Chapitre 2

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Je jetai un œil à l’heure sur mon téléphone portable. Aucune notification. Le rendez-vous dépassé et toujours aucun signe de vie de la part de Danyl et Enio. Je levai la tête et mon regard fut happé par celui de mon lieutenant.

­- Alors ?

Je secouais la tête en signe de négation. Ils ont dû se perdre en chemin. Prenant une grande inspiration je me tourne en direction des membres de mon clan. Bastien me devança :

­- Rick et Arielle, vous pouvez faire un tour en vol d’oiseaux ? Afin d’essayer de trouver les retardataires.

Arielle qui était en pleine partie de UNO, releva la tête.

­- Vous avez essayé de les contacter par télépathie ?

-­ Ils doivent être encore trop loin pour intercepter le message, intervint Rick sans sortir le nez de son livre.

Nous nous étions réunis dans ma cabane. La pièce à vivre paraissait bondée alors que nous n’étions pas encore au complet. Ma cousine, Hylana, et Aldrick nous avaient rejoint au milieu d’après-midi. Ils jouaient aux cartes avec Laureen, Aliya et Arielle. De ce que j’avais entendu, Laureen menait la dance. Mon lieutenant m’avait kidnappée pour jouer aux échecs. Il me l’avait vendu comme un jeu qui entrainait la stratégie. J’avais très vite compris que ce n’était pas fait pour moi. J’observais avec envie le groupe du UNO assis autour de la petite table du salon.

­- Ça commence à devenir inquiétant, avouai-je.

Mon amie posa ses cartes et se leva en s’époussetant les genoux. Elle se positionna devant Rick, les mains sur les hanches.

­- Allez, ferme ton livre et on y va.

Ce dernier s’exécuta. Il se mis debout et posa l’ouvrage sur la table. Les deux oiseaux se dirigèrent vers la sortie.

­- On revient dans 20 minutes, nous informa Rick.

­- Restez à portée de télépathie, intervint mon Bastian.

­- Oh ça va, on n’est pas débile non plus, protesta Arielle.

Je lui fis signe de se calmer. Ce n’était pas le moment de s’énerver. Personne ne risquait quoi que ce soit, autant les deux retardataires que les deux chercheurs. Mais Arielle n’aimait pas recevoir des ordres. Surtout quand ils venaient de Bastian. Elle me répétait régulièrement qu’elle ne supportait pas sa manière de diriger le clan. J’essayais de lui faire comprendre que mon second m’aidait beaucoup et que j’avais besoin de lui.

­- Avertissez-nous quand vous les aurez trouvés, dis-je avec un sourire d’encouragement aux lèvres.

Ils passèrent la porte et s’envolèrent. Aldrick alla ouvrir la fenêtre, un courant d’air frais s’introduit dans la pièce. Mes cheveux se soulevèrent légèrement alors que je profitai de cette brise nouvelle.

­- Échec.

Je m’écroulai sur la table. Je jouai avec l’une des pièces blanche du plateau. Mon dernier fou. Je pouvais lui prendre son cavalier pour ne plus être échec, mais il me le prendrait avec un pion.

­- On est obligé de continuer ce massacre ?

Il me fit non de la tête. Je couchai mon roi et m’apprêtais à rejoindre la partie de UNO quand il m’interpella :

­- Quel était ta stratégie lors de la partie ?

J’haussai les épaules.

­- J’ai juste avancé les pions au hasard.

Il me regarda d’un air dépité. Je profitai de cet instant de répit pour reprendre la place qu’Arielle avait quittée. Sept cartes dans la main et la partie pouvait commencer.

Les minutes passèrent et les nouvelles n’arrivaient toujours pas. Ruby, couchée sur mes jambes, était la seule chose qui m’empêchait de me lever pour partir leur recherche.

­- V…dez ? Vous…enten… Vous m’entendez ?

Je sursautai si fort que je faillis lâcher mes cartes. La voix de Rick raisonnait dans nos têtes. Elle paraissait encore lointaine.

­- Oui, on t’entend. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? questionnai-je.

Je le sentis rire, ce qui me fit sourire. Une image apparut dans nos esprits.

­- Ils étaient encore en pleine. Ils ne trouvaient pas le chemin pour monter. Arielle est avec eux en ce moment pour les guider.

Aliya s’appuya légèrement contre moi.

­- Alors ? Rassurée ?

­- Oui, répondis-je en hochant la tête. Hey, triche pas !

