Une 22 long rifle

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”Je me garai tout au fond du parking bourré d'ornières dans la nuit noire. Il s’agissait de ma dernière mission, l'ultime, la boucle se fermait ce soir. Je récupérais la 22 long rifle chargée et enveloppée dans une vieille couverture dans le coffre de la voiture. Je portais un manteau sombre qui descendait au niveau de mes chevilles. Je l'ouvris et y glissai mon arme, canon en bas, la crosse à hauteur de mon aisselle. Je refermai mon véhicule avant de marcher en direction de l'entrée de l'immeuble.

Arrivée à mi-chemin, mes cheveux se dressèrent sur ma nuque et ma peau se couvrit de chair de poule. Quelqu'un m'observait, encore, je le sentais. J’accélérai le pas, le cœur battant, agrippant mon fusil. Avais-je été démasquée ?

Je me doutais que les policiers établiraient le lien entre Pierre et Daniel, et que celui-ci les mènerait à moi. Mais pas ce soir. Pas avant mon ultime vengeance. Ils peuvent venir frapper à ma porte demain, je les attendrai, mais pas maintenant. Néanmoins, mon instinct me soufflait qu'il ne s'agissait pas des forces de l'ordre, ni cette nuit ni la dernière fois.

Je grimpai les quelques marches à l’entrée du bâtiment, tapai des chiffres sur le digicode puis pénétrai dans l'immeuble. Je m'étais procuré le code plusieurs semaines auparavant auprès d'un jeune lui expliquant avoir oublié les numéros. Trop pressé d’entrer, il me les montra sans discuter en ronchonnant.

À l'inverse de l'extérieur, l'intérieur semblait propre et bien entretenu. Je montai deux étages sans prendre l’ascenseur, et longeai un couloir jusqu’à l’appartement que je cherchais, me guidant à la simple lueur du panneau de sortie de secours et de mon portable.

Je sonnai. Dans le couloir, me parvenait en sourdine de la musique classique provenant de l'appartement. Je reconnus le Prélude de Jean-Sébastien Bach. Je ne sais pourquoi, mais ce son fit monter mes larmes et ma colère. Ce fils de pute écoutait cette belle mélodie, mais il ne méritait pas de l'entendre. Je pris sur moi. La porte s'ouvrit sur l'homme se trouvant dans le box des accusés au procès d'assise sept ans plus tôt. Sa sortie de prison datait de trois ans. Je ne gardais de son visage qu'un souvenir flou, alors qu'il devrait être gravé dans ma mémoire.

— Oui ?

Sa voix douce me surprit. Malgré ses cinquante ans, ses traits marqués et émaciés le vieillissaient. Il détailla mon visage en fronçant les sourcils.

— Je vous connais, non ?

— Je ne pense pas, je m'appelle Emma.

Ma voix glaciale le décontenança, puis un éclair de compréhension traversa son regard, et là il me fixa.

— Bien sûr, seigneur, votre ressemblance est frappante. Entrez, je vous en prie.

Il s'effaça devant moi, et je pénétrai, décontenancée dans un endroit aseptisé. La pièce principale contenait quelques meubles modernes mais sans âme. L'appartement rutilait de propreté, mais le parfum provenant des bougies disposées sur le comptoir de la cuisine ouverte ne pouvait masquer l'odeur de la mort qui imprégnait l’air. Cachant la surprise que sa réponse provoqua en moi, je lui demandais.

— Vous me connaissez ?

— Oui, enfin de manière indirecte. Asseyez-vous, voulez-vous boire quelque chose ?

— Non merci, je préfère rester debout. Comment me connaissez-vous ?

— Comme vous le souhaitez, permettez-moi de m'asseoir, je ne peux rester très longtemps sur mes jambes.

L'homme s'installa dans un fauteuil. J'attendis.

— Je vous connais grâce à votre père. Il me parlait beaucoup de vous et de votre sœur, il me montrait souvent des photos qu'il cachait dans son portefeuille. Il vous aimait plus que tout, vous savez ? Il était si fier de vous.

Mes yeux s’embuèrent de larmes, des larmes que je refusais de laisser couler devant lui. Tout mon corps tremblait, puis la colère, salvatrice, refit surface.

