Chapitre 4

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Mahé sortit doucement du Domaine Occulte. Il devait être épuisé par son service. Il portait une élégante cape noire sur les épaules, la nuit était fraîche malgré la saison. De ses jolis yeux bridés, il chercha quelque chose pendant de longues minutes. Il attendit, fuma une cigarette en tapant du pied puis, visiblement déçu, prit la décision de partir. Il commença à s'éloigner de l'entrée du Domaine Occulte, quand il entendit un bruit feutré. Il plissa les yeux, regardant scrupuleusement chaque millimètre des ténèbres qui lui faisaient face. Il était sûrement terrifié.

Ma main glissa doucement dans la sienne. Il ne se rendit pas immédiatement compte qu'il n'était pas seul. Je m'attendais à un sursaut, voire à un cri, mais il caressa ma paume avec son pouce, m'attira à lui et m'embrassa.

— Attends, je n'habite pas loin, suis-moi.

Le garçon n'eut pas le temps de répondre, j'étais déjà parti. Je marchai si rapidement que je l'entendais courir pour me garder à vue. Le jeu me plaisait. Je me hâtais pour que, à chaque virage, il pense me perdre dans la noirceur de la nuit. Notre nuit à tous les deux. « Allez Mahé, viens, ne perdons pas une seconde de plus, ces instants sont toujours trop éphémères… »

 

***

 

Une fois dans mon appartement, je refermai la porte sur Mahé. Il s'attendait à être embrassé, mais au lieu de cela je lui tournai le dos et partis. Je traversai le hall, puis bifurquai dans le salon. Je fis quelques pas et observai cette grande pièce que j'aimais tant.

Un splendide canapé en cuir blanc trônait en maître face à une petite table basse. Il y avait également une longue table de réception, noire, avec des chaises assorties dont seules les assises claires tranchaient l'obscure brillance du bois. C’était un endroit élégant. Au centre de la pièce, j'avais installé un guéridon circulaire sur lequel reposait un magnifique bonzaï. La plante jouissait de l'exceptionnelle luminosité de l'emplacement. La grande baie vitrée laissait entrer les rayons du soleil le jour, et la lumière de la ville pendant la nuit.

Je me retournai vers Mahé. Il n'osait plus bouger. Je venais de repenser, pendant quelques instants, à mon conjoint dans le coma. Ma mine devait être quelque peu défaite. Je n'avais pourtant pas de scrupules ; non, j'étais seulement un peu triste de savoir Robin inconscient. Mais son état ne changeait rien, en définitive. Je l’aimais toujours autant, et je me comportais comme avant son accident. Je m'approchai de Mahé et l'embrassai tendrement. Je lui pris les mains et l’entraînai dans le salon. Il se laissait faire, parfaitement docile. Je sentais, par avance, qu'il serait un amant très doux.

Je le fis asseoir sur le canapé, et débouchai une bouteille de vin rouge, un Bourgogne sans prétention, avant d’allumer quelques bougies blanches autour de nous. Nous discutâmes un peu sur des sujets banals ; nos langues se délièrent, l'alcool incitant aux confidences, nos lèvres s'échangeaient parfois quelques chastes baisers et nos mains s'effleuraient à peine sans rien n'oser de plus.

Nous avions besoin de tendresse, avant tout, ce soir-là. Mais nos yeux se cherchaient pourtant de plus en plus et, après avoir vidé la deuxième bouteille de vin, Mahé me sembla moins inhibé. Beaucoup moins. Ses mains se firent plus pressantes sur moi, elles me parcoururent bientôt, me découvrirent rapidement. Ainsi, impétueuses et passionnées, elles me saisirent. Quelques visions m'assaillirent. Les entraînements de Mahé avec Raven et Chrystel, le meurtre de sa famille, sa haine pour l'intolérance. Les images tentaient de se superposer à la réalité, mais j'en fis abstraction, repoussant mon pouvoir qui essayait de prendre le dessus.

Je me laissai faire. Il s'échauffait et enleva sa chemise. Mes yeux, alors gourmands, dévorèrent son buste athlétique. Sa peau dorée était bombée par des muscles fins et puissants. Son torse me plaisait au plus haut point, je l'embrassai. Mes mains palpaient son ventre robuste. Encore une fois, sa musculature m'impressionnait. J'en perdais la tête. Ses abdominaux étaient longs et saillants. Je ne pouvais plus résister à ses appels.