Je voyais les yeux de mon amie dériver sur mes cartes. Je les collais contre ma poitrine alors que cette dernière se redressait en me tirant la langue.

­- Que veux-tu que je fasse ? m’interrogea Rick.

Je réfléchis un instant avant de lui donner cartier libre. Je savais les deux retardataires entre de bonnes mains. L’atmosphère s’allégea en un rien de temps. Nous discutions et plaisantions. Des rires fusaient lorsque des coups retentirent à la porte. Hylana alla ouvrir je tendis l’oreille pour entendre ce qu’il se disait.

­- La leadeur Katharina Bess est-elle ici ? interrogea une voix inconnue.

­- Oui elle est là, rétorqua ma cousine. Qu’est-ce que vous lui voulez ?

­- Elle a rendez-vous avec les leaders. On m’a chargé de l’y escorter.

Bastian se posta dans l’embrasure de la porte. Les bras croisés sur sa poitrine il défia l’étranger. Un frisson me parcouru l’échine.

-­ Elle peut s’y rendre par elle-même. Et si elle avait besoin d’une escorte, ce ne serait certainement pas à toi t’y coller.

Dire que j’avais oublié cette réunion serait un euphémisme. Je me levai et me plaçai entre mes deux protecteurs. Ruby se faufila jusqu’à mes pieds. Quel était le protocole dans une situation pareil ?

- Je suis la leadeur Katharina Bess. Qui êtes-vous, quel est votre rang et qui vous envoie ?

Bastian et Hylana me regardèrent interloquer. Un grand homme blond aux yeux marron se tenait là. De la sueur perlait sur son front.

­- Je me nome Julian Dupuy, lieutenant du clan Felida. Nassira Azaïs, leadeur du clan Felida, m’envoie à votre rencontre afin de s’assurer que vous arriviez à bon port et dans les temps, répondit-il en inclinant légèrement la tête.

­- Dis plutôt que personne ne me croit capable d’assurer mon rôle, me plaignais-je à Ruby.

Un goût amer envahis ma bouche. Je reconnaissais là le signe de mon renard, elle me signalait qu’elle était du même avis que moi. Bastian, qui ne se défaisait pas de sa posture, ne quittait pas Julian des yeux. Je sentis le lieutenant Felida me toiser de haut en bas. Une légère grimace se dessina sur son visage. Soupirant, je fis un signe au nouveau venu d’entrer.

­- Donnez-lui un verre d’eau, ordonnai-je. Je vais me changer.

M’enfermant dans ma chambre, je ne vérifiai pas que ma demande soit exécutée. Ruby, qui m’avait emboitée le pas, m’observait. J’ouvris brusquement l’armoire et y plongeai le nez. Je finis par en extirper la robe bleue marine que ma mère m’avait faite acheter. J’hésitais fortement avec la noire que j’avais emmenée par caprice.

­- T’en penses quoi ?

­- Noir.

­- Elle s’accorde mieux à ton pelage, je suis d’accord.

Je fis l’échange avant de m’écrouler sur le lit. La tête dans les mains, je n’avais qu’une envie : me laisser aller à la panique. Elle était là, sous la surface, entourée de phrases et d’idées auxquelles j’interdisais l’accès à ma conscience. Je n’y arriverai pas. On me jugera inapte. Je n’étais pas faite pour être leader. On me jugera. J’étais trop jeune. On me jugera. Je ne causerai que des soucis. On me… STOP ! La renarde vint se frotter contre ma jambe. Je sortis de ma torpeur et me préparai.

Cinq minutes plus tard j’entrais dans la pièce principale. J’avais attaché mes cheveux comme je l’avais pu avec un élastique retrouvé au fond de la valise et enfiler une paire de ballerine. Le silence régnait. Laureen avait très certainement essayé d’engager la conversation, mais Julian n’avait pas l’air très bavard. En me voyant, il se leva. Remerciant pour le verre, il pris congé de mon clan. J’esquissai un sourire qui se voulait rassurant à Bastian et Hylana avant d’emboiter le pas de mon guide.

Nous étions en fin d’après-midi. Il était prévu qu’à la fin de la réunion, se tiendrait un buffet afin de faire plus amples connaissances. La chaleur était pesante, mais devenez supportable grâce à la brise fraiche qui commençait à se faire sentir. Je marchais d’un pas raide, pour contrebalancer à celui fluide de Ruby. Pourtant, je décelais chez elle le même stresse qui occupait dorénavant mon estomac. Je me tournais vers le lieutenant Felida.

