Cyril et les autres

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Je dois vite rentrer chez moi. Vite. J'ai du mal à les faire tenir tranquille. Ces derniers temps, ça leur semble plus difficile pour eux de ne pas se manifester. Probablement à cause de mon prochain livre.

Je me précipite dans la rue pour retourner chez moi. J'ai l'air pressé comparé aux autres passants qui tracent leur petit chemin tranquillement. Certains me regarde de biais. Tant que ce n'est que ça, ça me convient. C'est pour cela que j'évite de me présenter sous mon nom d'auteur: le public ne me reconnaît pas. Je suis l'anonyme, m.Tout-Le-Monde.

Ma maison n'est plus qu'à une cinquantaine de mètres. Mais Kurt a manifestement envie de s'exprimer:

- Regarde la bonnasse sur le trottoir d'à côté !

- La ferme !, sifflé-je.

- Tu l'as reluqué, toi aussi !

- La ferme !, je répète.

Je presse à nouveau le pas, courant presque. Heureusement, il n'y avait personne aux alentours.

Enfin, je suis chez moi. A peine ai-je franchi la porte qu'ils déboulèrent tous.

- Sérieusement, cela fait combien de temps que tu 'as pas sauté une nana ?

- Mais les filles, c'est comme les fleurs, il faut les prendre avec délicatesse !

- Il faut déjà les prendre tout court !

L'innocence de Tim me surprendra toujours. Et alors que Kurt s'apprêtait à lui servir d'autres remarques toutes aussi subtiles sur la copulation humaine, Marvyn me fait part de ses réflexions:

- Je suis d'accord: le stress de ta prochaine publication te rend plus instable sur le plan émotif. Il faudrait que tu....

- Te mettes à la méditation pour être plus en phase avec toi-même et ta créativité !, l'interrompit Angelo, d'un air fier.

Cela fait maintenant qu'il essaye de me convaincre de me mettre au yoga ou autre activité à base de karma, chakra, et je ne sais plus trop quoi.

Et les voilà qui se dispute sur les vertus de la méditation d'un point de vue psychique.

Depuis six ans maintenant, ces quatre-là me suivent partout. Il y a Kurt, le dragueur narcissique et un tantinet obsédé sexuel; son exact opposé Tim, un garçon qui reste toujours un enfant, avec son innocence et sa naïveté; Marvyn, qui se prend pour la voie de la raison et qui n'a rien à envier à Jimmy Criquet; et enfin Angelo, l'archétype de l'artiste tourmenté, fan des bâtons d'encens, des paysages favorisant l'inspiration, et autres trucs de ce genre. 

- Les gars, calmez-vous !

- "Calmez-vous" ?, reprend Kurt, qui ne nous a pas fait sortir depuis hier ? 

- C'est vrai, appuie Angelo, il ne faut surtout pas que tu nous renies trop longtemps, cela pourrait faire baisser ton inspiration.

- Peut-être, mais vous savez très bien pourquoi je ne pouvais pas vous laisser hier. Jean est passé et je ne pouvais pas vous laissé faire ce que vous voulez.

- Pourtant, ce n'est pas comme s'il ne se doutait rien, remarque Marvyn, pourquoi ne lui dis-tu pas la vérité ?

- Parce que les conséquences risquent d'être lourdes. Et...

- Et blablabla, riposte Kurt, épargne-nous ce refrain une énième fois !

- Vous avez l'air d'avoir du mal à comprendre ! Je....

- Cyril ?

Surpris, je me retourne. Jean est dans l'encadrement de la porte, un air perplexe marquant son visage.

 - Qu'est-ce que tu fais ?

- Je... je...

Vite, une idée !

- Je me récitais une idée de dialogue qui me venait.

- Hum hum...

Jean passe devant moi avec un air suspicieux. Il est à la fois l'un de mes éditeurs et l'un de mes plus proches amis, pour ne pas dire l'un des seuls.

- Je croyais que tu ne viendrais pas avant 15:00 ?, dis-je pour tenter de changer de sujet.

- Je sais, mais j'ai réussi à me libérer un peu en avance donc j'en ai profité pour venir ici. J'espère... que je ne te dérange pas.

Le ton de sa voix a changé sur la dernière partie de sa phrase. Je sens que Kurt va l'ouvrir, mais je l'en empêche aussitôt.

- Après tout, ce n'est pas comme s'il y avait beaucoup de monde dans ton appart'.

- Je préfère la solitude, je réplique, je peux me concentrer plus facilement. 

- Hum hum...

Il me regarde droit dans les yeux. Oh oh, ce n'est jamais bon signe, ça...

- Cyril, je m'inquiète pour toi. Tu vis seul,tu sors très peu de chez toi, tu n'as pas beaucoup de visites. La prochain stade, c'est l'ermite.

- Je vis mieux comme ça. Et puis, je ne suis jamais réellement seul.

 - Ah bon ? 

- Oui. J'ai mes personnages.

Jean soupire.

- Je parlais de vraies relations, des relations entre des personnes réelles.

- C'est justement leur réalité qui nous font vivre, toi et moi.

- Pas cette réalité-là !

Mais avant que je ne puisse répliquer, une sonnerie de téléphone retentit. Jean sortit son potable décroche, échange deux ou trois phrases avec son interlocuteur et raccroche.

- Je dois y aller. Il y a un problèmes avec l'impression des livres. Je repasserais plus tard.

- Oui, dis-je avec un ton froid.

On se salue vaguement et il sort dans mon appartement.

Aussitôt a-t-il disparu dans les escaliers que je referme la porte, et pousse un profond soupir.

En vérité, je sais très bien ce qu'il penserait de Kurt, Tim, Angelo et Marvyn. Je sais très bien ce que tout le monde penserait. Ils diront que je suis fou. Mais je les entends, ils existent. Je suis libre de croire en eux ou non. 

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