Chapitre VIII

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Lundi 6 Novembre 2023, Parc du Grand Blottereau, Nantes.


- Du nerf Lauzel ! Ce serait cool de terminer le nettoyage du parterre avant midi !

Je soufflai, expirant un grand nuage de vapeur. Une fourche entre les doigts, je soulevai en grognant un gros tas de paille à moitié pourrie. La bruine matinale durait depuis neuf heures ce matin, et ne faiblissait pas, à mon plus grand damn. Je me rapprochai du bord du muret qui séparait le carré potager du parc, et soulageai mon outil de sa charge en vidant la paille dans la remorque en contrebas.

Mission de la matinée, nettoyer le carré potager et vider toutes les ordures accumulées dans la remorque attelée à un petit tracteur Kubota. Il était onze heures vingt environ, et nous n'avions pas encore terminé de biner autour des cardes et des choux. Solal me lança un regard amusé, ses yeux jugeant mes cheveux qui frisaient ridiculement sur mon crâne à cause de l'humidité, et mon nez rougi qui n'arrêtait pas de couler.

J'avais été assigné à Solal cette semaine, et mon ami avait été chargé de me superviser. Il était donc mon responsable en ce moment, et nous en rions beaucoup. Solal bossait à la ville de Nantes depuis cinq ans, et avait été assigné en permanent au parc du Grand Blott pas plus tard que la semaine dernière, pour notre plus grand bonheur. C'est ici que nous nous étions rencontrés, quatre ans plus tôt, alors que je commençais mes études au lycée professionnel éponyme au parc. Nous nous étions entendus très vite, et je me faisais une joie de travailler et discuter avec le gars, qui venait balayer les feuilles mortes et tondre les pelouses une fois toutes les deux semaines. J'avais passé mon bac pro horticole, avec deux ans de retard, et enchaîné avec un BTSA, le Brevet de Technicien Supérieur Agricole, avec Pierre. En théorie sur le terrain, j'étais sencé être plus compétent que mon très cher collègue. Mais ça ce n'était que sur le papier... En vérité, ce diplôme me permettrai de ne pas être payé au SMIC pour trimer dans la boue ou sous un canniard à crever.

- C'est pas moi qui me tourne les pouces depuis cinq minutes, je te rappelle !

En effet, l'Israëlien avait croisé les bras sur le manche de sa pelle, et me toisait d'un regard profond, essayant de m'analyser, comme il le faisait toujours. Il avait posé son menton sur ses gros avant bras recouverts d'un splendide vêtement de pluie vert vomi.

Une bourrasque de vent le fit frissonner. Il rabatit la capuche de son manteau de pluie sur sa tête, les mèches de cheveux qui lui tombaient sur les yeux gouttant sur le bout de son nez concave. Le vêtement qu'il portait était assez large et très long, lui arrivant jusqu'aux genoux. Ajoutez à cela un dessus de pantalon tout aussi vert, coupé dans cette même toile ciré de pêcheur, et des bottes trop grandes crottées de terre. Il avait une dégaine de pédophile clodo.

- On ne parle pas comme ça à son chef !

- Mais ...

Solal me balança à la tronche une mauvaise herbe qu'il venait d'arracher. Je protestai.

- Au boulot petit branleur !

Je me remmettai à l'ouvrage, soulevant une autre brassée de paille et de déchets végétaux, avant de la balancer dans la benne du tracteur en contrebas. Depuis le début de la semaine, je n'étais pas très efficace, un peu dans un état second. Il faut dire que toutes ces péripéties avec cette foutue succube ne me laissaient pas vraiment tranquille. Mais dieu merci, elle n'était réapparue ces dernières vingt quatre heures. Elle passait son temps à rôder, apparaître dans mo champ de vision, me donner des cauchemars, des sueurs froides, et autres hallucinations. Cela n'avait pas échappé à mon collègue, à qui je n'avais pas encore vraiment parlé de tout ce qui s'était passé à halloween dernier. C'était comme si j'étais dans une période post-cuite, le cerveau embrumé, ralenti, et le corps aussi mou qu'un flambi. Solal me rejoignit dans mon dur labeur. Nous terminames le parterre envion dix minutes avant la pause déjeuner.

- Allez Olivier, monte dans la benne, on emmène le tracteur au tas de compost.

Solal sauta du muret où nous étions perchés avec la souplesse d'un chat, emportant une partie de nos outils avec lui. Il se dirgea vers le tracteur Kubota qui, par chance, était affublé d'une cabine. L'engin, d'un orange encore plus criard que le sweat de cette chère Cindy, ressemblait plus à un jouet pour enfant qu'à un véritable tracteur. Les roues avant auraient pu être volées sur un tricycle, et celles à l'arrière étaient aussi lisses et en mauvais état que les pneus des voitures des manouches. Un tracteur de gitan, en fait. Mon collègue ouvrit la porte de l'engin dans un couinement rouillé, et le battant de plexiglass finit par lui laisser la place de s'introduire à l'intérieur de la cabine. La tête touchant le plafond, le grand gaillard fut oubligé de se pencher dans la cabine de l'appareil, beaucoup trop petite pour son imposante carure. Il était ridicule, je retint un fou rire.
De mon côté, je descendais derrière mon ami, manquant de me ramasser la gueule dans l'herbe détrempée au passage. Tachant de rester digne, je balançais ma fourche et les poubelles dans la remorque avant de m'y hisser. Solal tourna la clé dans le neman de l'engin, qui peinait à démarrer.