­- De quelle race est votre animalus, m’enquis-je en espérant briser la glace.

­- C’est un chat.

­- Mais encore ?

Julian me lança un regard avant d’ajouter avec fierté :

­- Un maine coon.

Ce fut la fin de notre palpitante discussion. Qu’on me donne quelque chose à faire ! Je n’en pouvais plus. J’avais la sensation d’être emmenée devant un tribunal. Je rentrai la tête dans les épaules et attendis le verdict.

­- C’est ici.

Il n’y avait pas moyen de se tromper. Le bâtiment devant lequel nous nous tenions, se trouvait être le plus imposant de tout le camping. Richement décoré, on aurait dit qu’il venait d’un autre monde que le nôtre. Un petit château entouré de cabanes. La bâtisse était construite sur deux à trois étages part endroit. Les murs blancs étaient grignotés par des plantes grimpantes ici et là. Je distinguai ma tante, exécutant des aller-retours comme un lion en cage. Lorsqu’elle nous aperçut, elle s’immobilisa les poings sur les hanches.

­- Fallait-il vraiment en arriver là ? protesta-t-elle.

­- Ce sont les ordres de…

­- Oui ça va, on s’en fiche. Maintenant va rejoindre ta leader comme le bon toutou que tu es. J’ai à parler à ma nièce.

Le félin, visiblement vexé, entra dans le château sans ajouter un mot. Le portier, parce qu’il y en avait un, ne reçut aucun signe de gratitude. Mon attention se reporta sur ma tante. Mon regard rencontra des yeux verts. Les mêmes que ceux de papa. Un large sourire se dessina sur son visage, faisant apparaître une petite fossette à droite.

­- Comment vas-tu ? me demanda-t-elle en me prenant dans ses bras.

Une odeur de vanille envahit mon nez. A force d’être toujours dans les fourneaux à préparer des pâtisseries, l’arôme avait fini par l’imprégner. J’inspirai profondément.

­- Ça pourrait aller mieux. Danyl et Enio ne sont toujours pas là. Arielle et Rick les ont trouvés, donc ils devaient arriver d’un instant à l’autre. Ils s’étaient perdus.

- Je ne demande pas comment ton clan va, grommela-t-elle avant de reprendre avec tendresse. Comment est-ce que toi, Katharina Bess, ma superbe nièce, te portes-tu ?

Je me dégageais doucement de son étreinte avant de lui répondre :

­- Mieux, depuis que tu es avec moi.

Ce n’était pas un mensonge. Je pouvais enfin respirer. Bien n’était pas la réponse qui me serait venue tout de suite en tête. Le cœur qui battait à tout rompre, les jambes en coton et les mains moite ne pouvait pas amener à une réponse positive.

­- L’important c’est que tu restes toi-même. Ne laisse pas ces traditions arriérées et qui n’ont plus aucun sens te le faire oublier.

Je répondis par un signe évasif de la tête et me laissai guider jusqu’à la porte d’entrée. L’homme, qui se tenait à côté du battant, me rappelait Alfred le major d’homme dans Batman. Il salua ma tante respectueusement avant de nous ouvrir la porte.

­ Genna Haut, mademoiselle Bess, tout le monde vous attend.

- Vous le savez tout autant que moi, les invités de marque se font toujours attendre, répondit ma tante, un sourire malicieux aux lèvres.

Elle le remercia d’un signe de tête. Quant à moi, je lâchai un faible merci avant d’emboiter le pas de Genna. Invitée de marque, le clou du spectacle plutôt. J’avais les jambes en coton. Ce fut à ce moment-là que Ruby apparut. Elle passa la porte juste avant que l’homme ne la referme. Je la pris dans mes bras. En lui demandant ou est-ce qu’elle était passée. Elle ne me répondit que vaguement en m’envoyant des images d’endroits qu’elle avait découvert. Si je ne m’étais pas battue pendant plus de 15 minutes avec mon maquillage, j’aurais enfoui ma truffe dans ses poils roux comme à mon habitude quand j’étais stressée.

