Tendre Clothilde

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« Je ne sais pas comment tu fais, mais c'est vraiment délicieux ! » s'exclama son mari en finissant d'essuyer son assiette avec un crouton de pain. À côté de lui, ses deux filles finissaient elles aussi leurs assiettes, l'air ravi, la plus petite ayant une goutte de sauce au coin droit de la lèvre qui menaçait de tacher sa robe. Clothilde souriait en contemplant la joie de sa petite famille dévorant à belles dents le repas qu'elle leur avait mitonné. Elle était gourmande, et aimait leur faire plaisir. D'ailleurs, elle appréciait tous les plaisirs...

Christian, son mari, le savait bien, et lui adressait des regards équivoques. Il n'ignorait pas que lorsque Clothilde avait cuisiné sa viande favorite, cela la mettait en appétit. Il savait que, dans quelques heures, il serait plus exténué qu'après une partie de squash et que, couvert de sueur, il devrait prendre silencieusement une douche avant de revenir au lit, espérant y trouver Clothilde suffisamment satisfaite pour s'y être endormie. Il adorait sa femme, qui s'occupait merveilleusement des enfants et avait su rester une amante passionnée. Ses deux grossesses n'avaient fait que l'épanouir davantage, donnant plus de relief à ses hanches et à sa poitrine, et elle avait conservé, malgré sa gourmandise proverbiale qui l'amenait à cuisiner des mets exotiques dont elle avait le secret, une ligne de jeune fille. Comme elle le répétait souvent, elle ne grossissait pas. Rien que pour cela, certaines de ses amies auraient pu la tuer. Au dessert, toute la famille engloutit ses glaces avec délectation, alors qu'il se félicitait d'être l'homme le plus heureux de la Terre.
Clothilde, elle, tout en s'occupant des filles, songeait qu'il lui faudrait bientôt faire les courses.
*Elle attendait le retour de son mari. La journée avait bien commencé, car Christian s'était levé avant elle, s'occupant des filles, et elle avait pu paresser un peu au lit, se lovant dans l'empreinte chaude laissée par son époux au creux du matelas. Clothilde aimait cette douce chaleur, cette odeur d'homme, leurs cheveux emmêlés sur l'oreiller... Aujourd'hui, c'était Christian qui avait déposé les filles à leur école, et elle avait donc eu le temps de paresser entre les draps. Elle goûtait presque charnellement ce demi-sommeil, ce fol alanguissement dans la lumière du matin, son corps nu se lovant dans le souvenir tiède de la présence de son mari. Lorsqu'elle s'était décidée à se lever, ses draps étaient , par endroit, encore humides...
Dans la matinée, elle avait échangé de nombreux messages avec le leader d'un petit groupe d'écrivains amateurs, car elle aimait aussi à taquiner la plume pour donner vie à des récits romantiques et doux. Les auteurs essayaient vainement d'écrire à eux tous un texte commun, et ils n'avaient obtenu qu'un ensemble de textes embrouillés, artificiellement juxtaposés, impossible à animer d'une ferveur commune. Clothilde avait conseillé de trancher dans le vif.
Après avoir écrit quelques chapitres, elle avait cuisiné, dans l'après-midi, quelques surprises pour sa petite famille, puis avait récupéré ses filles, s'en occupant tendrement tout en écoutant la musique classique qu'elle adorait. Le lendemain, elle devrait participer à une réunion de parents d'élèves qui, bien entendu, s'éterniserait quelque peu. Elle sourit.
Pour l'heure, elle regardait la télévision sans vraiment la voir, laissant ses pensées flotter devant l'écran. Une publicité lui fit penser à du chocolat. Elle ferma les yeux, s'imaginant déguster un de ses péchés favoris, du chocolat aux noisettes entières. Il lui semblait reconnaitre dans sa bouche cette veloutée sucrée et légèrement âpre dans laquelle se retournait sa langue, cette texture fondante qui, subitement, s'enrichissait des arômes d'une noisette qui venait éclater entre ses dents... Cela lui donnait faim. Elle remonta lentement ses jambes l'une contre l'autre, faisant crisser ses bas, et, d'un doigt distrait, caressa ses lèvres et le bout de sa langue. N'y tenant plus, elle se dirigea vers le réfrigérateur, et seule l'arrivée de son mari, qui finit quelques minutes plus tard haletant et ravi sur le tapis de l'entrée, empêcha une apocalypse chocolatée.