— Comment osez-vous me raconter ça ? je vous interdis de parler de lui comme d'un ami.

— Et pourtant il l'était. Je pense que vous avez le droit de connaître la vérité sur sa mort. Votre père m’a rendu visite un jour. Il m'a raconté sa joie de vous voir mariées et votre sœur maman, d'avoir connu son petit fils. Mais il se retrouvait seul avec votre mère qui lui faisait vivre un enfer et ça, il ne le supportait plus, il ne souhaitait plus vivre ainsi.

Mon cœur se mit à cogner dans ma poitrine. Je refusais d'entendre ce qui allait suivre. Quinze jours avant que cet homme ne le tue d'un coup de 22 long rifle en pleine tête, mon père m'avait tenu les mêmes propos, sauf pour ma mère, et ajouté que désormais il pouvait mourir sereinement. Il avait accompli son devoir, aider ma mère à élever ses enfants issus de son premier mariage même s'ils étaient déjà grands, puis s'occuper, aimer et faire grandir ses jumelles, moi et Marie, en les protégeant comme il pouvait de notre mère.

Je voulais qu'il arrête de parler, mais les mots restèrent coincés dans ma gorge, il continua.

— Je suis malade depuis de nombreuses années, votre père avait atteint ses limites. Alors nous avons décidé de passer un marché. Je prenais sa vie et m'ôtais la mienne ensuite, faisant croire à une dispute due à l'alcool. Je possédais déjà l'arme, pour moi. Nous avons bu, je l'ai tué. Mais pour moi le courage m'a déserté. En appelant la gendarmerie pour signaler la mort de mon ami, je me rappelais que personne ne devait être au courant de la véritable raison, et surtout pas ses jumelles.

— Eh bien, si vous dites la vérité, vous auriez dû aller jusqu'au bout. En fait vous êtes un lâche. Mon père n'est plus là pour confirmer ou infirmer vos dires. Pourquoi vous croirais-je ? Vous avez tué mon père, pour moi votre action occulte toutes les conneries que vous me débitez.

Je gesticulais alors que la colère menaçait de prendre le dessus, et dans un mouvement trop vif, le bas de mon manteau s'ouvrit, révélant à ce meurtrier la vue de mon fusil. Il écarquilla les yeux, fixa son regard sur moi, bondit de son fauteuil et me fit face, blême et tremblant.

— Vous êtes venu pour me tuer n’est-ce pas ? Je vous ai dit la vérité, la seule chose qui ait changé étant que je ne souhaite plus mourir malgré ma maladie. Alors je vous en prie, j'ai payé ma dette à la société. Vous venger ne vous mènera à rien sauf à la prison.

— Vous avez payé votre dette envers la société, mais pas envers moi. Vous avez tué l'une des deux seules personnes au monde qui m'aimait et que j'aimais. Alors non, vous n'avez pas payé.

Il tenta de s’enfuir, mais mon arme était déjà braquée sur lui.

— Non, non, je vous en prie ! ! je vous en supplie ! ! pitié...NON ! NONNN...

Je sortis de l'appartement, hébétée. Je doutais que les voisins aient entendu quoi que ce soit. La 22 long rifle s'avère peu puissante et très silencieuse. Je commençais à remonter le couloir, le fusil toujours caché à l'intérieur de mon manteau.

Je sentis une présence derrière moi. La même que sur le parking. Une présence meurtrière, je reconnaissais l'odeur de cette froideur qui s’était emparée de moi. Une autre fragrance s’y ajoutait, une fragrance que je n’arrivais pas à identifier, elle semblait bouillante puis glaçante. Elle m’effrayait. Je tentais de me retourner pour frapper.

— J'éviterais cela, à votre place.

Une voix grave, calme, glaciale. Je sentis le sang battre à mes tempes alors que je commençais à trembler. Mon corps se couvrit de frissons en même temps qu’une sueur froide dévalait ma colonne vertébrale. Je ne pus faire un geste alors qu'un bras musclé m'entourait la gorge et serra mon cou. J'essayais de me débattre, mais l'homme maintenait une poigne solide. Je ressentis un étourdissement, une impression de déplacement du plancher, des points lumineux devant les yeux, un bourdonnement puis le néant.”

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