais il bougea trop rapidement pour que je puisse récupérer mon arme. Il sauta très haut, sa jambe ensanglantée gardant ma lame prisonnière, et tendit les mains vers moi. Une violente décharge m'arracha du sol et me fit retomber plusieurs mètres derrière.

L'énergie grisâtre de l'attaque était encore sur moi quand je me relevai. Ma lèvre s’était ouverte sous le choc. Je goûtais à mon propre sang. Une montée d'adrénaline me saisit. Je me concentrai et hurlai de colère. Une lueur blanche, aveuglante, sortit de mes paumes et terrassa Taï, lui faisant lâcher son arme. Il avait été surpris et mit quelques secondes à se remettre.

J'en profitai, plongeai en avant et lui zébrai le torse de ma rapière. Ma main gauche déroba la dague qui était restée sagement enfoncée dans la chair du garçon, je roulai sur moi-même et me rétablis sur mes deux pieds, dos à l'ennemi.

Une pluie froide nous recouvra soudainement. Le ciel gronda. Un éclair gigantesque déchira la nuit. Je n'eus pas le temps de sursauter, Taï m'abattit ses deux poings joints sur la nuque. Je m'écroulai en pivotant pour lui faire face et lui décochai un coup de pied entre les jambes. Cette fois, il cria et tomba.

J'étais trempée. Mes vêtements collaient à ma peau et étaient tachés de sang. Je me tournai vers les deux frères encore debout.

— D'autres amateurs ?

Aucune réponse ne vint. J'examinai un peu plus les deux hommes, chacun portait un tatouage sur le poignet gauche, le même serpent que Taï. La hachette de ce dernier étincela. J'esquissai un mouvement trop lent.

Mon bras était profondément ouvert. Je crois qu'un bout de chair avait été arraché. Je me retournai, et fis déferler de puissantes ondes lumineuses sur le garçon. Il ne pouvait réagir et encaissait vague après vague. Chaque fois, j'augmentais l'intensité de mes attaques, si bien que les éclairs qui déchiraient le ciel à intervalles réguliers paraissaient bien doux.

Je m'apprêtais à donner le coup de grâce quand un mur translucide s'éleva entre ma victime et moi. Je savais ce que c'était. Un mur protecteur. Taï s'allongea sur le sol boueux, respirant difficilement. Un peu plus loin, Shin psalmodiait. C'était lui qui protégeait son frère.

Une lueur dorée sur ma droite surgit de nulle part. La flèche érafla ma joue, mais la coupure était superficielle. Je cherchai Gi des yeux. Il avait disparu. Shin continuait son incantation, le regard fixé sur Taï qui le rejoignit en claudiquant. Le vent devenait puissant et, soudain, je reçus un coup violent dans les côtes. Je fus projetée à terre, la boue se mélangeant à mes cheveux et pénétrant mes blessures.

Je tentai une fois de plus de localiser Gi, mais je ne voyais rien. Les deux autres frères se moquaient, au loin, de ma stupeur.

L’homme n'avait donc pas disparu, je ne pouvais simplement pas le percevoir. Est-ce qu’il se déplaçait plus vite que la lumière ? Comment pouvait-il atteindre une vitesse telle qu’il en devenait invisible ? Il semblait être aussi translucide et léger que l'air. Une flèche apparut devant moi, je la stoppai net avec une gerbe d’énergie et la regardai s'écraser lamentablement par terre.

Deux autres projectiles surgirent, auxquels je fis le même sort. J'avais enfin repéré d'où provenaient les pointes. Une autre approcha pour me transpercer, je me concentrai sur sa trajectoire et projetai aussi fort que possible ma magie vers son point de départ. Je vis Gi tomber au sol, les résidus étincelants de ma projection crépitant sur son corps. Le sorcier hurla. Il se releva, enragé, et baissa les yeux vers sa jambe sanguinolente.

— C'est énervant de se faire battre par une fille. N'est-ce pas, beau brun ? lui jetai-je à la figure, moqueuse et fière de mon éclat.