Le lendemain, en début d'après-midi, Clothilde achevait d'engloutir une pizza. Elle mâchait lentement, entourant consciencieusement chaque ingrédient de salive avant de le suçoter et de l'avaler. Elle se concentrait pour ressentir intensément le moment où chaque bouchée pénétrait dans son corps. De sa bouche, de son nez lui montait à l'esprit une explosion de saveurs, et le simple fait de sentir la nourriture dévaler son œsophage faisait courir au creux de ses reins des fourmillements prometteurs. Elle passa lentement sa langue sur ses lèvres, et le goût salé lui rappela les journées d'hiver où elle aimait à se promener sur la plage, goûtant les embruns déposant sur son visage un frais picotement auquel succédait la légère brulure des cristaux de sel qui finissaient par exploser sur la langue inquisitrice qui avait caressé ses lèvres...
Une fois que son corps eut fait le plein d'énergie, elle se prépara avec soin avant d'aller faire ses courses. Après s'être joliment coiffée et maquillée, elle enfila une courte robe noire, toute simple, mais dont elle savait qu'en pleine lumière, elle devenait légèrement translucide. Comme à son habitude, elle écoutait de la musique en s'apprêtant, et elle se surprit un moment à approcher la main des haut-parleurs afin de sentir sur sa peau la pression de l'air, la douce caresse du son qui la mettait d'humeur joyeuse.
Elle n'oublia pas les paniers et les glacières dans le coffre de sa voiture. Lestée d'un grand sac contenant tout son nécessaire, elle partit en se remémorant d'être attentive à sa mise en descendant de voiture car, comme à son habitude, elle ne portait aucun sous-vêtement.
« En voilà une qui n'a pas froid aux yeux... ni ailleurs ! » se dit le jeune homme en voyant cette jolie femme en robe noire qui boitillait en portant un sac à provisions. Se disant qu'une bonne occasion ne se rate pas, il se proposa bien évidemment pour l'aider, et elle accepta en souriant. Elle s'était fait mal à la cheville, et il la soutint tout en portant ses paquets. Pendant qu'elle le remerciait tout en lui racontant son aventure, il ne pouvait s'empêcher de ressentir avec ferveur la présence de ce corps féminin, si proche, et il avait du mal à détourner les yeux de sa poitrine que les rayons d'un soleil cachottier semblaient lui révéler par intermittence. De son côté, Clothilde empoignait volontiers l'épaule et le bras de son sauveur athlétique, tâtant ses muscles, se blottissant parfois contre lui. La pression sanguine du jeune homme montait en flèche.
« Avec ma cheville, je vais avoir du mal à conduire, cela vous ennuierait de me raccompagner ? Je n'habite pas très loin, ma sœur pourra vous reconduire, elle devrait être à la maison. »
Le jeune homme l'aurait raccompagné au bout du monde. Il la conduisit avec fierté là où elle voulu, ayant du mal à choisir entre regarder la route ou sa passagère, dont la robe semblait raccourcir avec les kilomètres. Il hasarda une main sur la cuisse de sa partenaire. « Regardez la route... pour le moment », lui répondit-elle avec une moue charmeuse, tout en lui caressant le majeur de façon plus que suggestive.
Elle lui demanda de s'arrêter près d'une petite maison, dans la campagne, qui ne devait pas être très éloignée de l'océan. « C'est là », lui dit-elle. Submergé de désir, le jeune homme ne fut pas surpris par l'incohérence entre l'apparence de la jeune femme et cette bicoque perdue dans les bois de pins. Faisant mine de descendre du véhicule, elle gémit en posant le pied par terre. « Ouille ! C'est plus douloureux que prévu, vous pourriez me masser la cheville ? » lui demanda-t-elle en se frottant lentement le mollet. Le jeune homme se précipita. Lorsque Clothilde entrouvrit ses jambes pour descendre de la voiture, ce qu'il vit acheva de drainer le peu de sang qui restait dans son cerveau vers un autre organe appelé à prendre des proportions peu communes.