Crachant et toussant de la fumée noire, le tracteur manqua de caler, avant de se remettre à vomir de la fumée polluée, et de s'ébranler dans un insupportable crissement de boîte de vitesse usée.
Le tracteur avançait lentement vers le hangar où nous rangions les engins agricoles. J'en profitai pour parcourir d'un regard morne les alentours du parc, calé entre une poubelle et les rebords cabossés de la remorque. Nous passions devant la serre tropicale à ma droite, et je laissai mes pensées s'évader aussi loin qu'allait le parc à ma gauche. Il y avait encore quelques personnes pour y faire leur footing, des vieux à la retraite à l'air morne et abscent, et des prolos à promener le chien. Leurs silhouettes, presque fantômatiques dans la bruine les effaçant, étaient rendues floues. Un soubressaut créé par un nid de poule ébranla notre convoi, alors que nous passions devant les bâtiments XIXème qui structuraient les parterres du jardin à la française. Je posai un attention toute particulière aux plates bandes fraichement refaites, ornées de giroflées et d'échinacées chétives. Je retroussai le nez, dubitaf. C'était effectivement hideux.

Solal fit birfurquer le tracteur sur sa gauche, et le gara finalement près de la grange où nous rangions le matériel agricole, et où se trouvaient nos affaires. Il éteignit l'engin, et s'extirpa de la cabine, non sans peines.

- Allez, à table !

Je soupirai d'aise. Je n'attendais que ça depuis au moins onze heures, faire réchauffer mes nems au micro-ondes.

Avec soulagement, je retirai cet hideux et inconfortable vêtement de pluie vert, et enfilai une vieille paire de sneakers, celles qui me servaient d'habitude au taff quand il ne pleuvait pas. Mon ami fit de même, enfilant pour sa part une paire de rangers défoncées, le modèle des para, apparemment. Puis il se saisit de son sac, alors que je faisais de même avec ma besace. Nous allions voir si Cindy était au foyer, il était hors de question que nous mangions dehors par ce temps.

Au loin, en revenant vers les bâtiments du lycée, je finis par distinguer le survêtement orange fluo de ma camarade. Elle tenait un sac de nourriture au bout du bras, sans doute un kebab. Elle se retourna vers nous en entendant des gens se rapprocher, délaissant les cinq autres élèves avec qui elle parlait, un sourire illuminant son visage en nous voyant.

- Olivier ! Solal ! Vous allez bien ?

- Ouais ça vas.

Sarah, Elora, Louis, Dam's et Anthony nous saluèrent de loin, ne connaissant que très peu Solal, et intimidés par sa carrure de spartiate. Celui-ci, voyant que sa venue n'était pas passée innaperçue du côté des filles du groupe, se mit à sourire.

- On peut manger avec vous ? Demandai-je à tout hasard, peu motivé à manger dehors.

- Bien sûr ! Confirma Cindy pour tout le groupe, sans vraiment leur demander leur avis

La jeune femme se dirigea de suite vers le foyer, qui n'était pas encore prit d'assaut par les étudiants, bien que peu nombreux à cette période de l'année. Entre les stages, les apprentissages et les alternances, il n'y avait plus grand monde au bahut. Nous n'avions pas non plus de réfectoire, le lycée étant trop petit pour le financer. Ceux qui mangeaient avec l'établissement étaient obligé de se déplacer au lycée de la Collinière, situé à dix minutes de marche. Dès le début de ma scolarité ici, j'avais opté pour l'option "démmerde" préférant me débrouiller avec mes propres moyens et les micro-ondes. Au pire, je pouvais encore remonter la rue jusqu'à la boulangerie à l'angle de l'arrêt de tram, et revenir en mangeant un sandwitch. Nous étions beaucoup à avoir choisi la seconde option.

J'entrai dans le foyer, et prenai d'assaut le premier micro-ondes qui venait, constatant que personne aujourd'gui ne mangeait dans le parc, mauvais temps oblige. Cindy se réserva une table ronde non loin de là, et s'affala sur une des chaises en grognant sortant son téléphone et jouant à un jeu de bagnoles, accompagné de Dam's et Elora, qui n'avaient apparemment pas besoin de faire chauffer leur repas. Je m'affalai à la droite de mon amie cinq minutes plus tard, suivi de Solal, à ma gauche.

- Alors comme ça, t'es pas en stage, Cindy ?

- Nan, c'est mon cousin cette semaine. On alterne, entre les classes AP et Horti.