Le bâtiment dans lequel nous mirent les pieds était richement décoré. Entre les tapisseries aux couleurs vives, les fresques qui courraient tout autour de nous, les tableaux décrivant des scènes spectaculaires et les statues de personnes sûrement de grande importance, je ne sus plus où donner de la tête. Tout cela ressemblait beaucoup à ce que j’avais vu lors de ma visite au CMA. Nous montâmes une volée d’escalier avant d’arriver devant une lourde porte en bois. J’entendis des voix provenant de l’autre côté. Ma tante l’ouvrit sans toquer et entra dans la pièce. J’avançai d’un pas avant de me figer.

Ce n’était pas la pièce qui m’avait prise au dépourvu. Pourtant il y avait de quoi. Une grande table ronde en marbre blanc prônait au milieu de la place. Six chaises étaient disposées autour. Cela me rappelait Arthur et sa table ronde. Le sol était recouvert d’une fine mousse dans laquelle on avait envie d’y plonger les orteils. Des tapisseries bien moins extravagantes qu’au rez-de-chaussée donnaient un air de fraicheur à la pièce. Un côté féérique se dégageait de cet endroit.

Ce qui m’avait clouée sur place était plutôt de l’ordre des vivants. Une femme très élégante, habillée d’une robe pastelle d’on j’osai à peine imaginer le prix, était assise sur l’une des chaises. Elle était grande et svelte. Ses longs cheveux blonds encadraient son doux visage. Une lourde chaîne en or pendait à son cou. À chacun de ses mouvements les bracelets qu’elle portait aux poignets tintaient délicatement. Je fus incapable de lui donner un âge. Sur sa droite, un homme plutôt petit à l’air stressé. Il était habillé d’un costard brun, surement hors de prix. Ses cheveux en brosses étaient parsemés de cheveux blancs. Je ne lui donnai pas plus de 60 ans. De l’autre côté de la blonde, se tenait une vielle dame. Habillée chiquement en rouge, elle semblait s’être assoupie sur sa chaise. Ses cheveux gris étaient retenus dans un chignon. Genna s’était assise à côté de l’aînée. Il y avait ensuite une chaise vide, qui était sûrement la mienne.

Je dus avaler ma salive avant de pouvoir lever les yeux sur la dernière personne présente dans la pièce. Un homme d’une quarantaine d’année était installé à la gauche de ma place. Ses muscles saillaient au travers de son costume noir. Une barbe bien entretenue encadrait son visage. Il avait attaché ses cheveux noisette en une queue de cheval basse. Je ne l’avais jamais vu, je n’étais pas attirée par les personnes qui ont l’âge de mes parents. Pourtant, il me procurait de drôles de sensations. Je rougis à cette pensée et croisai les doigts pour que personne ne remarque mon désarroi.

Je n’avais pas à m’en inquiéter. La blonde et l’homme séduisant entretenaient une discussion très animée, presque violente. Le petit homme, qui se trouvait entre eux, essayait de le calmer. La vieille dame, comme je le disais plutôt, dormait. Il y eu juste ma tante. Je priai qu’elle ait pris ma réaction pour de la gêne et du stress. Elle me désigna la chaise de libre. Je m’y assis précipitamment. Manquant de tomber, je me rattrapai à la table. Mon action réveilla la grand-mère et tout le monde se tut. Leurs yeux braqués sur moi, je ne pus que m’installer au fond de mon siège et fixer le marbre devant moi. Mon problème de bijoux me semblait bien des moindre en ce moment.

Genna se racla la gorge et toute l’attention fut porté sur elle.

- Et si nous commencions cette réunion ?

- Bonne idée, dit la vieille dame en se redressant.

Elle posa délicatement ses mains sur la table avant de continuer :

- Comme le veut nos coutumes, moi, Feryel Genet, alpha du clan Mo’i, déclare la séance ouverte. Par le rang que me procure mon âge, je serai donc Obbaansama. Ainsi, vous me devrez respect et honneur, obéissance et loyauté durant le temps impartit qu’il nous a été donné de vivre ensemble. Selon ma volonté, ainsi soit-il.

- Ainsi soit-il, répétèrent les quatre autre personnes présentes.

- Ain-ainsi soit-il, béguai-je avec un train de retard.

- Beauvais, vous serez notre scribe, ajouta-t-elle.

- Oui dame Genet, répondit l’homme stressé.

Grâce aux cours reçu par ma mère, je savais qu’on utilisait Obbaansama pour une femme et Obbaansam pour un homme. Une personne pouvait prétendre à ce titre lorsqu’elle devait présider une assemblée. Il était possible de révoquer le titre. Il fallait pour cela répondre « selon ma volonté » au lieu de « ainsi soit-il ». Des protocoles que tout le monde se devait d’appliquer. Ils devaient être aussi vieux que le monde. Ensuite un scribe était nommé. Il était là pour prendre des notes durant la réunion. Le vent emporte les mots, alors que les écrits restent.