J'étais figée au milieu du terrain, personne ne semblait être prêt à repasser à l'attaque. D'un coup d'œil, je vérifiai qu'Adam n'était pas réapparu. Rien, ce qui me soulagea un peu. Mais je sentais que mon sortilège pour le protéger me coûtait beaucoup d’énergie. Gi avança sur moi, ses pas étaient ceux d'un chasseur cruel.

Je ne bougeais toujours pas, j'attendais. Au-dessus de nous, l'orage faisait rage. La pluie tombait en trombes, mais cela ne nous gênait pas.

L'arc au poing, il arriva à quelques centimètres de mon visage et me chuchota à l'oreille, comme si nous étions au milieu d'une foule curieuse :

— Ne t'inquiète pas pour lui, nous ne le voulons pas. Nous ne tuons que ceux qui sont sur la liste. Nous ne sommes pas des monstres !

Il passa la main dans mes cheveux souillés, et tenta d'approcher sa bouche de mon cou. C'en était trop.

Je lançai mon coude dans son estomac, il se plia en deux. J'en profitai alors pour lui attraper la tête et la rejeter en arrière. Je le giflai, à trois reprises, et lui écrasai mon poing dans la mâchoire. Il semblait sonner. Je m'apprêtais à lui envoyer mon pied au niveau du thorax, mais, cette fois, il réagit. L'une de ses mains tordit ma cheville, l'autre abattit son arc sur mon crâne. Je fis un saut splendide et m'étalai sur le sol détrempé.

Je sentais déjà les bleus apparaître sur mon corps, mais je souhaitais sincèrement pouvoir profiter de la souffrance que les hématomes pourraient provoquer : ils étaient là pour me tuer après tout ! Je me mis sur le dos. Il s'agenouilla sur moi, prit une mèche de mes cheveux qu'il trancha avec une de ses flèches.

— C'est juste un souvenir que j'emporte, Syrine. N'aie crainte, je n'en ferai rien.

— Va au diable !

Il éclata de rire.

— Mais non ma tendre, c'est lui qui vient à nous. Bientôt, la Levée du Voile sera déclenchée, et il marcha sur la Terre pour se repaître des impurs !

— T'es complètement barge.

— Chut, je ne te demande pas de me croire. Tu verras le moment venu, si tu survis. En tout cas, merci pour cette rencontre. Je suis un peu las ce soir, et ce n'était pas loyal de t'attaquer alors que tu ne nous connaissais pas. La prochaine fois, je te tuerai moi-même. Passe une bonne nuit.

L'homme se releva, fit quelques pas et sembla s'effacer sous mes yeux. J'étais perplexe. Il paraissait bien le plus fou des trois, et pourtant il partait alors que j'étais presque à sa merci. Sûrement un signe de sa folie.

Mon regard se posa sur les deux autres frères qui, eux, étaient encore là, aussi atterrés que je l'étais. Personne ne comprenait ce qu'il s'était passé, visiblement. Ce petit numéro n'avait pas été prévu. Ils semblèrent hésiter un moment, Gi était probablement le meneur. Puis, après s'être concertés à voix basse, ils tournèrent vers moi leurs yeux, déments, brillants de mille feux maléfiques et menaçants. Taï s'assit et me lança :

— Nous n'abandonnons pas. Gi avait autre chose à faire ce soir, mais Shin va s'occuper de toi !

Je m'attendais à voir l'homme se ruer sur moi. Au lieu de ça, il courut loin de moi, s'installa en tailleur et entama de longs mouvements d'avant en arrière. Je ne comprenais pas très bien le comportement de ces frères, ils avaient des réactions d'aliénés. Néanmoins, j'étais contente d'avoir une minute de répit.

Je me relevai, me tournai vers lui et préparai une remarque cinglante. Mais avant que je puisse ouvrir la bouche, une sensation étrange me saisit. Ma tête se mit à tournoyer, des milliers de voix m'assaillirent. Des cris, des pleurs, des rires et bien d'autres choses s'emmêlaient dans mon crâne, me broyaient les pensées. La douleur était insupportable. Je tombai à genoux. Mes mains se crispèrent sur mes tempes, puis ma vision se troubla.

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