Flavie

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Flavie sortait du lycée en furie, les yeux rougis.

La fin des cours venait de sonner et déjà l'établissement semblait désert.

La jeune fille laissa échapper un sanglot rageur et rejoignit à grands pas son arrêt de bus, le coeur prêt à exploser. Toute sa tristesse se changeait en colère, une rage douloureuse qui lui comprimait la poitrine.

Elle refoulait à présent ses larmes, consciente du regard des passagers du bus. Elle croisa celui d'Adèle, une fille de Terminale, comme elle. La jeune fille lui addressa un regard compatissant, tentant de deviner ce qui avait pu causer les larmes de Flavie, puis s'approcha d'elle. Elle posa une main sur son épaule, prit sa main.

- Qu'est-ce qui ne va pas, Flavie ?

- Rien. Laisse-moi, s'il te plait, répliqua la jeune fille en dégageant sa main, avec plus de brutalité qu'elle ne l'aurait souhaité.

Elle vit l'air un peu choqué d'Adèle, dont les yeux s'étaient agrandis sous l'effet de la surprise. Voyant qu'elle venait de la froisser, Flavie reprit, plus calmement :

- C'est juste que... Je n'ai pas très envie d'en parler.

Et elle descendit sur-le-champ, alors que les portes du bus s'ouvraient sur l'arrêt du Puits-Saint-Paul.

Des larmes s'échappèrent encore aux coins de ses yeux et la jeune fille les cueillit sans douceur sur la manche de son pull.

Elle regrettait d'être descendue du bus avant son arrêt, elle allait devoir marcher quinze minutes pour rejoindre le pavillon de sa mère.

Soudain elle s'arrêta net. Sur le trottoir d'en-face, elle avait cru voir Fabrice. Son mec. Enfin plutôt son ex depuis quelques minutes...

Elle inspira un grand coup. Non, Fabrice n'était pas là, elle était à présent loin de sa présence destructrice. Quoiqu'elle le reverrait le lendemain, et chaque jour, et ainsi jusqu'aux vacances.

Flavie songea qu'elle l'avait sans doute mérité. Et elle reprit sa marche, le pas mal assuré.

Elle passa dans un tunnel et l'écho de ses pas lui rappela de mauvais souvenirs. Elle se sentait seule. Désespérement seule. Elle se dit une fois encore que c'était bien fait pour sa pomme.

Son ombre difforme et démesurée projettée sur les parois obliques du tunnel, nimbées d'une lumière exsangue, semblait la dominer comme une mauvaise âme.

Partout dans le tunnel retentissaient ses halètements précipités, pareils à une effrayante musique.

Elle ne s'attarda pas et continua sa route. Toujours et encore. Oublier ce qui fait trembler, courir pour ne pas faire face à la peur. S'écraser et fuir, loin. Au-delà des craintes et des chagrins. Nier, ignorer. Pour ainsi dire : exister à moitié. Etre une demi-entité. Rabaissée. Plutôt : exister sous le joug de l'absolutisme de la crainte perpétuelle. Dans l'ombre de la terreur de ce qui pourrait advenir de son destin, s'il se brisait dans le poing du despote au charme enjôleur. Cet infâme pirate du coeur, qui bouleversait et abattait sur elle sa sentence à la moindre insurrection, retenant son sujet comme un chien en laisse.

Mais Flavie ne voulait pas y réfléchir. Elle n'avait pas envie de penser à son pirate. Celui qui avait pris possession de son navire intérieur. Ce flibustier qui avait dérobé son coeur, son âme, son corps. Qui avait commencé à faire couler son navire intime après l'avoir sauvé des eaux. Avant qu'il n'arrive, cette embarcation de fortune dérivait depuis quelques temps, à la merci des foudres océaniques et des aléas des tempêtes. Et Fabrice avait mis le grappin dessus. Il était monté à bord pour tenter de reprendre le contrôle de l'embarcation en perdition. Mais ce n'était qu'une apparence. Une fois l'équilibre du bateau rétabli, il n'avait pas hésité à en prendre possession, comme le forban qu'il était.

Mais aujourd'hui, Flavie avait largué les amarres. Et le flibustier avec.

Il n'était plus question de continuer la route avec lui, elle se sentait naufragée sur son propre bateau. Non, elle était libérée de son emprise souveraine, à présent.

C'était ELLE, le capitaine de son navire. Et malgré tous ses torts, Fabrice l'avait sans le vouloir, aidée à lui faire ouvrir les yeux.

Mais au fond d'elle, elle savait que l'amour qu'elle éprouvait à l'égard de ce boucanier ne faiblirait pas avec le temps, ni la distance. Elle ne pourrait pas ignorer ses sentiments, même s'ils s'avéraient destructeurs. Elle n'en avait pas encore conscience, mais elle replongerait bientôt tête la première dans la mer déchainée, et nagerait sans relâche jusqu'à retrouver son sauveur, pour ne plus s'en détacher jusqu'à ses vingt-six ans, une fois dans la tombe.

Flavie mit sa capuche. Il s'était mis à pleuvoir. Le temps s'accordait avec son humeur. Elle pleura encore, comme elle le ferait désormais chaque jour de sa vie après celui-ci.

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