- Ah oui, c'est vrai ...

Ma camarade croqua à pleines dents dans le pain de son kebab, léchant du bout de la langue la sauce barbeccue qui coulait sur ses lèvres. J'en profitai pour jetter un oeil à mon collègue, qui pianottai sur son téléphone sans avoir ouvert son tupperware. En parlant de tupperware, tiens ...

- Lâche ton téléphone, Solal. Mei n'est pas connectée. Tu crois qu'on t'as pas vu ? Lançai-je à l'intéressé, qui sorti le nez de son appareil.

- Je tenais juste à vérifier qu'elle n'étais pas morte.

- Dis plutôt que tu voulais voir si elle ne t'avais pas envoyé de nouveaux nudes ! Je connais ma meilleure pote par coeur, Solal. Et je sais tout ...

Un sourire goguenard fendit son visage. Le grand gaillard rangea son téléphone dans sa poche et ouvrit enfin sa boîte, farfouillant au fond de son sac pour trouver une fourchette.

- Je ne me prononcerai pas sur ce sujet ... Ah !

Il avait trouvé sa fourchette, mais cela avait suffit à attiser la curiosité de mes camarades de classe.

- Attends ... Mei, c'est pas la meuf qui traîne avec Pierre ? Lança d'abord Sarah, lâchant sa cuillère pour boire un peau d'eau.

- Ouais, c'est même sa meilleure amie, si tu veux tout savoir. L'informa le hamster à côté de moi, la bouche à moitié pleine. Ils étaient dans la même école primaire, le même collège.

- Ah, je la vois de temps en temps passer vous voir au parc. Elle est super belle ! Renchérit Elora, la petite brune à la crinière de boucles. Elle jeta un regard en coin à ses amies, avant de se mettre à piapiater à voix basse. Moi et les autres mecs ne cherchâmes pas plus à entendre les caquètements de ces trois poules. Cindy, évidemment, était de la partie.

- Attends, tu veux dire que tu te tapes un canon pareil ?! Elle est grave fraiche en vrai cette nana ! En plus les métalleuses dans le genre, ça doit être quelque chose en caractère.

Louis, le grand blond en face de moi, tombait presque des nues en réalisant de qui nous parlions. De mon côté, je me tenais à ne rien dire, préférant éviter que cette conversation ne me retombe sur le coin du nez. Mon regard fut attiré par une touffe de cheveux cramoisi. Sans doute une nouvelle, ou la dernière fantaisie d'une élève de seconde ...

- Si tu savais ... Grogna mon voisin.

" Y'a pas que le caractère... " Pensais-je, alors que l'Arabe s'étirait en croisant les bras derrière lui, faisant craquer son dos, et faisaint bifurquer légèrement le regard de Sarah et Elora sur sa musculature de spartiate. A côté, je ressemblais à un déporté d'Auschwitz.

- En même temps, il a du sex appeal, notre Arabe, hein ? Continuai le hamster, ayant remarqué les regards intéressés de ses deux amies.

- Cindy ! Protesta l'une.

- Je dois bien avouer qu'il n'est pas laid...

De mon côté, je continuai à suivre du regard la silhouette fine et élancée de la nouvelle aux cheveux rouge. D'épaisses boucles rouge sang dégoulinaient sur les épaules de l'intéressée, que je ne voyais que de dos. Elle portait des vêtements classiques, jean noir slim, sous pull gris très près du corps, et basket de marque. Elle n'était pas très loin de notre table.

- Je pensais que les rebeus t'intéressaient pas, Sarah ?

- Le terrain est glissant, je ne m'aventure pas dans ce genre de débat.

Solal s'en lavait les mains, et je le comprenais. Il savait pertinemment que les femmes le trouvaient attirant, aussi bien physiquement que psychologiquement. Elles se cassaient souvent les dents sur ce dernier détail. Il était insupportable. Plutôt en peinture que dans la nature....

- Nan mais mec, elle est trop belle cette fille, je suis presque jaloux.

Dam's n'avait pas tort. Il est vrai que Mei était une belle femme. Elle était libre, indéniablement sans tabous et rayonnante. Tout le monde au bahut la remarquait quand elle se pointait pour nous dire bonjours, et cette jeune femme n'avait pas échappé au regard aiguisé de notre camarade aux dreadlocks.

- T'aurais pu faire cocu ta meuf pour elle ?

Je bloquai, toujours fixé sur cette fille plus loin. Elle s'était retournée, et me dévisageait, un sourire carnassier scotché au coin des lèvres. Je failli tomber en me rendant compte que je la connaissais. Deux prunelles brunes aux reflets rouge se braquèrent sur moi. Une peau très pâle, presque blanche, un visage maquillé au millimètre, et une plastique parfaite.

- Baaah ...

Pandora.

- Olivier, ça vas ?

Je me levai, le coeur battant à cent à l'heure. Elle était là, dans mon bahut. Elle me suivait.

- ... Je reviens.

Parallèle, Chapitre VIII - A suivre ...

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