Je le saisis à la taille, goûtai ses lèvres pulpeuses et le couchai sur le canapé. Je regardai son visage bien dessiné, ses cheveux tombaient en mèches éparses par-dessus ses yeux. Du revers de la main, je lui dégageai la vue. Il finit de me déshabiller, je lui rendis la pareille. Je voulais l'aimer pour une nuit, c'était certain. Le souffle invisible de cet amant d'un soir me couvrait, des frissons me parcouraient. Ses iris bleus me parlaient un langage de désir brûlant. Nos mains se croisaient sans plus de politesses et se hâtaient d'aller travailler les parties plus intimes de nos corps.

Oui, j'adorerais ce dieu exotique, pendant une soirée, le temps d'un plaisir, ou plus, et il disparaîtrait au matin sans que l'on se fasse aucun adieu.

 

***

 

Il était presque six heures du matin. Mahé s'était assoupi. Nous avions fait l'amour plusieurs fois dans la chambre d'amis, car je ne voulais pas partager le lit où j'avais dormi avec Robin. J’étais planté devant la baie vitrée du salon, les yeux perdus dans la mer de lumière citadine.

C'était mon obsession. Dès que j'avais emménagé dans cet appartement, c'était devenu une habitude : je collais mon front contre la vitre et plongeais mentalement dans le vide, croyant sentir l'air me fouetter le visage et voler parmi les nuages. Ensuite, j'observais l'activité des hommes.

Toutes ces voitures qui se croisaient alors que chacun aurait dû être chez soi, auprès des siens… chez soi… c'était désolant. On oubliait de dormir, personne ne prenait plus le temps de vivre. Toujours être pressé, toujours devoir travailler. Tous ces phares qui bougeaient m'aveuglaient, ils me donnaient le tournis. Il me semble que, à ce moment-là, je perdais la tête. À travers les néons, dans cette cité des merveilles, je les voyais tous égarés, autant que je l'étais. À chercher qui ils étaient, à ne plus savoir où ils allaient… c'était d’une tristesse absolue. Une vague d’amertume me recouvrit.

Six heures, je ne voulais pas me coucher. Je souhaitais observer le soleil se lever. On n’y faisait plus attention, à ce soleil. On en avait tellement l'habitude qu'on ne remarquait plus qu'il était là, chaque matin. Pourtant, viendrait le moment où il ne se lèverait plus pour nous. Et lorsque cela arriverait, le jour où tout serait plongé dans le noir, personne ne serait plus capable de se souvenir d'un lever de soleil. Plus capable de l'imaginer, plus capable de l'espérer.

Devant mes yeux, la nuit fuyait. J'étais rassuré. J'attendis. Quelques minutes. On y était. À cet instant précis, le ciel n'était plus nuit et n'était pas encore jour. Tout en haut, au-dessus de ma tête, il y avait le noir, et puis mon regard descendait un peu pour découvrir un bleu azuré. À l'horizon, des lueurs orangées, roses, jaunes, se mélangeaient. Je voyais la vie et l'espoir, là, devant moi.

Les mains de Mahé me saisirent les épaules. Je me retournai et l'embrassai. La nuit avait été belle, le matin également. Nous retournâmes nous coucher et fîmes l'amour… une dernière fois.

 

Je fis des rêves singuliers. Bien qu’étranger aux songes prémonitoires, j’avais la même sensation que lorsque j’avais rêvé du corps de Robin, dans le mausolée aux roses démoniaques. Chrystel me parlait.

« Quelque chose se prépare, Kami. Méfie-toi du serpent. C'est lui qui provoque le malheur du monde, depuis la nuit des temps c'est lui. » Elle se tenait debout, sur une falaise. Derrière elle, en contrebas, des villes brûlaient. Le monde avait l'ocre de la terre, le noir de la fumée, et le rouge du sang et des flammes. Il n'y avait plus de soleil, de ciel, ou d'arbres. Tout était destruction et feu. Chrystel me tournait alors le dos, et tendait le doigt vers une petite forme au milieu des décombres d'un immeuble. Une fillette sautait de ruines à vestiges, se dissimulant de je ne savais quoi. « Trouve-la, et sauve la Kami. Non, ce n'est pas l'enfant en lui-même dont je te parle. Comprends-moi, Kami, je t'en prie. » Des cris retentissaient au loin, des explosions et des sirènes. « Surtout, ne te fie pas à ceux qui se font connaître avant les autres, sinon elle est perdue ! Songe que ceux qui ont du retard peuvent se faire voler leur place… Attention aux faux prophètes. »

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