En extérieur, j’essayais de rester le plus calme et posée possible. Alors qu’à l’intérieur je ne tenais pas en place. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Je me sentais comme une canette sous pression. Si quelqu’un avait le malheur de m’ouvrir, je lui exploserais dans les mains. Ruby, qui avait élu domicile sur mes genoux, me fixait. J’entendais toutes les questions mentales qu’elle m’envoyait. Je ne lui répondis pas. J’usais de toute mon énergie disponible afin de suivre la conversation.

J’appris donc que la femme élégante s’appelait Nassira Azaïs, qu’elle dirigeait le clan Felida. Le petit homme stressé se nommait Sarkis Beauvais, il est l’alpha du clan Physa. Guido Crevier, l’homme à ma gauche, était le leader du clan Canida.

Je ne me sentis pas des plus utile lors de cette réunion. Toutes les questions à propos de mon clan étaient posées à ma tante. Elle y répondait sans broncher. Je me levai donc et, sans saluer personne, sortis de la pièce. Je me dirigeais en direction de ma cabane. Je pourrai ainsi me changer et souffler un peu. Puis partir à la découverte des lieux. Du moins, ce fut ce qui se passa dans ma tête. Ruby me lécha la main, ce qui me ramena à la réalité ou cinq paires d’yeux me fixaient.

- Euh… dis-je mal à l’aise. Pouvez-vous répéter s’il vous plaît ?

Nassira, ne cachant pas son irritation, prit la peine de m’expliquer le sujet aborder. Sous le regard amusé de la grand-mère, je compris que j’avais été plongée dans mes pensées plus longtemps que ce que je croyais.

- Comme tu le sais certainement, il est impératif de cacher notre existence aux humains. Nous pension donc qu’il serait prudent de poster tous les lieutenants à des points stratégiques pour nous protéger.

Je la fixai, ne comprenant pas où elle voulait en venir.

- Pour employer d’autres mots, reprit Sarkis de sa voix fluette. Vu que nos clans devront se côtoyer, il nous semblait normal que les cinq lieutenants montent la garde.

Je regardai ma tante. Elle m’adressa un doux sourire.

- Ils veulent que tu leur confie Bastian.

Une multitude de pensées me tombèrent dessus. La plus clair et dominante fut : il est à moi.

- Hors de question, m’exclamai-je.

Sous le regard étonné de tous, je réfléchis rapidement. Il fallait que je trouve les mots qui résument la cacophonie qu’était devenu mon esprit.

- Je ne suis pas d’accord avec le terme employé. Bastian, mon lieutenant, participera aux rondes que vous organiserez. Seulement, je ne vous le confie pas. Il sera sous mes ordres. Je lui dirai de respecter le planning qui sera mis en place.

Guido hocha la tête.

- Je comprends ton point de vue et je suis d’accord avec toi. Nous confions la sécurité du camp aux lieutenants et pas le contraire.

Je frissonnai au son de sa voix grave. Je me repris rapidement, je devais encore préciser un point avec ces alphas. Ne sachant pas exactement comment m’imposer tout en respectant le protocole, je levai la main en prenant la parole :

- À ce propos, j’aurais une requête à vous soumettre.

Je m’assurai que j’avais capter l’attention de tout le monde avant de reprendre :

- Comme vous le savez, mon clan est tout neuf. Nous ne sommes donc pas encore très habitués… Nous ne sommes pas…

Me perdant dans mes mots, je une légère pause s’imposa à moi. J’inspirai avant de continuer :

- En résumé, nous venons à ce camp pour nous entrainer et passer du bon temps. J’aimerais que mon lieutenant ait assez de temps libre entre ses gardes pour qu’il puisse nous rejoindre dans nos exercices et se reposer comme il faut.

- Ça devrait pouvoir s’arranger, dit Feryel songeuse.

- À peine arrivée qu’elle réclame déjà un traitement de faveur, cracha la blonde.