Il n'avait même pas pu attendre d'être dans la maison. Son premier assaut avait eu lieu sur la voiture, rapide, presque bestial. Il avait été tout surpris qu'une Clothilde ravie, se pendant à son cou, lui demande « encore ! » en l'embrassant à pleine bouche. Décidément, c'était son jour de chance. Il avait suivi la jeune femme qui l'entrainait par la main sans même prendre attention au fait que, subitement, elle ne boitait plus.
À présent, le jeune homme faisait moins le fier. Après quatre autres assauts, il se sentait vidé, exténué, en sueur, et cette femme étrange et experte en demandait toujours davantage, son plaisir grandissant à chaque fois. Elle l'avait caressé palpé, pincé, détaillant chacun de ses muscles, insistant sur ses fesses... Il n'en pouvait plus. Penché sur elle, il ahannait comme une bête aux abois, et maintenant la jeune femme dansait presque sur lui, retombant de plus en plus fort sur son bas ventre presque congestionné. Il eut un rictus annonçant le paroxysme de son plaisir, et dans ce moment de grâce, il ne sentit même pas la piqure de la fine seringue dans son cou.

L'effet du poison avait été immédiat. Le jeune homme était comme figé, une statue de chair. Ce poison provoquait une tétanie immédiate. Clothilde caressa une fois encore, du plat de la main, ce corps magnifique, lustré de sueur. Le garçon était beau, musclé, athlétique. Avant de se mettre au travail, Clothilde décida de continuer à s'amuser un peu avec son amant soudainement pétrifié. Il était encore vivant, le poison utilisé paralysant tous les muscles volontaires, mais épargnant le cœur. Clothilde sourit, se rappelant ses cours de médecine : « un vivant enfermé dans un mort » lui avait dit son professeur de physiologie lorsqu'elle étudiait l'anatomie. Elle adorait lire l'angoisse dans les yeux de son jouet. Cela décuplait son plaisir. Elle sentit presque immédiatement la vague de chaleur la submerger depuis le plus profond de ses reins, et lorsqu'elle récupéra le contrôle de son corps, elle n'oublia pas d'injecter dans les veines de son infortuné amant une bonne dose d'un produit provoquant une coagulation immédiate et massive du sang. La découpe serait plus propre, les muscles plus juteux et, fait qui avait son importance, les molécules qu'elle utilisait se détruisaient à la cuisson.

Une semaine plus tard, temps nécessaire à la maturation de la viande, toute la famille de Clothilde se régalait autour d'un plat des plus savoureux. La sauce était divine, bien que réalisée à partir d'abats, et la tendreté des chairs réellement exceptionnelle.

Devant sa petite famille réunie, Clothilde eut une pensée pour sa grand mère paternelle, qui l'avait initiée aux joies de la cuisine. Sous l'occupation, elle tenait une boucherie, et avait régalé la population affamée, et tout particulièrement les soldats et leurs supérieurs, de rillettes magnifiques, de saucisses mémorables et de succulents pâtés. Les jeunes et beaux soldats blonds étaient si craquants...
Le mari de Clothilde, jetant un regard vers sa femme pensive, se félicita encore d'avoir une épouse aussi accomplie, cordon bleu, mère dévouée et amante passionnée. S'il comparait son sort à celui de tous ses collègues, il avait vraiment gagné le gros lot.
Quelques heures plus tard, avant de sombrer dans le sommeil, exténué par de nouvelles joutes amoureuses, il se demanda si Clothilde l'avait déjà trompé. Dans la soirée, elle lui avait parlé de ce David, avec qui elle dirigeait un recueil de nouvelles. Il esquissa un sourire avant de sombrer dans un sommeil de prédateur, l'estomac plein. Non, vraiment, avec l'énergie qu'elle dépensait entre sa maison, ses enfants, et lui même, il ne devait pas rester grand-chose à sa tendre Clothilde pour pouvoir jouer les croqueuses d'hommes !

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