Stressée par les événements et perturbée par ce que je ressentais pour l’homme à ma gauche, se fut la belle Nassira Azaïs qui ouvrit la canette que j’étais devenue. La colère qui, comme à son habitude, balaya toutes les règles de politesses et de savoir-vivre que je m’étais enfoncées dans le crâne. Une douce chaleur m’envahie. Mon corps rapetissit de quelques centimètres. Ma queue et mes oreilles de renard apparurent. Mes ongles poussèrent jusqu’à devenir des griffes et mes dents se transformèrent en crocs. Je me levai brusquement, en même temps que mon corps opérait ces changements. Ruby, qui était la seule à l’avoir senti venir, réussi à sauter sur la table avec délicatesse.

- Je ne demande pas un traitement de faveur, grognai-je.

Sarkis sursauta si fort que je crus qu’il allait tomber de sa chaise. Guido se mis sur la défensive et Nassira qui était en face de moi me regarda d’un œil mauvais. Ma tante avait agrippé sa chaise, alors que Feryel n’avait pas réagi.

- Vous voyez ? lança la blonde en se levant. C’est exactement de ça que je vous parlais avant que la séance ne débute. Je ne sais pas ce que le conseil avait en tête en acceptant qu’une telle novice accède au rang de leader. Elle n’est même pas capable de gérer ses transformations. Comment pourrait-elle gérer un clan tout entiers ?

Sarkis s’empressa d’acquiescer l’air penaud. Je fulminai. Elle se permettait de juger, de remettre en question une décision du conseil et surtout de remettre en question ma capaciter à guider mon clan, ma nouvelle famille. Ruby montrait les dents.

- Que tout le monde se calme et s’assied, exigea gentiment la vieille dame.

Nous nous exécutâmes. Je ne me donnai pas la peine de me retransformer en humaine. Ce qui était un pur manque de respect, mais je m’en fichais totalement. Leurs règles de bienséance à la noix ils pouvaient se les mettre là où je le pensais. On ne m’insultait pas sans réaction de ma part. Je n’étais pas le type de personne que l’on pouvait regarder de haut et cela, ils l’apprendraient à leurs dépens. Ruby ne revint pas sur mes genoux. Elle s’assit sur la table, bien droite, prête à réagir au quart de tour.

- Maintenant que nous avons fini avec le sujet de la protection, je vous propose de continuer avec celui du programme des cours pratiques.

- Feryel, à ce propos, j’y ai réfléchis et…

Je décrochai à nouveau. Le problème n’était pas dans le fait que je m’ennuyai, mais plutôt dans celui que je n’arrivai pas à me concentrer. Toutes ses émotions à la fois, je me retrouvais incapable de les gérer. Je choisis donc l’option la plus simple : me laisser bercer par le son de la voix grave, adulte et rassurante de Guido.

Après quelques minutes, curieuse, je humai l’air. Je fus déçue de ne pas comprendre les informations que je captais. Je tournai mon esprit vers Ruby, qui compris tout de suite ce que je cherchais. Elle m’informa donc que Feryel était une tortue étoilée d’Inde, autrement dit une tortue terrestre. Je souris, car je trouvais que cela lui allait bien. Elle m’indiqua ensuite que Nassira était un angora turc, tout bonnement un chat. Rien de surprenant. Sarkis quant à lui étais un cochon d’Inde abyssinien. D’où son air stressé de rongeur. Quand elle m’apprit que l’homme à ma gauche était un bouledogue américain, un chien, je dû serrer les dents pour ne pas laisser ma mâchoire pendre.

Ruby ne compris pas ma réaction. Je lui transmis que je lui expliquerai tout plus tard. Je la sentis lever les yeux au ciel. Elle semblait dire qu’on n’avait pas à s’inquiéter des oreilles indiscrètes. Je lui expliquai qu’il nous faudra plus qu’une discussion de 5 minutes pour tout mettre à plat avec ce qui se passait dans mon esprit.

- Bien. Maintenant que nous avons tout dit, je pense qu’il est temps de mettre fin à cette réunion, dit Feryel de sa douce voix.

Revenu à la réalité, j’inclinai la tête avec mes quatre congénères. La doyenne utilisa la formule de rigueur :

- Le temps impartit qu’il nous a été donné de vivre ensemble arrive à sa fin. Il n’est donc plus lieu de respect et d’honneur, d’obéissance et de loyauté. Je perds mon titre d’Obbaansama et redevient Feryel Genet, alpha du clan Mo’i. Comme le veut nos coutumes, j’offre le couvert à ceux qui ont respecté ma volonté, ainsi soit-il.

- Et nous vous remercions, déclarèrent cinq voix à l’unisson.

La tortue se leva et attrapa une canne que je n’avais pas vue. S’aidant de cette dernière, elle se dirigea vers la sortie en nous invitant à la suivre. Ruby sauta sur mes épaules avant que je ne me lève. J’eu à peine le temps de d’avancer de quelques pas, que ma tante passa un bras autour de ma taille. Je m’attendis à recevoir une série de remarque sur mon comportement, mais rien ne vint. Je lui jetai un œil discret et je n’aperçus que son visage amical qu’elle abordait en tout temps. Je me demandai alors si un jour je pourrai avoir cette même confiance, cette même force qui l’habite.

Après avoir traversé un long couloir, nous arrivâmes dans une petite pièce où prônait un énorme buffet. Le décor était le même que celui de la salle que nous venions de quitter. Ignorant le regard fusillant de l’angora turc, j’enlevai mes ballerines et les laissai à l’entrée. Je fus rassurée lorsque je vis ma tante retirer ses propres chaussures. La mousse sous mes pieds était douce et fraîche. Je retins mes envies de petite fille et ne me mis pas à faire des roulades sur le sol.

- Je vois que vous avez les mêmes habitudes, sourit Feryel.

Je répondis sans réfléchir :

- Nous avons été élevées à pieds nus. Je ne vois pas pourquoi nous changerions maintenant. Surtout quand nous sommes des métanimus.

La tortue rigola de bon cœur.

- Je vois que tu te détends enfin. J’avais peur que tout cela soit un peu trop dure à gérer pour toi.

- Oh vous savez, dis-je en bombant le torse. Il en faut plus ce ça pour m’impressionner.

Ce qui était totalement faux. J’étais même intimidée par ces grands chefs. Seulement, je ne l’avouerai en aucune circonstance. La grand-mère s’accrocha doucement mais fermement à mon bras.

- Accepterais-tu de manger avec moi ? Ben sûr, si tenir compagnie à une vieille dame ne te dérange pas. Je serais curieuse d’entendre ton avis sur nos us et coutumes.

Sentant que je n’avais pas vraiment le loisir de choisir, je répondis simplement :

- Vous n’êtes pas si âgée que ça. En plus, j’ai toujours pensé que c’était l’esprit qui faisait fois.

- Tes parents t’ont bien éduquée petite.

Je ne réagis pas au « petite » qui m’hérissa les poils et me laissai guider au buffet froid accoudé à l’un des murs de la salle. Je pris une assiette et me servis d’un peu de tout. Quand on est en pleine croissance il faut manger ! En tous cas c’était ce que n’arrêtait pas de répéter ma grand-mère. Sous l’œil avisé de la doyenne, je me servis de ce qu’il me semblait être du jus de pomme pétillant. Feryel se contenta d’une assiette de salade mêlée.

Une fois installées à une petite table, ma renarde s’installa à nouveau sur mes genoux et la tortue commença à converser. Elle me parla d’abord de tout et de rien, ce qui eut pour effet de me détendre. Je me surpris même à plaisanter sur tel ou tel sujet avec elle.

- Je serais curieuse d’avoir ton avis. Que penses-tu de cet endroit ? me demanda Feyrel

- C’est un endroit chaleureux. Il est très accueillant et remplis d’histoire. Je suis curieuse de savoir quel personnages importants ses murs ont vu passer.

- Je sais que tu n’en penses pas un mot.

Surprise, je fixai ses yeux chocolat. Une lumière indéchiffrable brillait dans son regard. Je détournai mon attention sur mon assiette pour embrocher une tomate avec ma fourchette. Je la portais à ma bouche quand elle reprit :

- Tu peux le dire avec tes mots, je ne me vexerai pas.

Elle ne n’avait pas réagi lors de ma demi-métamorphose, je savais déjà qu’elle ne porterait aucune importance sur mon vocabulaire. L’entendre dire confirma juste ce que je savais déjà : cette mamie était formidable. Je reposai mon service, jetai un œil à la pièce et me lançai :

- L’idée du camp est géniale. Elle permet à tout le monde d’ouvrir ses horizons, de connaître d’autres métanimus et animalus. Nous croisons d’autres clans et nous créons de nouveaux liens. Seulement…

Je m’arrêtai, ne sachant pas comment continuer, ni où je voulais en venir. Heureusement pour moi, les vieux ont appris la patience. Elle m’encouragea à continuer par un sourire.

- Il y a quelque chose de bizarre. Si nous prenons ce bâtiment par exemple : il est carrément hors sujet ! On ne voit que lui dans le sur des kilomètres. L’intérieur je ne vous en parle même pas. C’est tellement m’as-tu vu. Le sol est recouvert de lichen. Si on voulait avoir un sol moelleux, pourquoi construire une telle bâtisse ? Nous pourrions très bien nous réunir en forêt, ne sommes-nous pas à moitié animaux ? Et toutes ses règles de bienséances… Pour moi ça ressemble beaucoup à de la fausse politesse. Autant se dire les choses franchement tout en respectant l’autre, c’est plus efficace. Je me demande aussi pourquoi est-ce qu’on force deux clans totalement opposés à se côtoyer, ajoutai-je en désignant de la tête Nassira et Guido. S’ils ne peuvent pas se supporter qu’ils aillent camper et s’entraîner chacun de leurs côtés.

Feryel sembla réfléchir quelques secondes avant de me répondre :

- Les séparer ne donnerais pas l’effet inverse justement ? S’ils ne se voient jamais, comment pourront-ils régler leurs différends ?

- Peut-être, mais les enfermer dans une même pièce n’est pas la solution non plus. Ils risqueraient de s’entre tuer avant d’avoir pu régler quoique ce soit.

- Alors que proposes-tu ?

Ce fus à mon tour de mettre en route mes méninges. Comment arranger les choses de sorte que deux clans qui se haïssent par nature puisse cohabiter.

- Je dirais qu’il faudrait qu’ils se retrouve sur un terrain neutre. Qu’ils discutent sous la surveillance d’autres personnes afin qu’ils mettent leurs différents de côté et puissent se comprendre l’un l’autre.

Me rendant compte de ce que je venais de dire, j’écarquillai tout grand les yeux alors que le sourire de la grand-mère s’étirait encore plus.

- Oh, fut le seul son qui sortit de ma bouche.

- Je vois que tu es arrivée à la même conclusion que moi très chère enfant. Ce camp est l’endroit idéal pour eux.

À chaque fois que quelqu’un me traitait comme une mioche j’avais les dents qui grinçaient. J’essayai pourtant d’ignorer cette sensation, Feryel ne veut pas m’énerver. C’était juste sa manière chaleureuse de s’exprimer.

La soirée passa plutôt rapidement, à mon grand étonnement. Les discussions avec la leader du clan Mo’i étaient très intéressantes. Elle m’expliqua entre autres que son clan existait depuis bien longtemps. Auparavant, il était même l’un des groupe le plus peuplé. Elle y était arrivée à cette époque. Les métanimus, comme les humains, ne sont pas éternels. Les membres sont morts les uns après les autres. La plupart de vieillesse, pour les autres je n’ai pas osé l’interroger.

Genna remarqua que mon jus de pomme pétillant était en fait du cidre du même fruit. Elle le vit alors que je me levais pour me remplis un énième verre. En me levant, j’ai failli nouer une jolie relation avec le sol en mousse et, étonnamment, la tortue me retint avec sa canne. Ma tante me sauta presque dessus pour me redresser. Elle s’excusa auprès des leaders en leur disant qu’il était temps pour moi d’aller me coucher. Étant de son avis, je ne protestai pas. Genna attrapa nos chaussures, une fourrure rousse me sauta sur les épaules et nous voilà téléporter dans ma cabane.

Je sus que mon lieutenant était là avant que je ne l’aperçoive sur le canapé. Il m’expliqua que Danyl et Enion avaient fini par arrivé et qu'il s'était occupé de leur montrer les lieux et de les installer dans leur cabane. Je l’ai remercié en lui adressant le plus beau sourire que j’étais capable de produire au vu de mon état. Je filai ensuite à la salle de bain pour me démaquiller et enfiler le training qui me sert de pyjama. Quand je rejoignis Bastian au petit salon, Genna avait déjà mis les voiles. Je me couchai sur le canapé et mis ma tête sur les genoux de celui que je considérais comme mon grand frère. Il avait mis un film en route. Je m’endormis rapidement alors qu’il démêlait mes cheveux avec ses doigts. Ma dernière pensée fut pour ma renarde. Comme chaque soir et chaque matin, je la cherchai avec mon esprit. Il ne faudra pas que j’oublie de lui expliquer ce qu’il s’était passé avec Guido, chef du clan des canidés. Cette nuit, comme toutes les précédente depuis ma rencontre avec Ruby, je ne rêvai pas.

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